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Faut-il changer l’objectif et l’objet social de nos entreprises ?
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Les entrepreneurs parlent aux Français

Les Etats, jusqu’alors, avaient été les détenteurs de l’intérêt général, du bien commun, de la garantie du vivre ensemble.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Peut-on changer la société en changeant l’objet social des entreprises ? L’entreprise est-elle sociale par nature ou par obligation ? L’entreprise est elle un objet social ou outil sans objet sociétal ? Le code a beau être civil, rend il l’entreprise civilisée ?

Nous pourrions remplacer cette tribune par au moins 200 questions. Que ce débat mériterait tout à fait d’ailleurs !

La seule conclusion qui s’impose, c’est que l’on ne peut en décider à la légère, et certainement pas en laissant un blanc seing à la Loi et au Juge. A la Loi car le devoir sociétal ne doit pas être examiné, précisé et dicté comme le droit du travail. Au Juge, car il n’a ni la légitimité, ni la réserve, ni la neutralité politique qui permettrait de préserver ce qui doit rester un objectif, une obligation de moyens, et non une obligation de résultat.

Tout d’abord pourquoi cette question est-elle posée ? A l’évidence, la faillite des Etats aimerait trouver un nouveau porteur du virus sociétal. Les Etats, jusqu’alors, avaient été les détenteurs de l’intérêt général, du bien commun, la garantie du vivre ensemble. Ils avaient également été le ciment qui scellait des pierres de natures différentes, plus ou moins solides, plus ou moins fragiles, pour maintenir un édifice social acceptable pour tous. Les gouvernements conservaient les fonctions régaliennes, l’éducation, la santé, la sécurité, la recherche. Mais tout cela, c’était avant.

Avant que leur paresse, leur corruption institutionnelle, leur paresse intellectuelle et leur contentement de soi, leur endogamie organisée à leur unique avantage et protection (reproduction), leur lâcheté à faire les réformes indispensables à adapter la société à son présent et la préparer à son avenir, leur préférence pour les mesures faciles comme le pouvoir d’achat et l’achat à crédit, hypothéquant, chaque jour un peu plus, l’avenir des générations qui leur succèderont. Bref, avant que l’homme d’Etat ne laisse place au rentier de la République. Passés en 30 ans de 30% d’endettement sur PIB à plus de 90%, dans tous les Etats occidentaux, l’Etat n’a plus les moyens de façonner la société, ni même de lui assurer son socle ou son ciment, et assiste impuissant, à la montée en force des entreprises, notamment digitales, au conseil d’administration des nations, avec des moyens que l’Etat n’a plus. L’entreprise qui elle n’a pas le choix que d’accepter la concurrence, l’innovation et les remises en cause permanentes, remplace en bonne fourmi, la cigale, qui voit, bien démunie, l’hiver sonner à sa porte avec insistance et détermination.

L’Etat se demande alors comment « refourguer » à l’entreprise, un devoir sociétal qu’elle n’a plus les moyens d’assumer, mais aimerait bien en conserver la maîtrise, et en retirer les bénéfices. Le politique n’aura ainsi pas besoin de remercier les entreprises, et au passage reconnaître leur rôle essentiel, mais remercier la Loi et ceux qui l’appliquent, avec vertu parfois, dogmatisme, toujours. C’est mon analyse de la commande faite à la Mission Sénard/Notat. Mais le talent, la sagesse et la hauteur de ce binôme indiscutable, nous permet d’être rassuré sur les contours des propositions qui pourraient être faites. Ils savent bien que donner les clés de cet engagement à la Loi, recèle un danger réel, et que manipuler les explosifs est aussi dangereux pour ceux qui les manipulent que pour le reste de la population.

Si l’Etat ne fait que demander aux entreprises de réparer un édifice non entretenu depuis 30 ans et à ses frais. Si l’Etat souhaite que l’entreprise soigne les conséquences de politiques dont il refuse de traiter les causes. Si c’est cela, alors nous manipulons de la nitroglycérine dans un véhicule instable et mouvant nommé Entreprise. Plutôt périlleux.

Si l’Etat demande aux entreprises de travailler à ses côtés pour enrichir la nation et contribuer à son équilibre, en faisant sa part du travail, à nouveau, alors on peut commencer à discuter.

Enfin, il ne faudrait pas imposer de façon uniforme, à toutes les entreprises, d’assumer un rôle sociétal, en feignant une fois de plus d’ignorer que 99% de nos entreprises ont moins de 250 salariés et n’ont en aucun cas, la capacité d’y contribuer dans les mêmes conditions que leurs lointaines cousines du CAC40. Les PME doivent recevoir un traitement particulier et ne pas être soumises aux mêmes obligations. De la même façon qu’une société cotée ne pourra jamais avoir la visée long terme d’un groupe familial. En clair vouloir imposer par la Loi une attitude et des obligations identiques à toutes les entreprises, est un échec couru d’avance, et une certitude de perdre bien plus que ce que nous gagnerons.

