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Forum pour la paix : mais si la guerre (re)venait vraiment,  d’où se déclencherait-elle (et que faisons-nous pour celles qui sont en cours) ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Guerre et paix

A l'occasion du Forum de la paix, Emmanuel Macron a pu une nouvelle fois mettre en garde contre le retour des années 30 et du nationalisme : "Nous sommes fragilisés par les retours des passions tristes, le nationalisme, le racisme, l’antisémitisme, l’extrémisme, qui remettent en cause cet horizon que nos peuples attendent".

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Atlantico : Ne peut-on pas voir dans les déclarations d'Emmanuel Macron une certain décalage existant avec les menaces extérieures réelles ? Quelles sont ces menaces  (de la Chine à la Russie, en passant par l'Islamisme radical, ou par la Turquie de Erdogan) ? 

François Géré :Depuis son discours à la Sorbonne du 26 septembre 2017 par lequel il a lancé l’Initiative européenne d’intervention (IEI) le président Macron a multiplié les interventions concernant l’état de l’Europe et la nécessité de doter l’Union d’une véritable autonomie stratégique. Agitant le spectre des vieux démons des années 30, il n’a cessé de mettre en garde contre le repli sur soi, l’isolationnisme, l’unilatéralisme, le protectionnisme en leur opposant l’esprit d’ouverture et de solidarité, le multilatéralisme et le libre-échange. Les premiers sont lourds de menaces de guerre, les seconds synonymes de paix. Le chef de l’Etat a voulu rejeter le nationalisme du côté du racisme, de l’antisémitisme en lui opposant le patriotisme. Cette opposition a-t-elle un sens ? On débattra longtemps de savoir s’il est pertinent d’opposer Maurice Barrès à Charles Péguy. Il eût été préférable d’utiliser le terme chauvinisme qui comporte des connotations claires de xénophobie et d’agressivité. Le nationalisme des années 30 n’est devenu une menace mortelle pour la paix qu’à travers un couplage avec le socialisme dans sa version nazie.

En multipliant les discours, le président introduit des variantes qui frisent la contradiction. Etrangement dans un entretien sur Europe 1 à la veille de la première session à Paris des discussions stratégiques européennes (Military European Strategic Talks, MEST), réunissant dix ministres de la défense, Emmanuel Macron a parlé « d’armée européenne pour faire face à la Russie, à la Chine et, même, aux Etats-Unis. », ce que Donald Trump, en route pour Paris, a fort mal pris. Le dossier de l’armée européenne est exactement celui qui divise alors même que l’on prétend rassembler. On sait pourtant bien que ni le Royaume-Uni, ni la Pologne, ni les Etats baltes n’en veulent et que pour eux la défense européenne consiste à resserrer davantage le lien transatlantique au moment où Washington s’interroge sur sa validité. Jusqu’alors le président français a toujours pris soin de préciser que l’autonomie stratégique européenne devait s’envisager comme un « complément » de l’OTAN sans qu’on sache clairement en quoi consistait cette complémentarité ni quelle devait être la répartition des tâches et des financements. En tous les cas pour les adhérents à l’IEI il ne saurait être question de duplication, moins encore de substitution.
Si l’Union européenne entend agir contre une menace pour ses intérêts sans l’aide des Etats-Unis il lui faut pourtant bien disposer des instruments de souveraineté indispensables dans l’Espace et le Cyberespace. Si elle devait encore, comme c’est le cas aujourd’hui, dépendre des moyens de renseignement américains pour lutter contre les bandes islamiste terroristes dans l’espace saharien comment pouvoir parler d’autonomie ? Il a là une ambiguïté qu’il faudra bien lever à un moment donné et perdre des illusions vainement conçues. 

Guillaume Bigot : J'évoquerai dans un premier temps une menace régionale.

Je parle d'un possible embrasement de toute une partie du Moyen-Orient. La tension entre les deux puissances régionales que sont l'Iran et l'Arabie-saoudite est à son comble.  L'enjeu est le contrôle du golfe persique et de ses immenses réserves de brut. La Turquie attend de récupérer les morceaux après le choc de ces deux acteurs qui, inévitablement, va les affaiblir. Ryad et Téhéran sont fragiles au plan intérieur. C'est d'ailleurs le pari de Donald Trump de renverser l'Iran pour qu'il y ait une révolution démocratique. Mais il n'est pas sûr que cela aboutisse.

