Européennes : les populistes eurosceptiques risquent-ils en fait de faire chou blanc ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pas sûr que les eurosceptiques percent aux éléctions européennes.
Pas sûr que les eurosceptiques percent aux éléctions européennes.
©Reuters

Prospectives

L'approfondissement de la crise laisse envisager d'après de nombreux commentateurs un véritable "raz-de-marée" populiste en vue des prochaines élections européennes, d'aucuns allant jusqu'à s'inquiéter d'une répétition des années 1930 sur le Vieux Continent.

Atlantico : Faut-il oui ou non s'attendre à une razzia populiste au Parlement de Strasbourg ?

Gérard Bossuat : La situation est-elle celle des années 1930 ? Les structures internationales de dialogue en temps de crise sont bien plus développées qu’en 1930/ (FMI, ONU, BIRD, OMC) et surtout il existe une Union européenne dont les institutions fonctionnent pour envisager ensemble les solutions à apporter. Le système communautaire européen a fonctionné pour apporter une solution à la crise bancaire et à la faillite de la Grèce (Mécanisme européen de stabilité, 2010, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) mars 2012, Union bancaire de décembre 2013). Certes la réponse a été longue, trop longue, couteuse pour les États et les citoyens, peu amène pour les pays en difficulté et méprisante pour les « pauvres » de l’Union. Les politiques sociales de protection des chômeurs, différentes selon les États-membres, fonctionnent partout en Europe. L’austérité imposée aux populations n’est pas la bonne solution comme le reconnaît Paul Krugman prix Nobel d’économie. Les solutions ultra-libérales de la crise semblent donc remises en cause si bien que l’appel des extrêmes à la révolte contre l’UE, dispensatrice de rigueur inhumaine, selon elles, est moins entendu qu’il y a quelques mois.  

Toutefois la crise est grave dans la mesure où le chômage brise des vies et que l’UE comme la classe politique française semblent  hésiter sur la marche à suivre, même si le gouvernement français fait de la lutte contre le chômage sa priorité. Elle est grave parce que la nature de la production des richesses a changé radicalement dans les grands pays industrialisés. Cet environnement, différent de celui des années 1930, génère cependant de l’angoisse propice au populisme. D’un autre côté les populismes ont de tout temps existé. Ils ont représenté en France un courant récurrent plus ou moins actif selon la situation politique. A la fin du XIXe le boulangisme, du nom du général Boulanger, antirépublicain et antiparlementaire, a menacé la IIIe République ; des mouvements populistes, entre les deux guerres ont tenté d’exploiter les scandales financiers qui ont touché des notables de la République (affaire Marthe Hanau, Oustric, Stavisky) ; le populisme se développe alors sur un fond de rancœurs en raison de la crise de 29, attisant la xénophobie, s’en prenant à l’accueil des immigrés, aux Juifs étrangers. Il voisine aussi avec les ligues d’extrême droite et même le Parti communiste qui dénoncent « la décadence » de la IIIe République. Après la guerre, Pierre Poujade, le papetier de Saint-Céré, appelait à la révolte contre les impôts et contre l’État. Le poujadisme semble bien être le produit d’une mutation économique dans les années de modernisation, au moment du passage d’une économie très rurale à une économie de consommation de masse qui détruisait l’emploi des petits commerçants et des petits agriculteurs. Le populisme est donc un phénomène connu et explicable mais soluble dans la pratique de la démocratie politique et la croissance économique.

Les élections européennes pourraient être l’événement qui suscitera le rassemblement des populismes européens, des opposants à la gauche de gouvernement et à la tradition républicaine. Elles dresseront, semble-t-il, deux camps, celui des héritiers des Lumières et celui de l’ordre naturel conforté par les religions. Toutefois rien n’est simple et les citoyens européens sont invités à réfléchir aux programmes pour l’avenir de l’Europe des trois grands courants d’opinion européens: les Chrétiens-démocrates, les Socialistes et Sociaux-démocrates, les Libéraux.

L’historien ne peut prévoir l’avenir et se refuse à toute prophétie. Seuls les sondages pré-électoraux peuvent donner une image de l’état de l’opinion au moment où ils sont produits. Par comparaison avec les élections européennes précédentes le moment est plus favorable à une poussée populiste que précédemment, c’est-à-dire à une mise en cause de la construction européenne et plus précisément du système communautaire. Est-ce raisonnable d’accepter cette dérive ?

Christophe Bouillaud : Qu'entend-on par "razzia populiste" en l’occurrence ? Il faut d'abord définir ce qu'on entend par ce terme de "populisme". Dans le langage actuel, qualifier un parti de populiste, c'est surtout dire que ce parti est exclu de longue date des différents lieux de pouvoir (locaux, nationaux, européens). Un parti populiste aujourd'hui, c'est en effet essentiellement un parti qui n'a pas l'expérience du pouvoir et n'en subit du coup ni l'usure ni l’opprobre. Il peut tout promettre sans trop être contredit par la réalité. Au niveau européen, la qualification populiste peut alors désigner dans un premier sens l'ensemble des forces politiques qui n'appartiennent justement pas aux trois grands partis trans-européens établis dans les années 1970 et qui dominent l'Europe depuis lors. Ces trois partis - le Parti populaire européen (PPE), le Parti socialiste européen (PSE) et l'Alliance des libéraux et démocrates pour l'Europe (ALDE, anciennement ELDR avant 2012) - regroupent les partis nationaux qui ont appuyé tous les grandes décisions européennes depuis la création de la CECA et du Marché commun. Parce que leurs membres nationaux ont participé  depuis 1945 à l'immense majorité des gouvernements démocratiques européens, ils ont dominé la composition de toutes les Commissions européennes depuis que cette institution supranationale existe.

