Ferguson un an après : pourquoi les émeutes raciales aux Etats-Unis sont amenées à se multiplier au cours des prochaines années<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation en mémoire de Ferguson.
Manifestation en mémoire de Ferguson.
©Reuters

Désintégration

Une étude réalisée par une équipe de sociologues de l'université de Cornell révèle que contrairement aux discours qui vantent une Amérique toujours plus mixte, Blancs et Noirs vivent toujours aussi peu ensemble dans les grands centres urbains des Etats-Unis. Une situation qui a même tendance à empirer et dont Ferguson est la triste illustration.

Atlantico : Après avoir étudié les récentes tendances démographiques aux Etats-Unis, le sociologue Daniel Lichter, de l'Université de Cornell, déclare que "nous vivons toujours dans une société très fortement ségréguée". Cinquante ans après la fin de la ségrégation officielle en 1964, il est arrivé à la conclusion que Blancs et Noirs tendent toujours à vivre dans des espaces séparés. Ce constat est il trop sévère ? Comment expliquer une telle stagnation ? 

Laurent Chalard : Malheureusement non, le constat de Monsieur Lichter n’est pas trop sévère mais correspond à la triste réalité. En effet, contrairement à ce que laisseraient croire certaines études portant sur la réduction de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, elle demeure forte en ce qui concerne les Noirs et les Blancs. La déségrégation constatée est surtout la conséquence de la diversification du peuplement des Etats-Unis, qui fait que les noirs cohabitent de plus en plus souvent avec des hispaniques ou autres immigrés pauvres plus récents, alors que de l’autre côté de l’échelle, les blancs cohabitent plus souvent qu’avant avec des asiatiques qui ont réussi.

Cette stagnation témoigne du fait que la société américaine, contrairement à ce que ses dirigeants voudraient nous faire croire, demeure une société à forte ségrégation raciale, les Blancs ne souhaitant pas cohabiter avec les Noirs. 

Dans son étude, Daniel Lichter estime que des villes de banlieue telles que Ferguson sont emblématiques d'une nouvelle donne démographique. Les Afro-Américains n'ont cessé d'y affluer, alors que depuis les années 1970, ils avaient plutôt tendance à s'installer dans les centre-villes. Les Blancs qui vivaient en banlieue ont alors tendance à quitter ces quartiers résidentiels pour aller encore plus loin des centre-villes. Blancs et Noirs sont-ils condamnés à ne pas se mélanger ?

Le white flight est un processus ancien aux Etats-Unis, qui désigne à l’origine la fuite des populations blanches des centres-villes des grandes métropoles, où la population noire se concentrait suite à une forte émigration des zones rurales du pays, vers les périphéries pavillonnaires, communément appelées suburbs. Depuis les années 1980, du fait de la croissance démographique des populations noires mais aussi de l’amélioration du niveau de vie d’une partie d’entre elles, ces populations commencent à se retrouver dans certaines suburbs, en règle générale les plus anciens, moins recherchés par les riches blancs, et se situant souvent dans le prolongement des ghettos noirs des centres-villes. Il s’ensuit donc mécaniquement un nouveau white flight vers des suburbs plus lointains et de plus en plus vers les exurbs, c’est-à-dire des espaces ruraux proches des grandes villes.

Etant donné le lourd héritage des conflits raciaux entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis et les décalages de niveau socio-économiques entre les deux communautés, se mélanger n’est pas la règle, et ce n’est pas pour demain que la situation va changer, la réussite de Barack Obama ne constituant qu’un écran de fumée par rapport à la dure réalité de la société américaine. Il faudrait vraiment un retournement total des mentalités, qui feraient totalement abstraction de la couleur de peau, ce qui relève pour l’instant toujours de l’utopie aux Etats-Unis.

Ce qui est également décrit, c'est un décalage entre nouvelles populations et institutions, notamment à Ferguson. Au regard de ces tendances démographiques, cela signifie-t-il que des émeutes du type de Ferguson, sont amenées à se multiplier dans les années à venir ?

