Face au durcissement allemand et néerlandais sur les dettes, la France a-t-elle intérêt à se discipliner… ou à se rebeller ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre allemand des Finances Christian Lindner, le chancelier allemand Olaf Scholz et le ministre allemand de l'Économie et de la Protection du climat Robert Habeck lors d'une conférence de presse, le 6 mars 2023.
Le ministre allemand des Finances Christian Lindner, le chancelier allemand Olaf Scholz et le ministre allemand de l'Économie et de la Protection du climat Robert Habeck lors d'une conférence de presse, le 6 mars 2023.
©Odd ANDERSEN / AFP

Discipline budgétaire

Les Pays-Bas ont annoncé qu’ils s'alignaient sur la position allemande visant à imposer de nouvelles règles européennes sur le niveau de dette des Etats membres.

Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : L'Allemagne et les Pays-Bas prônent des objectifs minimaux de réduction de la dette. En la matière, la France est souvent pointée du doigt comme une mauvaise élève et elle a, de fait, une dette importante et un déficit qui l’est également. Mais face à cette nouvelle injonction, la France a-t-elle intérêt à se soumettre ou à combattre ?

Frédéric Farah : L'histoire des politiques économiques européennes prend la forme parfois d'un éternel recommencement. La question peut être vue de deux façons.

La première est de dire que le fardeau de la dette ne cesse de croître alors la seule réponse serait de calibrer l'austérité programmée.

Le seul salut ne pourrait venir que de la réduction des dépenses publiques et particulièrement de la sphère sociale. Nous en voyons l'acharnement avec les réformes successives des retraites.

Soit on se dit que l'on prend le problème par le mauvais bout et que réduire la dette ne passe pas par une mise à l'os de nos services publics dans tout le continent, mais par une vraie politique économique qui représente une rupture massive et franche avec le cycle néolibéral entamé à partir de 1979 en Europe.

Le programme est ambitieux et politiquement difficile à réaliser : définanciariser l'économie, revoir les règles de circulation des capitaux, réintroduire des monopoles intégrés en matière d'énergie, de transport, abandonner les principes néomanagériaux, replacer le dogme de la concurrence en Europe à une place subalterne au profit de l'environnement et de la justice sociale, revoir la place du libre-échange et la liste serait longue. 

Pour l'heure c'est la première position qui domine et qui est porté par les faucons peu vertueux par ailleurs. L'Allemagne et les Pays Bas qui ont mis en oeuvre des politiques non coopératives. L'Allemagne par les agendas Schröder, Merkel ont joué contre leurs partenaires. Les Pays-Bas sont un véritable paradis fiscal. 

Pensons qu'il y a 20 ans de cela s'ouvrait une crise sur ces questions budgétaires qui a donné lieu à une réforme du Pacte en 2005 pour tenir compte des circonstances exceptionnelles. L'Allemagne à l'époque était peu vertueuse, quant à la France, elle n'entrait pas dans les clous du Pacte. 

La crise Covid, et la crise russo ukrainienne ont montré que les règles avaient fait leur temps, mais la mauvaise herbe repousse toujours et le chantier de la réforme du Pacte est relancé avec toutes sortes d'acrobaties ou d'usines à gaz budgétaire.  

Alors il faut espérer que la France propose autre chose, refuse ces orientations. les rapports Franco-allemands ne sont pas au beau fixe.

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Mais je doute que nos élites au pouvoir veuillent rompre avec l'orthodoxie budgétaire comme cap à tenir. Alors oui, je les entends les arguments inlassablement répétés les français sont les champions des prélèvements obligatoires, de la dépense publique. Ce sont des positions généralistes creuses, car il faut observer la structure des prélèvements, la nature de nos dépenses, pouvoir distinguer et ce n'est pas simple une dépense d'investissement et de fonctionnement.