L'Arabie Saoudite est moins solide qu'elle peut paraitre. Je rappelle que l'Irak se trouve au milieu. L’Iran, l’Irak et l’Arabie concentrent à eux seuls 80% de réserves mondiales de pétrole. À mes yeux, cette zone (nous pouvons aussi mentionner la Turquie, Israël, la Syrie toujours fragile, et l'Irak pas reconstruite) est potentiellement risquée. C'est un risque de conflit local régional très sérieux. Il s’agit à la fois d’un affrontement religieux (chiites contre sunnites), civilisationnel (perses contre arabes), géopolitique (un client russe contre un client américain) mais aussi, au sein même, du bloc sunnite entre des salafistes pro-américains plus ou moins réformistes (MBS), des salafistes révolutionnaires (type Daesch et ceux qui les suivront) et des frères musulmans progressistes (soutenu par Ankara).

Autre menace plus mondiale et planétaire, je l'avais déjà abordé dans mon libre Les Sept Scénarios de l'apocalypse (Flammarion 2000 et j'ai lu en 2002), c'est un risque d'ordre géoéconomique avec la remise en cause du libre-échange par les clients d’une Chine devenue trop puissante, Etats-Unis en tête.

Je parle là d'un conflit entre la Chine et le reste du monde. La Chine est obligée d'importer l'essentiel de ses matières premières et ces importations passent par des détroits maritimes. En réalité, ce sont la sixième et la septième flotte des Etats-Unis (qui sont des composantes majeures de la marine de guerre américaine) qui sécurisent ces échanges. Les Etats-Unis ont donc en permanence un pistolet sur la tempe de la Chine. S'ils décident de bloquer, ce serait très facile pour eux.

Bien entendu, personne n'a intérêt à agresser qui que ce soit. Il n'y a pas de volonté de guerre. Mais parfois, comme la Première Guerre mondiale nous l'a montré, les conflits se déclenchent, car les pays se craignent les uns les autres. Dans ce cas précis, c'est le cas. Ajoutez à cela que le fait que le communisme chinois  centralisé à Pékin aux mains de milliardaires reste  une construction politique fragile. Tant qu'il y a de la croissance en Chine, pas de problème, mais le jour où ça s'arrête, on peut imaginer que le régime utiliserait la carte du nationalisme pour garder le pouvoir. Ce serait d’autant plus dangereux. Que ce ne sont pas les sujets de tensions qui manquent dans cette zone du monde (Taiwan, Viêtnam…). La course aux armements est lancée. Tous s'arment et se préparent à un conflit possible avec la Chine, car dans cette zone, les blessures de l'histoire ne sont pas refermées.

La situation est donc objectivement assez dangereuse, mais nous sommes loin à mon avis des fables que nous pouvons entendre sur une possible guerre entre la Russie et les Etats-Unis ou encore sur la montée des populismes (que je préfère appeler des mouvements populaires) qui vont absolument faire flamber le monde à la mode des années trente… Tous ces arguments sont en réalité destinés à dissimuler la réalité.

Quelles sont également les menaces intérieures à nos sociétés, plus concrètes, qui pourraient nous inquiéter davantage que ces appels à lutter contre le nationalisme ? Ne sommes-nous pas menacés par la dislocation de nos cohésions intérieures ? 

Guillaume Bigot : Il s'agit là d'une menace qui n'est pas étatique, c'est même l'inverse. On est très inquiet de voir à nouveau des menaces types guerre froide avec des super puissances menaçantes au nom de leur idéologie ou de type nazisme avec invasions à clé. En réalité, ce ne sont pas des Etats industriels agressifs qui menacent la paix, c’est la fragilité des Etats. Au XXe, ce sont les Etats qui ont tué. Au XXIe, c’est la faiblesse des Etats qui tue et va continuer à le faire. Sécuriser la planète, c’est d’abord éviter de fragiliser les Etats.

La seule idéologie menaçante, c'est l'islamisme radial. Or, l'islamisme radical est justement  incapable de dominer un Etat et à fortiori un Etat puissant, mais il peut provoquer un effondrement de l'ordre public. L'islamisme, en se rependant, peut fragiliser les Etats de l'intérieur. C'est dangereux, ça mine la stabilité des Etats et ça les affaiblis.

Nous sommes peut-être à la veille d’une extension du désordre et du chaos, surtout en cas de méga crise financière et économique.