On peut donc introduire dans la loi, la perspective de l’intérêt général. Rappeler que les actionnaires auraient tout à gagner à avoir une nation riche, car une nation riche enrichira les entreprises. Une nation pauvre ne produit que des perdants. La loi pourrait donc aborder la notion d’intérêt sociétal, en la permettant, mais en aucun cas en l’imposant. Et quand je dis la Loi, encore faudrait il préciser de quelle Loi on parle. Il faudrait déjà que l’on replace l’objet social au bon endroit. A savoir, le code des sociétés.

Il ne faut pas laisser la Loi régir l’objet social pour une raison simple, c’est que ce serait déléguer son interprétation à celui qui s’est imposé comme le danger le plus important de ce pays. Le Juge. Politisé, déconnecté de la réalité, prompt à vouloir se payer l’entreprise pour satisfaire sa vision de la société, le Juge a pris un pouvoir qu’il n’a pas pour mission de prendre. Il interprète, déforme, et juge en dernier ressort, de façon rétroactive. Il faut donc éviter cela.

Enfin, le digital vient bouleverser tout cela, en ajoutant un élément de cohésion ou de déséquilibre qui pointe un peu plus son nez chaque jour et qui porte un nom qui fait peur à tout le monde : l’Indépendant ! Il n’est pas DANS l’entreprise, il faut donc l’intégrer à la réflexion, sinon il passera d’un statut d’indépendant à un statut d’abandonné.

L’entreprise a déjà un rôle sociétal, en ce sens qu’elle construit chaque jour la société. Des années de folie normative lui ont déjà imposé mille obligations, RSE, environnementales, handicap, diversité, pollution, jeunes, seniors, énergie, sans oublier ce que les CE et CHSCT surveillent et pressent au quotidien. Quoi de plus ?

Une part de plus en plus croissante des investisseurs, ajoute les performances sociétales des entreprises dans leurs critères d’investissement. C’est le cas des fonds animés par la Famille de Rothschild au Royaume Uni (voir Lynn Forester de Rothschild) ou de fonds en cours de montage par Bertrand Badré. Ces critères font leur entrée progressive, mais structurante dans le monde des entreprises.

Enfin, il ne faut pas oublier que si les groupes cotés cherchent des performances trimestrielles délirantes, imposées par leurs actionnaires, c’est que ces actionnaires sont notamment des fonds de pension, de retraite donc, qui doivent donc payer des retraites de plus en plus longues et lourdes. Et cela parce que les Etats n’ont pas voulu gérer le problème de la longévité des seniors, de l’âge de la retraite. Une fois de plus, on ne désigne pas les vrais coupables.

En clair, l’entreprise fait « déjà le job ». Pourrait-elle le faire mieux ? Oui. Mais ce n’est pas son objet social. Son objet c’est le profit, car le profit lui permet de réaliser et assumer des objectifs sociétaux qui dépasse son rôle premier.

Il faut donc plutôt corriger l’environnement, d’une part, et avancer groupé, d’autre part. Et enfin, ne pas lancer en France, une réforme qui nous isolerait et nous fragiliserait face à nos « concurrents » au moment où un petit frémissement pointe son nez.

Corriger l’environnement suppose de traiter de façon différente les PME et les grands groupes. Pousser à l’investissement dans les fonds qui changeraient leurs critères d’investissement. Permettre aux fondations de prendre de l’ampleur, financées par les entreprises qui y seraient incitées ou aidées. S’assurer que l’Etat s’engage lui aussi à prendre les mesures nécessaires pour que les entreprises ne s’épuisent pas à réparer son inaction ou ses erreurs.


Avancer groupé, en définissant un objectif commun au public et privé, mesuré par des indicateurs qui définissent un taux d’amélioration de la richesse nationale. Cela suppose aussi de revoir tous nos indicateurs à commencer par le PIB. La France peut être le pionnier de cette nouvelle mesure.

Avancer non sur la base de la loi mais d’une charte signée par les acteurs, avec des obligations variables selon la taille des entreprises. Expérimenter. Mesurer. Et négocier au niveau de l’Europe afin d’aboutir aux mêmes mesures sur ce continent.

Nous devons nous intéresser à la société, oui. Mais rendre les sociétés responsables, seules, de la société n’a pas de sens, ni de légitimité. Nous leur demandons suffisamment pour ne pas épuiser la dernière poule aux œufs encore dorés.

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