II y a tant à faire pour sortir des préjugés en la matière et remettre de la raison dans tout cela. En matière de dépense publique, l'écart entre la France  et la moyenne européenne est plus particulièrement important s'agissant des retraites, de la santé et du logement. On comprend mieux en retenant ces données ce qui est en train de jouer dans les débats sur les retraites. 

Les règles d'airain qui ont, par le passé, été imposées par l’Europe en matière budgétaire ont-elles eu les effets escomptés, en France comme ailleurs, sur la réduction de la dette et du déficit ?

Ces règles n'ont apporté ni la stabilité, ni la croissance et l'austérité subie par l'Union européenne entre 2011 et 2013  a été préjudiciable en termes d'emplois et de croissance. 

Ces règles ont nourri ce que le très regretté J.P. Fitoussi nommait la créativité comptable et ont été aveugles à la dette privée bien plus importante que la dette publique dans bien des cas. La Grèce contrairement à ce que l'on raconte est d'abord l'histoire problématique d'une dette privée avant de devenir une histoire de dette publique tout comme l'Espagne, l'Irlande dans les années 2010 2011. 

Le pacte de stabilité a eu des effets dépressifs sur l'investissement public européen qui a été maintenu à un niveau alarmant et qui le reste encore. L'armée Allemande n'est pas en état de combattre, sans parler des autres armées européennes qui aujourd'hui se réjouissent du soutien et du retour des Etats-Unis. Nos services publics sont à l'os. 

Il faut relire " la règle et le choix " de J P Fitoussi publié en 2004, c'est salutaire et ne pas oublier la juste formule de R Prodi sur la stupidité du Pacte. 

Quelle est la part imputable au fonctionnement de la zone euro ?

La zone euro est une zone structurellement déflationniste. En faisant de la stabilité des prix l'objectif principal de la BCE, les concepteurs de l'Euro ont accepté que toute croissance soutenue serait endiguée par une politique monétaire restrictive, car une activité soutenue pourrait générer de l'inflation. Depuis 1999, la zone euro n'a jamais été une zone de croissance dynamique. Avec plus de croissance, ce sont aussi plus de rentrées fiscales. D'autre part en rigidifiant la monnaie par des parités irrévocables, elle a fait de l'emploi et des salaires les variables d'ajustement. En 2017, M Draghi alors à la tête de la BCE s'était alarmée sur un niveau historiquement bas des salaires en Europe. Maintenant les salariés trinquent un peu plus, car une inflation inattendue surgit et voilà que les salariés sont pris dans une double morsure déflationniste et inflationniste.

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N'oublions pas que la libre circulation des capitaux désavantage le travail et exerce une pression à la baisse sur les salaires.

Dans ce cadre-là, ce sont les transferts sociaux qui ont permis d'atténuer tant la déflation que l'inflation présente. Tout cela a eu un prix pour les finances publiques. Et dans cette zone peu dynamique, l'Etat en France est devenu le grand assureur du secteur privé comme l'a montré la crise Covid ou encore l'ampleur des subventions aux entreprises. 

Ici nul besoin de parler des années de l'euro fort de 2001-2008 qui ont été redoutables pour notre industrie. La zone euro n'a pas été un facteur favorable par son fonctionnement à la réduction du poids des dettes publiques. La détente monétaire des années 2012 2022 a rendu impossible une nouvelle tempête en matière de dettes souveraines, mais les risques ne sont pas à écarter.

A quel point le donneur de leçon allemand s’en sort-il, entre autres, par une stratégie du cavalier solitaire visant à maximiser ses excédents commerciaux au détriment de tout le reste, demande intérieure et partenaires européens compris ?

La République fédérale allemande de l'ère Schroeder à nos jours peut difficilement jouer les donneuses de leçon. Elle a tellement travaillé contre ses partenaires par des stratégies non coopératives, a largement oeuvré pour la dépendance gazière du continent, s'est crispée contre la réforme du marché de l'électricité pour enfin le découpler du gaz.

