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Fiscalité : et pendant ce temps-là, que font nos voisins européens ?
©Reuters

Chassé-croisé

Alors que la France persiste dans une politique fiscale de plus en plus lourde, la plupart des pays de l'Union européenne entrent dans une véritable guerre des impôts pour attirer les entreprises étrangères. Un fait tout aussi inquiétant pour notre pays que pour le Vieux Continent dans son ensemble.

Olivier Passet

Olivier Passet

Olivier Passet est économiste et directeur des synthèses économiques chez Xerfi où il s'occupe du suivi des politiques économiques et des mutations de l’appareil de production.

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Atlantico : Alors que la crise se prolonge et que les économies européennes peinent à voir le bout du tunnel, une véritable "guérilla fiscale" s'engage sur une bonne partie du Vieux Continent afin d'augmenter sa compétitivité et son attractivité pour les entreprises. Treize pays de l'Union ont ainsi déjà allégé ou allégeront bientôt le taux d'impôts sur les sociétés. Faut-il s'inquiéter de cette course au moins-disant fiscal ?

Olivier Passet : La baisse de l’impôt sur les sociétés n’est qu’une des dimensions de la guérilla fiscale à laquelle se livrent les pays européens. Mais c’est aussi la plus emblématique. La concurrence fiscale a déjà été particulièrement virulente de la première moitié des années 2000 et  son intensité est en partie responsable, à retardement, de la dérive de l’endettement public. On aurait pu penser que les impératifs de consolidation budgétaire allaient tempérer cette guérilla. Il n’en n’est rien . La concurrence est demeurée intense, en dépit de la contraction de la base imposable qui a accompagné la récession de 2008 et alors même que le respect du pacte de stabilité pousse certains pays à accroître la pression fiscale. On sait qu’une concurrence mesurée constitue une incitation à gérer de façon plus efficace la dépense publique. Mais aujourd’hui, il s’agit d’un empilement cumulatif. Et c’est ce caractère cumulatif qui est inquiétant. Même en Allemagne on constate actuellement une dégradation des infrastructures publiques. Et il n’est pas nécessairement bon non plus d’appauvrir à l’excès des systèmes d’assurance collective dont certains se sont avérés efficaces sur longue période. Au Danemark, par exemple, l’équation budgétaire de la flexicurité devient intenable alors que le pays avait bâti sa compétitivité sur ce compromis social. 

La France semble être un cas à part puisqu'elle est le seul pays de l'UE a avoir augmenté son taux légal d'impôt sur les sociétés depuis 2008. Sachant que le travail au noir explose dans l'Hexagone, peut-on imaginer que cette tendance finisse réellement par devenir contre-productive ?

La France évolue en effet à total contre-courant. En l’espace de 6 ans, la Slovénie, le Royaume uni, l’Allemagne, la Finlande, la Suède ou l’Italie ont diminué  de plus de 6 points leur IS. Quand on sait que l’Allemagne bénéficie aussi de la dépression fiscale des PECO, via la sous-traitance, on voit que le principal partenaire de la France a encore renforcé son avantage compétitif. La France continue à se comporter comme si la centralité ou la taille de son marché, ou la qualité de ses infrastructures l’autorisaient à avoir une fiscalité d’exception. C’est une grave erreur. Avec la réunification allemande, elle a perdu en centralité. Les facteurs stratégiques sont de plus en plus mobiles et les forces de polarisation industrielles ne jouent pas en sa faveur en Europe. Surtout, l’économie française reste dominée par des grands groupes. Or l’IS est décisif en matière de choix de rapatriement et de réinvestissement des bénéfices. De surcroît, une sur-taxation des bénéfices incite les entreprises résidentes à sous-facturer les flux de services à destination des entités délocalisées du groupe (c’est ce que l’on appelle les prix de transfert), ce qui minore le PIB et les exportations réelles de l’économie. Dans ce contexte, la diminution du rendement de l’impôt est déjà un constat. Sur les deux premiers trimestres, la part des impôts dans le PIB régresse alors que les taux d’imposition ont augmenté. 

Autre point important, la dévaluation fiscale qui consiste à faire basculer les charges des facteurs de productions (travail/capital) vers la consommation. Surtout pratiquée par le Royaume-Uni, l'Allemagne et les pays de l'Est, cette politique ne risque t'elle pas de faire voler en éclat le peu de convergence économique qui subsiste en Europe ?

On peut dénombrer au moins 14 ou 15 pays de l’Union qui ont mis en œuvre des politiques de dévaluation fiscale (de type TVA sociale) au cours des 6 dernières années. C’est le cas de l’Allemagne, en début de crise, des pays d’Europe du Nord (Finlande, Suède, Danemark), du Royaume-Uni, mais aussi de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce et demain, du Portugal. C’est le cas également, notamment en début de crise, de presque tous les PECO, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Slovénie, de la République tchèque et de la Lituanie. Au total, il ressort que les dévaluations les plus amples ont été menées en Bulgarie, en Hongrie, en Slovénie, en Roumanie, en Allemagne, en Finlande en Suède et au Royaume-Uni. L’ennui, c’est que ces dévaluations ne sont pas seulement le fait d’économies en déficit commercial ou en nécessité d’attirer les investisseurs. Des pays comme l’Allemagne ou la Suède, commercialement excédentaires, jouent l’option de la dévaluation. Une option qui renforce la divergence européenne, puisque ces pays bénéficient déjà de la dynamique de polarisation industrielle au sein de l’espace européen. Il paraît dès lors plus que jamais indispensable de progresser en matière de coopération et d’harmonisation fiscale.

A l'heure où l'on évoque l'Union bancaire, quels seraient les moyens de mettre concrètement en place une politique d'harmonisation capable de faire consensus ?

Avec l’Union bancaire on sauve l’euro. Mais en sauvant la monnaie unique, on a sacrifié l’Union. Le sauvetage monétaire est devenu une fin en soi, quitte à inverser toute la problématique qui motivait son avènement. L’économie réelle a été mise au service de l’euro, quand l’euro devait être l’instrument de l’économie réelle. Les déflations fiscale, sociale et salariale sont utilisées pour maintenir la cohérence de la zone. La conséquence, c’est l’effondrement d’une partie du tissu productif tourné vers le marché intérieur et la mise en orbite de pans entiers du système productif de la périphérie dans le système de sous-traitance des donneurs d’ordre, Allemagne en tête. Une spirale de déflation qui entraîne une montée inexorable de l’euro, dont seuls les pays donneurs d’ordre positionnés haut de gamme s’accommodent. Une politique d’harmonisation fiscale ne verra pas le jour tant que les pays s’accommoderont de cette inversion de logique. Il faut d’abord une prise de conscience. On n’en est pas là. Les tentatives passées pour instaurer des fourchettes de taux ou des taux plancher, ou même encore une base commune, sont toujours restées lettre morte. Il ne s’agit pas de fixer une cadre rigide mais de mettre fin à l’empilement déflationniste que l’on vient d’évoquer. En matière de change on avait inventé le serpent monétaire. Pour cesser les dévaluations fiscales sauvages, il nous faudrait une « serpent » fiscal. 

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