Familles monoparentales : la peur de les stigmatiser nous empêche-t-elle de mesurer l'ampleur de la catastrophe sociale qu'elles représentent ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2005, 2,8 millions d'enfants vivaient dans une famille monoparentale selon l'Insee.
En 2005, 2,8 millions d'enfants vivaient dans une famille monoparentale selon l'Insee.
©Reuters

Allô maman ?

En 2005, 2,8 millions d'enfants vivaient dans une famille monoparentale selon l'Insee. Depuis les années 1960, le nombre de ces familles, le plus souvent une mère seule avec ses enfants, n'a cessé d'augmenter.

Atlantico : La famille monoparentale est aujourd’hui une structure de plus en plus banale dans la société occidentale dont il est impossible de faire la critique sans être taxé de conservateur ou d’intolérant. Que sait-on aujourd’hui l’impact réel d’une éducation monoparentale sur la réussite des enfants ?

Gérard Neyrand :La stigmatisation des enfants vivant dans des familles monoparentales a relativement baissé en raison de deux facteurs. D’abord, l’augmentation des familles monoparentales en fait aujourd’hui une situation banale et en même temps le mariage perd de son importance en tant qu’institution fondatrice de la famille. Ensuite, les travaux sociologiques diffusés dans les années 1980 ont montré que l’impact éducatif sur les enfants était très faible. S’il existe un impact affectif sur les enfants au moment de la séparation, ils retrouvent un équilibre assez rapidement. La situation d’une famille monoparentale a peu d’impact sur la bonne éducation des enfants. Cela est lié au fait que le parent qui garde l’enfant s’investit davantage et sacrifie sa vie personnelle.

Pierre Duriot : Sous l’appellation "famille monoparentale" on trouve plus souvent une mère et son enfant qu’un père et son enfant. Mais en réalité, le paysage est extrêmement diversifié entre les mères gardant une vie de femme avec un travail et un compagnon présent épisodiquement ou en permanence, mais pas "officiellement" (qui peut d’ailleurs être le père biologique des enfants) et les mères qui ne sont plus "que mère". L’âge de l’enfant auquel il se retrouve en situation de monoparentalité intervient. Cela rend donc très variable les impacts sur les enfants. On peut avoir des enfants de familles monoparentales sans aucun souci. La qualité d’une éducation tient à la clarté pour l’enfant des cadres fixés et à leur solidité. De ce point de vue, un parent isolé rigoureux peut largement faire aussi bien et même mieux que deux parents dont l’un dit "oui" quand l’autre dit "non" en permanence à l’enfant. On constate hélas fréquemment le déplacement du statut de l’enfant et le duo mère/enfant va devenir un genre de couple improbable où l’enfant est le centre de toutes les attentions d’une mère uniquement mère et entièrement dévouée au service de son petit. Ce dernier va même très fréquemment intégrer le lit de la mère, achevant ainsi de former le "couple" et interdisant à la mère toute forme de recomposition familiale et même, toute vie sexuelle dans les cas les plus extrêmes. Ceci d’autant plus que l’enfant est un garçon. C’est se déplacement plus ou moins important de posture et de statut de l’enfant par rapport à l’adulte/parent qui va induire un décalage dans le milieu scolaire. A l’école, cet enfant sera quoi qu’il arrive un élève ordinaire, un "petit autre", "inférieur" donc à l’adulte, son professeur. Il acceptera d’autant moins son statut d’élève qu’il aura un statut central à la maison, au sein de sa famille monoparentale devenue "couple" où il tient le rôle principal de "dominant". Il existe même des facteurs encore aggravants, quand une jeune mère, avec son enfant, retourne chez sa mère, elle-aussi séparée, un cas de figure assez fréquemment rencontré. Et l’enfant se retrouve avec plusieurs "femmes" à son "service". Il bâtit donc une relation particulière aux dames qu’il va tenter de réitérer avec l’enseignant souvent une femme elle aussi, à l’école maternelle. Mais à contrario, la présence d’un grand-père aux principes solides peut remplacer un moment la figure paternelle. Après, tous les cas de figures sont extrêmement variés, selon les modèles paternels plus ou moins présents dans l’entourage de l’enfant et leurs attitudes vis-à-vis de l’enfant.

Outre le paramètre éducatif, ce que l’on appelle la "compensation" joue également un grand rôle dans le fonctionnement de la famille monoparentale. Ce principe consiste à "compenser" le manque d’un parent que l’on considère comme susceptible de faire souffrir l’enfant par une satisfaction permanente et sans délai de ses désirs. Également, le parent seul, souvent la mère, fragilisé après une séparation, peut se recroqueviller sur l’enfant, ou l’un de ses enfants, souvent le plus petit et se "soigner" en le surinvestissant, cela encore à divers degrés, ce qui élargit le champ des impacts sur les enfants. Cette compensation, en plus d’être parfaitement injustifiée pour l’enfant, aggrave à la longue sa construction en relation avec le monde réel dans lequel il va être amené à évoluer. Enfin, à l’opposé, on peut assister à des phénomènes de rejets plus ou moins violents par le parent de cet enfant qui incarne une vie passée et que l’on a envie d’oublier. On sait hélas, de manière statistique, que les enfants de familles monoparentales réussissent moins bien scolairement mais ce n’est heureusement pas une fatalité.

Le silence autour des effets de la monoparentalité est-il dû à la peur de stigmatiser les parents seuls ? Se préoccuper davantage du sort parents que des enfants n’est-il pas paradoxal ?