Elle s'est livrée à une véritable opération de police contre la Grèce avec l'aide de la Commission et de la Banque centrale européenne. On peut dire que depuis la réunification allemande, on est passé d'une Allemagne européenne à une Europe Allemande. Elle a bénéficié d'un mark sous évalué, l'euro, de délocalisations de proximité dans l'ancien bloc de l'est, elle s'est tournée vers les émergents, a réduit sa participation à l'effort militaire de défense du continent. 

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Le pire dans cette affaire, c'est le recul de l'influence de la France qui n ' a pas su défendre véritablement ses intérêts et qui a pensé que moins de souveraineté de sa part lui donnerait plus d'influence et ferait changer l'Allemagne de direction en matière de politique économique.

Comment revenir à un système plus vertueux de libre échange qui soit gagnant gagnant et qui ne demande pas des efforts budgétaires inutiles ?

Il y a plusieurs questions dans la vôtre. Tout d'abord celle de l'organisation économique de cet ensemble qu'est l'Union européenne. Elle a été fondée sur la primauté du marché qui dans l'expression ultime de cette croyance, car il s'agit d'une croyance, apporterait la fameuse allocation optimale des ressources. Le signal prix ferait l'affaire et guiderait les comportements des agents. La concurrence est devenue le principe fondamental de l'ordre économique européen. Cette croyance a confiné à l'aveuglement et a fait perdre du temps aux européens et les a rendus vulnérables. Dans cette perspective, le salut ne pouvait venir que des réformes structurelles qui introduiraient les principes du marché partout où il était possible, en premier lieu le marché du travail. Sans compter la foi naïve dans le libre-échange et dans la mondialisation.

L'Union européenne devenant alors une sorte de centre commercial dans lequel les pays émergents  et la Chine en premier lieu est venu faire ses emplettes sans parler de l'Inde ou des puissances plus anciennes comme les Etats Unis. Nous étions devenus les idiots utiles de la mondialisation.

L'Allemagne et ses satellites ont tiré leurs épingles du jeu en faisant leur croissance sur le dos des autres. Au même moment, nous faisions l'euro la monnaie la plus mal foutue qui soit et dont le prix du sauvetage restera dans la mémoire de tous sans compter les  folies budgétaires aux noms absurdes et aux finalités inquiétantes: pacte de stabilité et de croissance, TSCG, two pack, six pack.

De l'acte unique en passant par Maastricht que de décennies perdues, alors aujourd'hui les dirigeants européens ne laissent pas de quoi espérer. Il y a un affaissement intellectuel, politique pour ne dire que cela des dirigeants aux affaires. Alors certes on peut se réjouir des quelques améliorations d'ici de là : embryon de mutualisation de dettes, achats groupés de biens stratégiques, aide aux assurances chômages nationales, meilleur filtrage des investissements directs à l'étranger, mais la philosophie générale demeure. 

L'Union européenne ne sait pas rompre avec la conditionnalité austéritaire qui accompagne toutes ses manifestations dites de solidarité. Le Mécanisme européen de stabilité, le plan next generation EU,  l'outil anti fragmentation de la BCE, les nouvelles règles budgétaires sont indexées à une logique importée du FMI, le plan d'ajustement structurel. 

Aujourd'hui, les Européens restent ensemble plus par la peur du vide qu'autre chose ou la peur des menaces qui les entoure. Lorsque le président Macron même très maladroitement exprime une position légèrement moins atlantiste sur la question de Taiwan, il se fait tancer par ses homologues et l'Allemagne au premier chef;  de vouloir sortir du cadre de protection américain. 

Je crains que nous perdions encore beaucoup de temps dans la cuisine budgétaire pour y préparer un énième plat indigeste que les citoyens seront contraints d'avaler sous une forme austéritaire à plus ou moins brève échéance. L'Union européenne par son fonctionnement, son soubassement idéologique peut difficilement oeuvrer pour une meilleure répartition des richesses ou encore pour réindustrialisation pleine et entière du continent. 

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