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FN, la fin d’une histoire française ou quand le parti de l’enracinement perd ses racines
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Renaissance

En changeant de nom, le Front national opère un changement de fond, qui le libère de son histoire tumultueuse... mais aussi de son enracinement dans l'histoire politique française.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : Le Front National compte changer de nom ce week-end. Derrière ce projet, il y l’idée de se débarrasser d’un passé pesant, à l’image du divorce difficile opéré avec son fondateur Jean-Marie Le Pen. Cependant, on peut observer que cette filiation et cet héritage est particulièrement revendiqué ces derniers temps. Le FN peut-il faire table rase de son passé avec un simple changement de nom ? Y a-t-il intérêt ?

Jean-Yves Camus : Il ne peut y avoir de table rase. Du point de vue de l’historien ou du politiste, tous les partis s’inscrivent dans une filiation et dans une histoire. Vous n’êtes jamais l’enfant de rien. Je pense donc qu’il y a une erreur derrière cette vision des choses qui voudrait que le sentiment parvienne à lui tout seul à modifier à supprimer le passé, à faire que les Français n’associe plus le Front National à Jean-Marie Le Pen. Jean-Marie Le Pen va avoir 90 ans. Les gens de sa génération et même celle d’après ne sont plus en politique pour la plupart d’entre-eux. Les derniers collaborateurs de petit niveau qui étaient au Front National à ses débuts et qui avaient des responsabilités sont tout simplement morts. Dans quelque années, tout cela ne pourra plus être reproché au Front National. On ne pourra plus dire : c’est le parti des anciens collaborateurs, c’est faux. Et de même pour les anciens de l’OAS, il n’en reste qu’une infime poignée. Je crois que l’erreur est de penser que le nom va tout changer, alors qu’il faut d’abord que le nom qui remplace l’ancien soit bon. Tant qu’on ne sait pas le nom de remplacement, il est difficile de juger. Il y a apparemment 50% des militants qui ne seraient pas très chaud pour changer. Marine Le Pen aura gagné son pari si le nouveau soulève de l’enthousiasme. Mais c’est un nom totalement aseptisé, je ne suis pas certain que l’opération sera réussie. 

Après, il y a toujours une part de mauvaise foi à ramener toujours le Front National au fascisme national-socialiste. Je pense qu’ils se satisferaient aujourd’hui assez d’apparaitre aux yeux des Français comme l’équivalent de la Ligue du Nord par exemple. Mais le problème qu’ils ont une histoire différente. La Ligue du Nord est née dans les années 80 sur des revendications précises, et leurs fondateurs n’avaient aucun passé néo-fasciste. Le Front National est ce qu’il est, né en 1972, c’est une histoire différente.

Le Front National est aussi populaire parce qu’il représente une histoire française, avec ses combats, ses héros, ses adversaires. Si ceux-ci sont morts ou ont changé, on peut observer qu’une personnalité comme Marion Maréchal suscite beaucoup d’engouement sur ces thèmes aujourd’hui avec des thèmes comme l’enracinement…

La question se pose pour les militants, pas pour les électeurs. L’électeur frontiste que vous pourriez rencontrer sur le marché, il n’a pas d’intérêt pour la filiation de son mouvement au boulangisme ou au poujadisme. Les électeurs du FN ne lisent pas Joseph de Maistre. Ce qui peut être un problème pour Marion Maréchal : se déclarant traditionaliste, conservatrice, c’est effectivement, pour moi qui travaille sur cette tradition intellectuelle-là, absolument passionnant intellectuellement parlant. Mais je ne crois pas que quelqu’un qui aujourd’hui ramènerait le Front National au traditionalisme et au conservatisme aurait le même succès que celui qu’a Marine Le Pen aujourd’hui. Car à un moment donné apparait une ligne à ne pas franchir : jusqu’où êtes vous traditionaliste ? Assumez-vous le mot contre-révolutionnaire ou êtes-vous républicain ? Etes-vous libéral ou corporatiste ? Si vous vous dites traditionaliste, en France ce mouvement est catholique : quelle place faites-vous dès lors à l’Eglise dans la société ? Que faites-vous de la laïcité ? Etc.

Il faut voir que malgré tout Marine Le Pen avait réussi jusqu’ici, et même son père d’une certaine manière, à évacuer ce genre de débats au Front National. Par exemple personne au FN n’a jamais demandé l’abolition de la Loi de 1905. 

Le Front National aurait donc dans son ADN cette capacité à ne pas se saisir de toute la tradition qu’elle peut évoquer ?

Parfaitement, sur la question religieuse, c’est visible, mais on peut aussi prendre la question des moeurs. En 1995, quand le Front National conquiert la mairie de Toulon, on retrouve un mois après le directeur de cabinet de Jean-Marie Lechevalier assassiné en bas de chez lui. C’est une affaire de moeurs. Il est homosexuel, il se travestit le soir dans les bois. La presse vient donc demander à Jean-Marie Le Pen comment il compte justifier ses idées et avoir dans le même temps ce genre de gens chez lui. Sa réponse est célèbre : « Je ne fais pas la police des braguettes ». Ce qui voulait dire que le parti ne prend pas de positions sur ce genre de choses. Même sur l’homosexualité. 

Aurait-on trop intégré le FN dans une généalogie dont dès le départ elle s’était détachée ?

Je pense, mais depuis, il est vrai que Marion Maréchal peut aujourd’hui compter sur quelque chose, la génération Manif pour Tous. C’est quelque chose qu’en dehors de la droite les médias ont beaucoup de mal à comprendre, mais il y a une génération Manif pour Tous. Et quand on regarde les professions de foi des nouveaux candidats frontistes, on voit que nombreux sont ceux qui sont venus à la politique par la Manif pour Tous, par son engagement en faveur des valeurs de la famille, par son engagement catholique, contre la GPA, contre la PMA. Il y a donc effectivement un logiciel nouveau, plus catholique et plus conservateur en 2017 qu’auparavant.

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