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Folie des rachats de titres et des fusions-acquisitions : pourquoi ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Forte activité

Le protectionnisme de Donald Trump entraine de nouveaux comportements sur les marchés financiers américains. Une folle activité qu'il nous faut décrypter.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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On n’en parle pas, et pourtant c’est décisif. Donald Trump n’avance pas seulement par ses tweets et ses hausses de droits de douane : il veut surtout renforcer et protéger la propriété des entreprises américaines. Ses décisions fiscales, de simplification et de dérégulation, convergent toutes vers ce résultat, en complément de ses décisions plus visibles sur les droits de douane, la protection des droits de propriété et contre les « manipulations » des changes. Ceci donne une bourse américaine qui monte sans cesse, avec des entreprises qui se valorisent de plus en plus. Elles peuvent en acheter d’autres, sans pouvoir l’être elles-mêmes. Du protectionnisme boursier, avec deux effets nouveaux : « l’effet Apple » et « l’effet ATT/Time Warner ».

D’abord « l’effet Apple », avec des rachats d’actions bien particuliers. Voilà que les « méga-entreprises » américaines rachètent leurs titres, comme jamais. Mieux encore, ces entreprises célébrissimes sont au plus haut (Apple, Amazone…) et tellement rentables qu’elles peuvent à la fois régler leurs rachats d’actions et investir autant. Une seule explication : elles veulent creuser l’écart des valorisations par rapport aux « autres » et pensent ne plus avoir besoin des banques.   

Ensuite, c’est « l’effet ATT/Time Warner », avec des fusions-acquisitions bien particulières aussi. Voilà que le premier semestre a vu 2 500 milliards de dollars de transactions dans le monde, dont 1 directement aux États-Unis. On a vu des « méga-deals » dans les médias (AT & T/Time Warner, Disney/Comcast), l'énergie (RWE/Eon), les télécoms (Sprint/T-Mobile) ou encore la pharmacie (Taketa/Shire). Au total, 35 transactions ont dépassé 10 milliards de dollars ce début d’année. Et encore, nombre de transactions prévues ont été bloquées pour raisons politiques, notamment entre États-Unis et Chine. Le record de ce premier semestre nous renvoie ainsi à son lointain précédent : le premier semestre 2007… avant la Grande récession.

Ces deux « effets » sont bien particuliers. En général, contrairement à « l’effet Apple », les choses ne se passent pas ainsi dans un rachat d’actions « classique ». Il accompagne plutôt des entreprises qui veulent tenir leur cours boursier, en partageant les dividendes entre moins d’actionnaires. Certaines s’endettent même pour cela. Elles vont voir leurs banques ou émettent des obligations (aux États-Unis surtout). En même temps, pour mieux financer l’opération, elles freinent leurs investissements. C’est donc assez cosmétique. Mais rien de tel aujourd’hui. La source de ces rachats d’actions américaines vient en effet des 300 milliards de dollars de profit rapatriés aux États-Unis en fin d’année 2017, surtout pour les 15 plus importantes valeurs américaines cotées. Ils ont servi à payer les impôts dus au trésor américain, puis à racheter les actions, mais sans emprunter et sans que le niveau d’investissement ne soit diminué ! Effet Apple !

Ces 300 milliards de dollars, stockés à l’extérieur (notamment en Europe), étaient des profits non rapatriés. C’est là le tiers de la somme estimée (un trillion de dollars !), placée en bons d’état américain, et peu désireuse de rentrer au bercail pour payer les impôts américains (35%). Barack Obama leur demandait, très régulièrement, de revenir et de faire preuve de civisme. Donald Trump, qui est du métier, a préféré baisser les impôts à 15,5% (en échelonnant le paiement sur huit ans au maximum !), mais à la condition que ces sommes soient rapatriées avant fin 2017. 30% de l’argent parqué à l’extérieur est donc revenu, pour payer l’impôt et pour racheter les actions, pas pour investir plus, sachant que ces entreprises avaient déjà un taux d’investissement très élevé ! Ces rachats ont donc permis aux capitalisations boursières de monter, les fameux 1 000 milliards d’Apple et d’Amazon. Avec ces valorisations, ces entreprises deviennent inachetables, mais peuvent acheter qui elles veulent, par échange de titres. Quelle protection d’un côté, quelle puissance de l’autre ! Effet Apple !

Ensuite, c’est « l’effet ATT/Time Warner ». Les choses ne se passent pas non plus de manière classique, avec les fusions-acquisitions actuelles. L’euphorie monte, sans aucune inquiétude aux États-Unis ! Or, on le sait, l’objectif des fusions-acquisitions est toujours une course à la taille, pour atteindre plus de marchés, se lancer dans des investissements plus importants, satisfaire quelques égos, mais au prix d’un risque élevé. Ce risque est que, pour atteindre la taille cible, avec la rentabilité envisagée, il faut parier sur la croissance du chiffre d’affaires, et plus encore sur la réduction des frais, avec cessions et licenciements à la clef. Rien n’est donc évident, ce qui explique un taux d’échec des fusions acquisitions allant de 45 à 60% selon les études, avec une moyenne autour de 50%.

Or ces 2 500 milliards de dollars de fusions acquisitions du premier semestre 2018 ne semblent pas inquiéter ! La source majeure est américaine, avec 1 trillion de dollars, 79% de plus sur un semestre et 6164 opérations, contre 249 milliards pour la Chine, loin derrière et qui accélère. Les États-Unis sont aussi les grands arrangeurs de tous, avec Morgan Stanley, Goldman Sachs, JP Morgan, Bank of America Merril Lynch, Citi. Pas d’inquiétude ! Effet ATT/Time Warner !

L’autre (importante) nouveauté est le poids du private equity derrière ces opérations du semestre. Il représente 204 milliards au total : 110 aux États-Unis, 40 en Europe et 50 en Asie. Ceci rend compte du déplacement du financement de l’économie vers ces fonds privés, pour moitié américains. Là aussi, on trouve une différence, non pas dans l’objectif de la croissance externe, la taille rentable, mais dans sa propriété, avec une part croissante qui est non boursière. Les fonds de private equity restent six ans en moyenne, pour doubler la mise. Cette rentabilité (promise et en général tenue) n’a donc rien à voir avec les placements obligataires et bat, en termes de stabilité, les placements boursiers. Surtout, ici aussi, on trouve les interventions financières de Donald Trump avec notamment une taxe sur les profits qui passe de 35% à 21%, plus d’autres avantages, qui poussent tous vers le private equity. Tout ceci peut continuer, si et seulement si la croissance boursière continue. Autrement les investisseurs en fonds de private equity peuvent demander à sortir, ce qui est la recette miracle pour une crise de liquidité. Effet ATT/Time Warner !

Ce qui se passe aux États-Unis est donc très risqué, mais voulu. Rapatrier les profits pour faire monter les valorisations des entreprises par les rachats de titres et pousser à des fusions-acquisitions, où les fonds de private equity sont de plus en plus importants, n’est pas l’effet du hasard. « C’est du Trump », dans sa variante de protectionnisme boursier, celle qui marche sans problème aujourd’hui. Jusqu’au krach, diront les méchants critiques et les fake news !

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