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Euthanasie : la Belgique pourrait revenir sur une loi dont un cas extrême prouve qu’elle ouvre la porte à trop de dérives
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Suicide assisté

Lors d’un reportage diffusé dans l’émission flamande Terzake(VRT), un nouveau cas d’euthanasie controversé a suscité de vives réactions et interrogations. Il s'agit de celui de Tine Nys, une femme de 38 ans qui souffrait d'une maladie psychique apparue après une séparation amoureuse. 5 ans après, sa famille s'insurge et dénonce la décision hâtive non concertée de la part des médecins.

Carine Brochier

Carine Brochier

Carine Brochier est économiste de formation, mais s'est très vite positionnée sur les questions de bioéthique. Depuis dix ans, elle travaille au sein de l'Institut Européen de Bioéthique basé à Bruxelles. Elle anime débats, conférences et est l'auteur de nombreux rapports, dont Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique.

Elle anime également quelques émissions dans les médias belges.

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Atlantico : La famille de Tine Nys s'interroge sur le fait qu'aucun traitement n'ait été entrepris et déplore l’amateurisme du médecin qui aurait mal préparé la procédure et comparé l’euthanasie de la patiente à "une injection létale administrée à un animal domestique aimé pour mettre fin à ses souffrances.". Le partenaire chrétien-démocrate (CD&V) de la majorité fédérale au gouvernement s'appuie sur cette histoire pour demander une révision de la loi sur l'euthanasie. En quoi ce cas est-il révélateur des défaillances de la loi très controversée sur l'euthanasie, votée il y a 14 ans ?

Carine Brochier : Qu'il s'agisse des politiques ou de la population, de plus en plus de Belges s'accordent pour dire que cette loi est difficilement applicable. Les termes de la loi sont quasi-incontrôlables. Comment peut-on vérifier, de manière objective, qu'une souffrance psychique telle que celle de Tine Nys est pour toujours inapaisable et restera intraitable ?

Il s'agit justement de la question soulevée par l'histoire de Tine Nys. De la même manière, récemment le cas de Laura-Emily avait suscité de vives réactions. Cette dernière avait demandé à être euthanasiée suite à une souffrance psychique, puis elle s'est résignée au dernier moment, estimant qu'elle pouvait continuer à espérer s'en sortir. 200 personnalités avaient alors co-signé une lettre qui exprimait le fait que personne ne pouvait affirmer qu'il est impossible de soulager une souffrance psychique, sans passer par la mort. La souffrance psychique est une question tellement subjective !

A l'origine de cette loi, les législateurs avaient certainement l'intention de bien l'encadrer. Néanmoins, nous nous apercevons qu'elle n'est ni encadrable, ni contrôlable.

Justement, la famille dénonce une "négligence" de la part de la Commission de contrôle de l'euthanasie. Dans quelle mesure le contrôle est-il effectivement exercé ?

Dans un premier temps, les médecins qui pratiquent une euthanasie doivent le déclarer a posteriori auprès de la commission d'évaluation. Or, de nombreux médecins ne le font pas. Seulement, une impunité s'installe de plus en plus dans le monde médical et elle conforte les médecins à ne pas faire leurs déclarations. Elle n'avait d'ailleurs pas été faite pour Tine Nys, ce qui confirme à nouveau que de nombreuses euthanasies sont pratiquées illégalement.

En outre, la composition de la commission d'évaluation laisse sceptique. Elle est composée entre autre, de médecins favorables à l'euthanasie. L’examen des cas pour avaliser une euthanasie se base sur la déclaration rédigée par le médecin qui a lui-même euthanasié son patient. Aucun regard, et on peut le comprendre d’une certaine façon, sur le dossier médical du patient. Peut-on vraiment espérer que dans ce cadre, le contrôle se réalise correctement ?

Enfin, les candidats à la commission doivent éplucher quelques 200 dossiers par mois, en plus de leur travail quotidien. Pensez-vous vraiment, que cela puisse être fait sérieusement ?

Le contrôle est franchement maigre.

