Face à la Russie : peut-on en même temps assumer une posture gaullienne ET ultra pro-européenne ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les portraits des dirigeants russe et français, Vladimir Poutine et Emmanuel Macron.
Les portraits des dirigeants russe et français, Vladimir Poutine et Emmanuel Macron.
©STEPHANE MAHE, Odd ANDERSEN / AFP / POOL

Ligne de crête

Et on ne parle pas là d’habileté sémantique mais de logique politique profonde au regard de ce qu’est l’UE dans son incarnation institutionnelle actuelle.

Dominique Moïsi

Dominique Moïsi

Dominique Moïsi est membre fondateur de l’IFRI (Institut Français des Relation Internationales), et auteur de La Géopolitique de l’Emotion et dernièrement de La Géopolitique des Séries ou le triomphe de la peur.

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Atlantico : Face à la Russie peut-on en même assumer une posture gaullienne ET ultra pro-européenne ? 

Dominique Moïsi : Il n’y a pas de contradiction à être gaulliste et Européen dans la situation actuelle face à la Russie. Le général De Gaulle avait sa vision de l’Europe. Il faut se comporter comme le faisait De Gaulle face à l’URSS à certains moments. En plein crise de Cuba, il reçoit l’ambassadeur d’URSS qui lui rappelle que Paris était à portée des missiles soviétiques et lui dit « Eh bien, monsieur l'ambassadeur, nous mourrons ensemble ». Cela, c’est le général de Gaulle, mais qui agit dans le cadre de l’alliance atlantique et de l’Europe, qu’il ne rejette pas du tout. Il faut être fort soit même et fort ensemble face au chantage d’un adversaire. Il faut emprunter à De Gaulle sa lucidité, sa volonté de ne pas céder. C’est lui qui disait aux Etats-Unis être « l’allié des mauvais jours ». Quand les choses vont bien, il peut essayer d’être l’intermédiaire entre Est et Ouest, mais quand les choses vont mal, il est clairement du côté de l’Ouest. Macron a un comportement conforme à cela : on essaie de négocier et lorsque ce n’est plus possible, on fait preuve de fermeté. Cela a été le cas de son discours aux Nations Unies.

Au regard de ce qu’est la France actuellement, quel poids réel nous offre notre puissance réelle ? Est-il encore possible d’être fort seul ?

Tout dépend de ce que l’on entend par là. Il y a évidemment un décalage entre le discours de la France, qui porte une volonté d’autonomie stratégique de l'Europe, et l'action de la France dans le conflit Ukrainien. Il est vrai que la France a fourni moins d’armes que l’Allemagne ou l’Italie. C’est aussi parce que la France est aussi beaucoup plus engagée sur d’autres conflits que ces deux pays.

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Notre poids réel n’est pas si grand que la France aimerait le voir, mais il est plus important que les critiques les plus acerbes le pensent. La France est une puissance moyenne de presque 70 millions d’habitants qui compte, plus que d’autres. Et le président de la République est tout de même pris au sérieux sur la scène internationale. Le couple France-Macron fonctionne.

Quelles sont les contradictions actuelles d’une ligne qui se voudrait gaullienne, non-alignée ?

Le non-alignement n’a pas de sens aujourd’hui. Même pour un pays comme l’Inde, depuis le sommet de Samarcande, on ne peut pas considérer qu’elle soit non alignée. Elle a fait la leçon à la Russie en Ouzbékistan, l’a condamnée clairement à l’ONU. Le non-alignement consistait, au moment de la guerre froide, à ne pas choisir entre l’Est et l’Ouest. Mais aujourd’hui, il y a un pays, la Russie, qui menace le système international et la survie de la planète. Cela crée une situation tout à fait nouvelle. Le non-alignement face à une puissance qui met en danger le monde, ce n’est pas possible.

Face à la menace nucléaire brandie par Vladimir Poutine, les interrogations se posent avec plus d’acuité pour la France, puissance nucléaire. Comment cela change-t-il les choses ?