François Géré : Le terrorisme islamiste est une entreprise multinationale. Il a ses origines à l’extérieur mais ses ramifications gangrènent nos sociétés. Les communautés musulmanes sont encore soumises à la propagande salafiste financée par le wahhabisme. En dix ans la déradicalisation n’a pas donné les effets escomptés. La situation des banlieues reste toujours aussi explosive.
Les flux massifs de réfugiés persistent faute de solutions de long terme pour en traiter les causes profondes avec pour conséquence la renationalisation des frontières. Sur tous ces dossiers les Européens, angoissés, se divisent et, au sein de chaque Etat, les partis politiques sont incapables de trouver la voie de l’union. La tâche d’Emmanuel Macron est de restaurer une cohésion nationale. Dans un pays comme la France, la tâche est redoutable. A ce jour le libéralisme macronien divise chaque secteur de la population au lieu de la rassembler. Riches contre pauvres, jeunes contre vieux, élèves contre professeurs, etc. Il ne suffit pas de proclamer les valeurs de la République, il faut les pratiquer. Avant de vouloir imposer dans l’Union européenne des principes de gouvernance unitaire, il est indispensable de les mettre en œuvre chez soi. La communauté de vision afin de promouvoir la stabilité et de la paix commence sur le territoire national. Ce n’est pas l’UE, gravement divisée, qui peut donner à chaque Etat membre la cohésion politique qui fait défaut. 

3-Dès lors, quels seraient les contours à donner à un forum de la paix prenant en considération l'ensemble de ces menaces réelles ? 

François Géré : Ces initiatives en faveur de la paix n’ont de sens que si elles s’accompagnent de mesures concrètes. La France vient de prendre une autre initiative en faveur de la paix et de la coopération dans le Cyberespace. Or, aujourd’hui la Chine, la Russie, les Etats-Unis se sont dotés d’instruments agressifs qui sont systématiquement utilisés et favorisent l’espionnage technologique et l’ingérence dans les élections. Comment entend-on les amener à en faire l’abandon ? Si des accords de bonne conduite sont conclus, pourra-t-on en assurer la vérification ? Ou bien s’en tiendra-t-on à de vaines déclarations de principe observées par les seuls Etats de bonne volonté ? Il en va de même du forum de la paix qui nous ramène paradoxalement à ces années 30 durant lesquelles une Société des Nations bancale n’a cessé de voter des résolutions imparfaites que les fauteurs de guerre se sont bien gardés de respecter. Il n’y a rien de plus dangereux qu’un pacifisme qui n’a pas de mains a-t-on dit de Kant. Aujourd’hui face à « la brutalisation du monde » (l’expression est du général Lecointre), à la mise au rencart des traités de maîtrise des armements balistiques et nucléaires, on ne peut se contenter d’incantations et d’un volontarisme sans soutien réel.

Guillaume Bigot : À mes yeux, la première chose à faire pour stabiliser la situation, ce serait que l'Accident remette l'église au milieu du village. C’est-à-dire redonner à la politique et aux États leur prééminence. Ce sont les Etats qui doivent seuls disposer du monopole de la violence légitime et ils doivent absolument être souverains chez eux.

Prenez pour exemple le forum pour la paix, vous aviez sur un pied d'égalité les chefs d'États, qui représentent des millions de personnes et des ONG qui en représentent 40. Il faut arrêter ! Le métier des entreprises n'est pas de faire la paix ou la justice sur terre. Il faut remettre les choses à leur juste place. L'UE est la caricature de cela. Les pays ne veulent plus être des États, mais une zone de libre-échange, de grands salons, de forum sur la paix permanant… Une zone où il n'y a plus de puissance et d'intérêt politique. Tout est réduit à des échanges d'informations etc… Nous sommes choqués que Trump fasse de la politique et défendent les intérêts de son pays : mais c’est tout de même pour cela qu’il a été élu. Trump n’est pas ma tasse de thé mais on ne peut lui reprocher de faire son devoir d’homme d’Etat !

C'est le monde de Oui-Oui dans lequel vit Emmanuel Macron. Le monde lui, reste dangereux et ne ressemble pas à cette zone pacifiée qui comprend les grandes métropoles de la globalisation. Il existe dans le monde des intérêts inconciliables et des cicatrices laissées par l'histoire qui sont antagonistes et opposées.

La mondialisation économique, c'est bien, mais cela n'a aucun rapport avec l'ordre géopolitique. Au contraire, elle la fragilise.

Deuxième chose, il faut se poser la question des Etats faillis. Nous n'avons pas vraiment d'investissement là-dessus. Car le vrai danger, c'est l'effondrement de l'État. Il y a des zones (et nous en voyons en moindre mesure chez nous avec certaines banlieues.) où l'Etat n'est plus chez lui et où une autre violence prétend au monopole. On retrouve cela en particuliers sur le continent africain.

Je pense que nous sommes obsédés par les problèmes liés au 20e siècle, mais le problème du 21e siècle, ce sont bien les Etats trop faibles. Quand l'ordre s'écroule, quand l'anarchie règne, cela peut être dévastateur. L'État doit redevenir un facteur fondamental de stabilité.

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