Depuis l'application de la loi, n'avance t-on pas sur une pente glissante qui favorisera toujours plus de flexibilité ? Qu'est-ce qui tend à laisser craindre un tel scénario (exemples étrangers, autres lois sociétales...) ?

Il est certain que nous avançons sur une pente glissante. Nous sommes partis d'un cadre juridique soi-disant solide. Or, aujourd'hui, nous réalisons que nous ne contrôlons pas la situation et qu'aucun organe ne s'en charge. Parallèlement, les médecins ne sont pas punis et la justice ne fait preuve d'aucune volonté pour s'en charger. J'ai suivi plusieurs plaintes qui avaient été déposées au parquet pour "délit d'euthanasie". Très rarement, alors qu’il en aurait le droit, ce dernier se donne la peine d'aller explorer le dossier médical du patient décédé. A nouveau, il n'y a aucune volonté politique de s'occuper sérieusement de ces affaires.

Plus les années passent, plus nous réalisons à quel point cette loi peut-être interprétée largement. A la base, l'idée de cette loi était d'ouvrir l'euthanasie à titre exceptionnel. Aujourd'hui, elle est présentée comme une norme. C'est d'ailleurs cette acceptation sociale qui provoque une impunité de certains médecins.

Aussi, en Belgique, les patients sont rois. Une autre loi sur le droit des patients prévoit que ce dernier est en droit de refuser tout traitement et même tout acte qui soulagerait durablement la douleur. C’est ainsi qu’il dispose de tous les droits : il peut mourir, ne pas se soigner. Finalement, les médecins sont soumis à la volonté des patients. Il s'agit d'ailleurs du slogan d'une association pro-euthanasie "Ma volonté fait loi".

Finalement, à quoi cela sert de chercher à encadrer, puisque les termes de la loi sont tellement élastiques dans leur interprétation …

Le cas de Tine Nys pousse les politiques belges à s'interroger sur la pratique réelle de l'euthanasie. Certains médecins et politiques tels que le Dr Verslype  et le sénateur chrétien-démocrate Steven Vanackere commencent à prendre la parole pour dénoncer un manque de cadre législatif laissant place à toutes les dérives. S'agit-il d'une prise de conscience ? Est-elle partagée ?

Il est certain que quelque chose se passe. Après l’encadrement de l’euthanasie des mineurs dans certaines conditions « très strictes », celui de Laura-Emily et aussi celui de Simona De Moor, voici l’histoire de Tine Nys ... Cela fait beaucoup en trois mois…Serait-ce le déclencheur et l’indice que certains se réveillent en réalisant que tout cela allait trop loin ? D’un autre côté, nous constatons un réveil politique. La réputation de la Belgique étant en jeu, certains partis ont compris qu’il était nécessaire d’ouvrir les yeux sur la réalité. Maintenant, il faudrait que naisse une volonté politique, pour que la loi soit respectée, pour contrôler davantage et pour punir les dérives.

Dans l’immédiat, il n’est pas encore question de faire marche arrière sur la loi.  

Jean-Jacques De Gucht (Open Vld), partisan de la loi, se dit également prêt à rouvrir le débat. De fait, peut-on s'attendre à ce que la loi soit révisée ? Pour aboutir à quel résultat in fine ?

Le débat peut être ré-ouvert. Il n’est pas question de tout revoir, mais simplement d’avoir l’honnêteté intellectuelle de voir que nous ne contrôlons pas cette loi, et ainsi de lui imposer des barrières.

Néanmoins, réviser la loi est un danger. Certains militants pro-euthanasie ne seraient pas contre ouvrir toute la loi et se saisir de l’ouverture pour l’élargir davantage.

Que peut-on en tirer comme leçon quant à notre avancée législative ?

La Belgique ne contrôle pas sa loi, malgré les mots bien choisis sur le papier. La France a eu également des difficultés à choisir les mots à mettre dans la loi. L’exemple de la Belgique montre que cela ne suffit pas, et que l’impact sur la mentalité de la société est énorme. Si nous permettons la mort provoquée, automatiquement, nous basculons dans une société où la solidarité est mise à mal. Nous voyons dans le monde un raz-de-marée idéologique sur les sujets de société qui invite à toujours plus de dérives.

Cécile Picco

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