Vladimir Poutine, acculé, semblant ne pas pouvoir accepter sa défaite, est dans une logique d’escalade. Le fait que nous soyons nous-même une puissance nucléaire change-t-il les choses ? Je ne sais pas. Si Poutine menace d’utiliser l’arme nucléaire, même tactique, le fait de posséder l’arme nucléaire ne change pas vraiment les choses. Nous sommes entrés dans un monde où le tabou du nucléaire a été brisé.

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Au regard de ce qu’est l’UE dans son incarnation institutionnelle actuelle, dans quelle mesure une posture internationale uniquement européenne serait-elle dommageable ? Sachant que l’Europe n’est pas véritablement au diapason sur ces questions ?

Sur le plan intérieur, les plus grandes divisions en Europe sont entre les démocraties illibérales comme la Hongrie, celles qui flirtent avec l’illibéralisme comme la Pologne, et peut-être bientôt l’Italie. Mais sur le plan de la politique internationale, exceptée la Hongrie qui garde un contact privilégié avec la Russie, il n’y a pas vraiment de failles. Poutine a réussi à unifier l’Europe contre lui.

A quel point l’Union européenne est-elle, pour la France, vectrice de puissance ?

Pendant longtemps, la France a vécu avec l’idée que l’Europe était le moyen de maintenir son image de grande puissance à travers d’autres moyens. Plus d’Europe voulait dire plus de France. Tout cela est bien moins évident aujourd’hui. La France n’a plus la confiance en elle-même qu’elle pouvait avoir. C’est un débat. L’élargissement vers l’Est s’est traduit, de facto, par un peu plus d’Allemagne et un peu moins de France.

Quand Emmanuel Macron parle de la nécessité de réfléchir à la recomposition du conseil de sécurité de l’ONU, quelle est la logique ?

C’est une logique de réinvention du multilatéralisme. Le conseil de sécurité de l’ONU n’est plus légitime car il n’est plus représentatif de ce que le monde est devenu. C’est ce qu’Emmanuel Macron cherche aussi à faire dans l’UE avec le vote à la majorité. Ce second objectif est peut-être atteignable, mais la recomposition du Conseil de sécurité est infiniment plus difficile. Car les membres permanents doivent accepter d’ouvrir les portes d’un club qui ne fonctionne plus, en particulier en raison de la politique de véto russe et chinoise. Ça n’arrivera que si cela se présente comme la seule alternative au suicide du système international. Je fais souvent la comparaison avec le traité de Westphalie sur la question religieuse. Il y a aujourd’hui deux défis existentiels, le réchauffement climatique et l’arme nucléaire. Pour y faire face, il faut une institution plus légitime, mais peut-on réinventer l’ONU ?

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Le partage du siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, évoqué parfois, est-il une solution ? Ou ne serait-ce qu’un amoindrissement inutile de la puissance française ?

C’est une question qui se pose depuis longtemps. L’idée que la France devait céder son siège à un siège franco-allemand, comme le proposait Jean François-Poncet, ou à l’Union européenne. Ceci dit, la France parle d’autant plus facilement de la recomposition du Conseil de sécurité qu’elle sait pertinemment que ce n’est aujourd’hui pas faisable. 

Quelle ligne de crête serait envisageable pour l’avenir ? Comment la construire ?

Pour le moment, il n’y a pas d’alternative à une politique d’alliance étroite avec les Etats-Unis, la Grande Bretagne, les anglo-saxons et le reste des pays européens. Il y a un danger présent et immédiat, la Russie, de Poutine. On verra demain comment les choses évolueront, mais pour le moment il ne s’agit pas de faire preuve d’originalité mais d’unité.

L’unité, malgré des aspirations différentes ?

Oui, car nous sommes dans une situation exceptionnelle. L’histoire s’est accélérée. Il faut une hiérarchie claire des menaces auxquelles nous faisons face. Une partie de la classe politique considère que la menace principale vient de l’islamisation du pays, du fondamentalisme, l’autre partie considère que la menace vient du capitalisme. Or, aujourd’hui, les menaces réelles sont l’utilisation de l’arme nucléaire et le réchauffement climatique. Il ne faut pas se tromper sur la hiérarchie.

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