Gérard Neyrand : La difficulté des situations monoparentales est qu’elles sont toujours pensées au regard de l’impact sur l’enfant. Néanmoins, s’il y a un impact négatif de cette situation, il concerne davantage le parent que l’enfant. Et ce, parce que l’enfant bénéficie d’une protection particulière du parent qui l’élève, qui lui, en pâtit davantage.

Beaucoup de parents dans cette situation n’ont plus une minute à eux et sont à deux doigts de craquer car ils sont sur tous les fronts en même temps. Cela explique notamment le fait que les recompositions familiales sont moins fréquentes chez les parents qui s’occupent seuls de leurs enfants.

Pierre Duriot : Je ne parlerais pas de silence mais de discrétion. Travailler sur les effets de la monoparentalité exige de se plonger dans l’intimité de la relation parents/enfant, dans la verbalisation de problématiques familiales souvent douloureuses et cela ne peut se faire autrement que dans un minimum de confidentialité. Mais cela se fait et parents comme enfants ont des interlocuteurs, selon trois modes, selon que les uns et les autres ont chacun leur interlocuteur, ou un interlocuteur commun lors de thérapies familiales par exemple. Le silence peut être du à la réticence à appeler au secours, ce qui peut être vécu comme un aveu d’échec personnel et la tendance classique va être de cacher ses soucis et de tenter de s’en débrouiller. La sortie passe par la confiance et la confidentialité établies avec les personnels sensés aider les familles et état de faiblesse. Il n’y a pas de paradoxe à rendre des parents aptes à reprendre leurs rôles puisque ce sont eux les plus indiqués pour s’occuper de leurs enfants. Aider directement des enfants à l’extérieur de la famille et les remettre le soir à une famille en état de faiblesse n’aurait pas grand intérêt. En fait, il faut s’occuper de tout le monde avec le souci de rendre, au plus court terme possible, la famille capable de se passer d’aide sous peine de rendre indispensable une forme d’assistanat.

Admettre les dangers la famille monoparentale ne permettrait-il pas de déculpabiliser les parents et de les aider ?

Gérard Neyrand : Le gros problème des familles monoparentales est de pouvoir faire garder ses enfants. Les solutions sont relativement restreintes et le parent doit généralement chercher dans son entourage. Dans ces conditions, il est difficile pour ces parents d’investir autre chose que l’éducation des enfants. C’est une des raisons qui expliquent la précarité des familles monoparentales et des difficultés qu’elles ont à subsister au quotidien.

Pierre Duriot : Il n’y a pas danger "que" dans les familles monoparentales et considérer spécifiquement "les dangers des familles monoparentales" alors que certaines fonctionnent aussi bien que des familles classiques serait quelque chose de parfaitement erroné. La culpabilité des parents en cas d’échec éducatif touche également les familles ordinaires. On doit déculpabiliser globalement le fait d’être en difficulté avec son ou ses enfants de manière à ce que rencontrer un professionnel de l’enfance ne soit pas plus honteux que d’aller chez son médecin de famille. Il faut se souvenir que les processus d’aide ne peuvent se mettre en place correctement qu’à la demande des familles et avec leur collaboration, dans la confiance et la confidentialité et ne pas être imposés ou décrétés.

Quelles solutions pourrions-nous imaginer pour cela (assistance scolaire supplémentaire, modèle masculin ou féminin de substitution, autre adulte référent, statut juridique pour un oncle ou une tante…) ?  

Gérard Neyrand : Dans notre livre avec Patricia Rossi, Monoparentalité précaire et femme sujet (érès, 2007), nous avons évoqués des préconisations, le problème est qu’elles sont peu suivies. Nous avions notamment proposé que des lieux de garde avec des horaires atypiques soient créés. Souvent les mères célibataires qui travaillent ont des horaires décalés et le système social devrait donc pouvoir s’adapter. D’autres mesures renvoient à la possibilité que certaines personnes puissent se substituer et intervenir comme complément dans l’éducation. Cette solution est très peu mise en œuvre. Néanmoins, il existe un développement du parrainage. C’est la possibilité pour un bénévole de participer à l’éducation d’un enfant sur le modèle du parrainage pour soulager les personnes qui élèvent seules leurs enfants.

Pierre Duriot : "Quelles solutions" au pluriel sont effectivement les mots qui conviennent si j’en reviens à la multiplicité des cas de figures qui se cachent derrière la "famille monoparentale". Ce ne peut être que du cas par cas. Il faut faire ce qu’on appelle une anamnèse, dresser un historique et un constat, famille par famille et trouver des solutions avec des professionnels ou des membres des familles pouvant remplir des rôles éducatifs auprès des enfants. Parents, psychologues, enseignants, grands-parents, oncles et tantes, moniteurs de sport ou municipaux, maîtres d’internat, surveillants… peuvent trouver une place dans un dispositif d’aide. Plus largement et institutionnellement, il y aurait nécessité d’un rééquilibrage des sexes des personnels dans les milieux professionnels de la petite enfance : les crèches, les centres de loisirs, l’école… où les femmes représentent 90% des présences adultes. Mais cela non plus ne peut pas se décréter. Ce serait pourtant une composante importante dans les solutions à mettre en œuvre en matière de politique familiale et éducative. Enfin, d’un point de vue macro-social on sait que les situations de crise économique, de guerre, de précarité, favorisent la multiplication des cas de monoparentalité. Ces nouvelles familles ne sont donc pas un effet de mode mais la résultante d’une situation globale, les solutions à mettre en œuvre sont donc également largement globales.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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