Face à l'argent, les Américains sont de plus en plus gourmands, les Français de plus en plus résignés. Les raisons sont profondes<!-- --> | Atlantico.fr
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Un sondage très récent publié par Empower sur l'attitude des Américains face à l'argent révèle que 60 % d'entre eux pensent que l'argent est la clé du bonheur
Un sondage très récent publié par Empower sur l'attitude des Américains face à l'argent révèle que 60 % d'entre eux pensent que l'argent est la clé du bonheur
©Asif HASSAN / AFP

Atlantico Business

Pour les Américains, c’est l'argent qui fait le bonheur... Pour les Français, l’argent n'est pas le moteur mais une contrainte. Tout s’explique par le poids du modèle social qui hypothèque la performance économique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les rapports à l’argent dépendent beaucoup de la culture, de l’histoire et même des pratiques religieuses, mais les rapports à l’argent sont étroitement liés au système économique et notamment au rôle de l'État et au poids du modèle social.

Un sondage très récent publié par Empower sur l'attitude des Américains face à l'argent révèle que 60 % d'entre eux pensent que l'argent est la clé du bonheur. Et plus ils gagnent d'argent, plus leur bonheur est grand. Par conséquent, les Américains ont toujours envie de gagner plus. Le revenu médian des ménages américains est d'environ 74 000 dollars, soit 67 000 euros, mais les Américains déclarent que pour être très heureux, il leur en faudrait 4 fois plus. Les millennials, (la génération née entre 1980 et 1995,) s'avèrent très gourmands (ils mettent le prix d'accès au bonheur à plus de 500 000 dollars par an, quatre fois plus que ce que veulent gagner les générations précédentes, X et Z). À noter que les hommes sont plus ambitieux que les femmes, presque deux fois plus (380 000 dollars contre 182 000). #MeToo n'est pas passé par la case salaire, du moins pas encore. Mais, élément nouveau, la majorité des Américains pensent que, parallèlement au revenu annuel, ce qui compte, c’est l'existence d'un niveau de richesse. En moyenne, le bonheur et la sécurité commandent d’avoir un niveau de richesse accumulé équivalent à plus de 3 fois le revenu annuel, soit 1,6 million de dollars. Pour les milléniaux, cela peut être la maison, et c’est souvent un compte bancaire ou un portefeuille financier. Ceux qui arrivent au pouvoir dans le monde des affaires sont les plus gourmands. C’est le moyen idéal pour se sentir en sécurité. Faut dire que les taux zéro et l’argent facile pendant les dix dernières années leur ont donné des moyens.

Côté français, l'argent ne fait pas le bonheur, et si l'argent y contribue, on ne le dit pas. Les attitudes sont donc très différentes, les demandes d'augmentations de salaires sont fortes, mais la pression est surtout forte en période d'inflation, comme ces derniers mois. Leur rapport à l'argent a fait l'objet de nombreuses études, mais on ne perçoit pas un lien aussi direct entre l'argent ou la richesse et le bonheur personnel. La dernière enquête très fouillée remonte à la fin de l’année dernière. Elle avait été réalisée par l'IFOP à la demande du magazine Le Point en pleine crise économique et sociale (après le rebond de l'après-COVID).

Tout d’abord, les Français semblent plus décomplexés que les années précédentes, 83 % d'entre eux associent l'argent au plaisir, au bien-être, à l'épanouissement aussi. L'argent apparaît donc de moins en moins tabou, mais toujours très marqué politiquement, les sympathisants de la France insoumise apparaissant plus sévères, ils associent l'argent à l'injustice et à la corruption. Mais globalement, malgré une image plus positive, l'argent n'apparaît pas comme le moteur exclusif du bonheur. L'argent est en dernière position dans la hiérarchie avouée des facteurs de bien-être derrière la famille, le logement, « les amis ». Les riches, les vrais, suscitent toujours des sentiments négatifs, mais moins violents qu'au début du siècle, parce que la richesse est de plus en plus représentée comme le dividende d'un talent (sportif ou artistique) ou liée à une réussite individuelle, bénéficiant ainsi d'une forme de légitimité. Ce qui est très net, encore aujourd'hui, quel que soit le niveau de revenus annuel, les Français préfèrent épargner un maximum d'argent plutôt que de le dépenser. La masse d'épargne est un marqueur d'inquiétude à l'égard de l'avenir.

La comparaison entre le comportement américain et français est lourde d’enseignement.

- D'abord, l'appétit des Américains pour l'argent individuel en revenus annuels et en richesse accumulée vient principalement du fait qu'ils doivent gérer individuellement les risques liés à la santé et aux aléas de la vie. La sécurité sociale n'existe pas ; il faut payer des assurances et constituer sa retraite. Il faut aussi payer l'école et l'université des enfants. Quand en Europe et notamment en France on tient compte de tous les services publics qui sont gratuits, on s'aperçoit qu'ils corrigent très fortement le différentiel. Le Français ne gère pas en responsabilité sa retraite, ses assurances sociales et santé, l'école publique, etc., etc.

- Ensuite, il faut savoir et le rappeler, qu'en France et en Europe, ce sont les taxes, les impôts et les prélèvements sociaux qui paient ces services. Plus de 50 % de la vie quotidienne échappe à la responsabilité individuelle et se trouve socialisé. Si les services publics marchaient parfaitement bien, il n'y aurait aucun problème. Mais puisque les services publics sont défaillants, l'opinion supporte de moins en moins la charge fiscale que cela représente.

- Enfin, nous sommes en Europe et en France particulièrement devant une situation paradoxale de moins en moins supportable. D'un côté, les services publics sont gratuits, mais ils coûtent en impôts de plus en plus. D'un autre côté, les Français déçus s'inquiètent de leur avenir et ne se sentent plus en sécurité. D’où une proportion à épargner considérable (près de 20 %) alors que la charge fiscale est déjà trop lourde. Dans ces conditions, les demandes de revalorisation de salaires sont évidemment légitimes. Le corollaire de cette évolution serait de laisser aux individus le soin de gérer les risques santé et sociaux et de baisser la pression fiscale. Politiquement, la classe politique n'y est pas prête. C’est le problème français et plus généralement en Europe qui va devoir réviser le périmètre de l’action de l'État et améliorer le fonctionnement de son administration.

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