Il convient de rappeler que le décalage entre nouvelles populations et institutions est un phénomène traditionnel dans les territoires en forte mutation démographique, les représentants de l’autorité publique n’étant pas forcément représentatifs du nouveau contexte démographique. On retrouve le même phénomène en Seine-Saint-Denis en France, où la classe politique et les techniciens de la fonction publique territoriale demeurent largement d’origine européenne alors que la population l’est de moins en moins.

Il s’ensuit que cela renforce temporairement les risques de bavure policière, mais cela ne signifie pas forcément que les émeutes du type de Ferguson vont se multiplier dans le futur car le personnel va évoluer et se diversifier, mais aussi car c’est surtout le contexte post crise économique d’une société américaine de plus en plus inégalitaire qui est le facteur majeur de ces émeutes. Si les écarts continuent à se creuser, les émeutes se multiplieront effectivement et peut-être pas seulement chez les noirs.

La gentrification, qui touche les grandes villes comme Denver, Washington ou Minneapolis jouerait également un rôle dans ce processus : les jeunes urbains blancs de la classe moyenne réinvestissent les centres-villes, ce qui a pour effet corollaire d'augmenter les prix et les loyers et de chasser les populations noires vers les banlieues. Un phénomène comparable, de non-mixité sociale et de stratégie d'évitement de la part des classes moyennes, est-il également à l'oeuvre en France ? 

Le contexte de ségrégation socio-spatiale nord-américain est totalement différent de celui français et toute comparaison apparaît donc particulièrement hasardeuse. Cependant, concernant le phénomène global du refus de la mixité sociale et de la stratégie d’évitement de la part des classes moyennes, c’est un phénomène mondial. Quel que soit le pays, riche ou pauvre, les plus riches préfèrent l’entre soi et se regroupent dans des quartiers abritant leurs semblables et les classes moyennes existantes ou émergentes, selon le niveau de développement du pays, cherchent à se démarquer des catégories populaires, phénomène d’autant plus important lorsque la différence sociale recoupe la différence ethnique, ce qui est de plus en plus souvent le cas dans les pays développés. La France n’échappe donc pas à la règle générale, connaissant elle aussi un white flight dans les grands ensembles populaires des grandes métropoles.

En quoi la France et les Etats-Unis se rejoignent-elles ou divergent-elles sur la question de la ségrégation sociale et ethnique ?

La France et Les Etats-Unis se rejoignent essentiellement sur le fait qu’il existe une ségrégation sociale et ethnique consécutive d’un peuplement diversifié, depuis l’origine aux Etats-Unis du fait de l’esclavage, depuis les Trente Glorieuses et l’apparition d’une immigration extra-européenne en France. Les divergences concernent l’ampleur et la forme qu’elle prend dans les deux pays.

Du fait de son héritage esclavagiste, la ségrégation socio-spatiale des noirs a toujours été très forte aux Etats-Unis, parmi les plus fortes au monde, alors qu’en France, les populations non-européennes non jamais été autant ségréguées, dans le sens qu’elles habitent dans des quartiers multi-ethniques à l’origine. Il n’existe quasiment pas, jusqu’ici, de ghetto ethnique, entendu comme des quartiers de ville peuplés à 97 % par une seule ethnie. Il y a des quartiers à dominante maghrébine, mais pas encore à 97 %, c’est seulement à l’échelle d’un immeuble ou d’un ilot que l’on retrouve une concentration aussi forte en France.

Concernant la forme, les ghettos noirs américains se situent historiquement au cœur de la ville-centre, ce qui n’est pas le cas des quartiers populaires français qui se situent plutôt en périphérie des villes-centres ou en banlieue proche, même s’il existe certaines exceptions comme Marseille. Parallèlement, en France, les villes-centres continuent d’abriter des classes moyennes et des populations aisées alors qu’aux Etats-Unis, ces populations avaient, jusqu’à récemment, complètement déserté les villes-centres, le cas de Detroit, en constituant l’exemple extrême. 

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