Explosion en vue ? La révolte gronde chez les agriculteurs français dans l’indifférence du reste du pays<!-- --> | Atlantico.fr
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"Retourner les panneaux, c’est dire gentiment et avec humour que l’Europe a perdu la boule. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et tout mettre en œuvre pour la saccager !", estime Sylvie Brunel.
"Retourner les panneaux, c’est dire gentiment et avec humour que l’Europe a perdu la boule. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et tout mettre en œuvre pour la saccager !", estime Sylvie Brunel.
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Ras-le-bol

Pour les agriculteurs, la situation est intenable : tout se passe comme si les autorités et la société ignoraient la réalité d’une profession pleinement engagée dans la transition écologique.

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel

Sylvie Brunel, Geographe, Ecrivain, spécialiste des questions agricoles, a notamment publié "Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre" (Buchet-Chastel), grand prix du livre eco 2023. Et "Sa Majesté le Maïs" (le Rocher) parution le 14 février 2024. 

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Atlantico : De nouvelles manifestations d'agriculteurs ont eu lieu hier dans le Tarn-et-Garonne et d'autres auront lieu ailleurs en France dans les prochains jours. Pourquoi ce vent de colère ? Faut-il craindre une explosion ? 

Sylvie Brunel : Pour les agriculteurs français, la situation est intenable et inacceptable : plus ils en font, plus on leur demande ! Tout se passe comme si les autorités et la société ignoraient la réalité d’une profession pleinement engagée dans la transition écologique, qui doit continuer à produire pour nous nourrir, tout en sécurisant son revenu.

Sous la pression de la société et des autorités, le monde agricole s’est engagé dans une profonde remise en question de ses pratiques, c’est aujourd’hui une des professions les plus avancées au monde, avec une irrigation de précision, le recours à des outils d’aide à la décision (cartographie satellitaire des parcelles, pulvérisation high-tech visant à ne délivrer que la dose exacte, au bon endroit au bon moment), une recherche agronomique de pointe… Mais les prix ne suivent pas, et les normes se multiplient.

Pire encore, l’Europe resserre la vis sur les producteurs tout en ouvrant largement ses frontières à des produits qui n’ont rien à voir, en termes de méthodes, de produits, de bien-être animal, à ce qu’on exige chez nous !

Les normes sont de plus en plus drastiques, les calendriers, de plus en plus resserrés, les contrôles, de plus en plus tatillons, assortis d’amendes colossales. Et les restrictions (molécules de traitement, eau d’irrigation, engrais…) se multiplient. C’est de la folie !

Un seul exemple : l’Europe est devenue la première importatrice mondiale de maïs, une des plantes les plus efficaces pour nourrir, préserver les sols, capter le carbone et fournir de la chimie verte, La France est pourtant la première exportatrice mondiale de semences de maïs, ce nerf de la guerre alimentaire. Mais tout est fait pour décourager les producteurs, à commencer par les attaques irresponsables des activistes. Les destructeurs d’infrastructures agricoles bénéficient de la clémence des autorités et de la justice, alors qu’ils bafouent les droits fondamentaux de la République, pénétrant dans des propriétés privées pour les saccager, empêchant la profession agricole de nous nourrir de bons produits en toute sécurité. Un autre exemple : l’irrigation. Il faudrait laisser se perdre l’eau qui tombe en abondance depuis des semaines sur la France pour en manquer cet été ? On marche sur la tête !

Les agriculteurs ont lancé un autre mouvement depuis plusieurs semaines, celui de retourner les panneaux à l'entrée des villes. Quel est le message qu'ils souhaitent faire passer ? 

Justement celui-là : on marche sur la tête ! Retourner les panneaux, c’est dire gentiment et avec humour que l’Europe a perdu la boule. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et tout mettre en œuvre pour la saccager ! Avec des départs en retraite massifs, et des gens qui se découragent, la profession agricole est engagée aujourd’hui dans un grand renouvellement, il faut installer des jeunes sur des exploitations viables, sécuriser leurs débouchés. Ça passe par le fait d’éviter la concurrence déloyale, avec des produits (volailles ukrainiennes, viandes américaines, miels frelatés, fruits et légumes traités avec des produits interdits ici) que nous ne voudrions pas voir cultiver et élever chez nous, mais qui envahissent les linéaires de la grande distribution. Les grandes surfaces jouent un jeu trouble, prétendant défendre le consommateur, en quête des prix les plus bas, en privilégiant les importations pour préserver leurs marges. Au détriment des producteurs français. On est en train de « désagriculturaliser » la France ! Bientôt, nous allons manquer de lait, un comble pour le pays des fromages !

Quels sont les points d'achoppement entre l'Etat et les agriculteurs ? Le plan eau ? L'inflation ? Le prix des carburants ?

Tout cela plus l’extension des zones protégées, le retour du loup, les difficultés à traiter alors que les risques bactériologiques reviennent en force. Les taxes (redevance pour pollution diffuse par exemple) se multiplient, le coût de l’énergie est prohibitif, les restrictions à l’irrigation sont des aberrations : en un mois, il est tombé un an de pluie dans certaines régions ! Si les réservoirs avaient pu être remplis, au lieu d’être détruits, nous n’aurions pas pleuré l’été prochain sur la sécheresse ! L’eau qu’on stocke, c’est de l’eau pour tous. Non seulement l’eau qui nourrit, mais l’eau contre l’incendie, et bien sûr l’eau potable, l’eau des paysages, l’eau de la biodiversité.

Les agriculteurs en ont assez qu’on les renvoie toujours au bon vieux temps de pépé-mémé, qui signifie pénibilité, précarité, pression parasitaire, pauvreté. Les gens les maltraitent car ils ont oublié dont nous venions, la faim, les maladies. Tout le monde croit connaître l’agriculture, alors que les défis à relever, climatiques, agronomiques, économiques et sanitaires sont colossaux.

La puissance aujourd’hui repose sur la souveraineté alimentaire. Mais en France, tout est fait pour l’amoindrir. Nous devenons un pays dépendant de nos importations, alors que nous avons une des meilleures agricultures du monde, plurielle, propre, performante, qui façonne nos paysages, nous donne une gastronomie d’exception, et nourrit les régions déficitaires à nos portes, où le prix de la nourriture déclenche les guerres et les migrations.

La situation est grave et sans un sursaut politique, les entreprises agricoles partiront vers des cieux plus cléments. En Chine, souveraineté alimentaire se dit souveraineté des grains. Et Poutine, après le gaz, nous livrera demain les semences que nous ne produirons plus chez nous.

Le gouvernement entend-il cette colère ? Fait-il la sourde oreille ? A quoi s'attendre dans les prochaines semaines ? 

Une colère qui monte n’est jamais bonne pour un pays. Je sens chez les agriculteurs un ras-le-bol généralisé. Toutes les révolutions ont commencé par ce qu’on appelait hier des jacqueries. L’agriculture est une priorité stratégique, préserver nos forces agricoles relève de l’intérêt national.

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