Existe-t-il une "nation corse" au sens politique du terme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un drapeau déchiré flotte au-dessus du port d'Ajaccio en décembre 2007.
Un drapeau déchiré flotte au-dessus du port d'Ajaccio en décembre 2007.
©STEPHAN AGOSTINI / AFP

Bonnes feuilles

Paul-François Paoli publie « France-Corse. Je t'aime moi non plus : Réflexions sur un quiproquo historique » aux éditions de L’Observatoire. Autrefois, jamais un Corse n’aurait osé dire qu’il n’était pas français. Aujourd’hui, cette objection ne se limite plus aux indépendantistes. Que s’est-il donc passé ?  La Corse française ? Jusque dans les années 1970, c’était une évidence. Mais cette époque est révolue et on a désormais l’impression que beaucoup de Corses sont Français malgré eux. Comment en est-on arrivé là ? Extrait 2/2.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Attachons-nous maintenant à un problème d’ordre logique. Les idéologies se dénoncent parfois d’elles-mêmes quand on les pousse à l’extrême. Les nationalistes corses nous ont habitués à considérer qu’existait un peuple corse historique, distinct du peuple français et qui a expérimenté l’indépendance avec Pascal Paoli quinze ans durant. Ce fait n’est pas contestable. Mais voici qu’ayant perdu son indépendance, ce peuple s’est par la suite associé à la France. Les Corses sont devenus des Français de droit, des  Français de cœur aussi pour beaucoup, sans cesser d’être corses pour autant. À travers le désastre de la Première Guerre mondiale et celui de l’émigration, la Corse s’est évidée de sa substance vitale. Il n’y avait plus que 150 000  habitants dans l’île en 1955, alors qu’elle en comptait 300 000 en 1914 ! Voilà le désastre que la Corse a subi et qu’elle a en partie surmonté ces cinquante dernières années en se repeuplant partiellement.

Et maintenant ? Existe-t-il une « nation corse » au sens politique du terme ? Il faudrait, pour que cette nation existât, qu’une volonté commune pousse les Corses de l’extérieur comme de l’intérieur à investir la Corse afin de lui donner un destin politique propre. Dans l’absolu pourquoi pas ? Pourquoi le « miracle israélien » ne serait-il pas possible en Corse ? Il y a cependant peu de chances que ce cas de figure se produise. Parce qu’on ne crée pas une nation au forceps de l’idéologie. Les Juifs d’Europe de l’Est ont créé Israël parce qu’ils y ont été forcés par l’exil, les massacres et la persécution. Les Corses n’ont jamais vécu ces tragédies. Les Corses n’ont jamais été persécutés, bien au contraire, au vu des places et des pouvoirs qu’ils ont conquis sur le continent. Dès lors, pourquoi souhaiter l’indépendance vis-à-vis d’un pays qui est devenu le vôtre ? C’est ici que les nationalistes défient la logique. S’ils se reconnaissent français à quoi bon être nationalistes ? Et s’ils ne sont pas français, comment ne pas être indépendantistes ? S’il existe « un peuple corse » absolument distinct du peuple français, il n’y a aucune raison pour que la Corse ne soit pas indépendante. Sauf que cette assertion est infondée parce que beaucoup de Corses mariés à des pinzuti ont des enfants qui sont corses et français. Leurs enfants sont-ils plus corses que français ou l’inverse ? On entre ici dans un casse-tête identitaire absurde. J’ai des neveux et des nièces dont les parents sont tout ensemble corses et français. Imaginons que demain la Corse soit indépendante, leur choix sera impossible à faire, car ils aiment la Corse comme une part d’eux-mêmes sans pour autant considérer qu’elle est un pays de substitution à la France. Nonobstant, ce casse-tête peut être tranché jusqu’à un certain point par la question de la langue. Quelle langue parlent-ils et écrivent-ils au quotidien ? Le français. Dans quelles grandes écoles souhaitent-ils que leurs enfants fassent des études ? Les faits parlent d’eux-mêmes. Nous connaissons tous des indépendantistes du dimanche dont les enfants ont fait Sciences Po, Saint-Cyr, HEC… Ou  ces gens sont schizophrènes ou ils sont malhonnêtes, ou un peu des deux à la fois. On peut être français et ne pas aimer outre mesure ce qu’est devenue la France, c’est même une des manières les plus courues de l’être aujourd’hui. On peut être français et francophobe, et ne pas être français tout en étant francophile, comme tant d’étrangers le sont.

Il n’y a donc pas, à nos yeux, de « peuple corse » complètement distinct du peuple français, mais une communauté corse qui est partie intégrante d’une communauté nationale devenue de plus en plus diverse et aléatoire du fait que nombre de Français, notamment parmi les « élites », ont cessé de s’identifier à leur pays. Néanmoins, formellement, il existe encore une nation française dont la Corse est partie prenante. Celle-ci constitue selon nous une entité plutôt qu’une nation, car il paraît difficile sur le plan logique d’appartenir à deux nations à la fois, et c’est d’ailleurs pourquoi la double nationalité pose de graves problèmes d’identité. L’idée de nation induit la possibilité d’une sécession, et celle-ci n’est pas complètement à exclure dans le cas corse malheureusement. Si la population de plus en plus « archipellisée » de ce pays cesse de s’identifier à la France alors l’association entre la Corse et la France n’aura, à vrai dire, plus de raison d’être. Comment ferait-on partie d’une nation qui n’en est plus une ? Quelle raison auraient les Corses de rester français, si les Français eux-mêmes ou ceux que la nationalité désigne comme tels ne voient plus guère ce que ce mot signifie ? À quoi bon continuer de porter un nom qui ne fait plus sens ou dont le sens se réduit à une entité administrative ?

Pourquoi les Corses devraient-ils continuer d’être français si tant de Français, notamment parmi les plus jeunes, ont renoncé à habiter ce mot ?

A lire aussi : La Corse et la France : un véritable mariage d’amour 

Extrait du livre de Paul-François Paoli, « France-Corse. Je t'aime moi non plus: Réflexions sur un quiproquo historique », publié aux éditions de L’Observatoire

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