Seraient alors populistes tous les partis qui n'appartiennent pas au triumvirat PPE-ALDE-PSE. De fait, il existe aussi quelques autres partis européens à leur gauche ou à leur droite, qui ont participé aux pouvoirs locaux ou nationaux, et qui ont approuvé certaines évolutions européennes. Il s'agit en particulier, à gauche, du Parti vert européen, qui regroupe la plupart des partis écologistes européens et se veut fédéraliste, et à droite, des divers partis européens ou groupes parlementaires, qui regroupent ou ont regroupé les conservateurs à la fois les plus ouvertement anti-fédéralistes (dont jadis les gaullistes) et les plus habitués à gouverner leur pays respectif (donc à siéger ès qualités au Conseil européen). Il s'agit pour la législature qui s'achève cette année du regroupement organisé au Parlement européen autour des conservateurs britanniques et de l'ODS tchèque, qui s'appelle l'ECR (European Conservatives and Reformists). En pratique, ces partis tiennent un discours très anti-européen, ou "eurosceptique", à destination de leurs électorats, tout en continuant à participer au concert européen habituel.  La promesse de David Cameron d'organiser un référendum au Royaume-Uni en 2017 sur l'appartenance de son pays à l'Union européenne n'empêche pas le même homme d'être par ailleurs un gouvernant tout à fait classique, et on ne peut le classer comme populiste que par un abus de langage tant son parti incarne le parti de gouvernement par excellence. Le cas des partis appartenant au Parti de la gauche européenne (PGE), c'est à dire les partis issus du giron communiste, est quant à lui plus ambigu. Ils sont clairement dans l'opposition à Bruxelles. Opposés à "l'Europe du capital", ces partis sont cependant "internationalistes" par définition, donc favorables à l'unification européenne, ils ont parfois participé à des gouvernements nationaux (comme récemment à Chypre), ont encore parfois un poids local non négligeable (comme le PCF en France ou die Linke dans l'ancienne RDA). Cependant, certains des affiliés du PGE sont parfois qualifiés de populistes, surtout ceux qui ne sont pas ou plus directement reliés à la matrice stalinienne du communisme européen, ou qui ne l'ont jamais été, souvent d'ailleurs ceux qui n'ont pas d'expérience gouvernementale (cas des Pays-Bas par exemple).  

De fait, comme les partis durablement qualifiés de populistes par leurs adversaires, par les médias, et par les commentateurs,  sont en pratique tous les partis exclus des pouvoirs locaux, nationaux, et européens depuis 1945, le cas des communistes est ambigu. Quoi qu'il en soit, en dehors du populisme de gauche des partis liés au PGE, pour le populisme contemporain, il s'agit essentiellement, d'une part, du vaste monde des formations d'extrême-droite, soit essentiellement sur le continent des héritiers directs ou indirects des vaincus de 1945, et, d'autre part, des formations politiques qui paraissent inclassables au regard des catégories traditionnelles de la gauche, de la droite et du centre. Ces inclassables apparaissent à la faveur d'un scrutin européen très ouvert aux outsiders de la politique, puisqu'il se joue partout à la proportionnelle. En effet, à chaque élection européenne, on voit l'explosion, éphémère, dans un ou plusieurs pays européens de forces nouvelles au départ inclassables sur l'axe gauche-droite. Ainsi, il y a quelques années, on a eu les "Listes de juin" en Scandinavie, elles ont périclité ensuite. En France, nous avons eu les représentants de la chasse, qui ont fini par disparaître en 2009 dans le giron de la droite classique. Au Pays-Bas et en Autriche, on a vu des listes formées autour d'une personnalité médiatique pour dénoncer la corruption de "Bruxelles". Il est probable que lors de cette élection de 2014, on retrouve dans quelques pays européens des populistes en ce sens-là, des forces qui portent l'un ou l'autre grief contre l'Union européenne, sans être clairement classable à droite ou à gauche. En Espagne, il semble que les "Indignés" aient décidé de participer à l'élection européenne. En Italie, le M5S de Beppe Grillo devrait porter dans les urnes sa critique résolue de l'euro et de toute la classe politique italienne. Mais tous ces phénomènes resteront a priori marqués par l'un ou l'autre contexte national, et pour l'instant, on ne voit pas venir la poussée d'un parti nouveau trans-européen sur cette ligne de l'inclassabilité. Par exemple, le Parti pirate va sans doute présenter des listes dans quelques pays, mais je doute qu'un raz-de-marée pirate emporte l'Europe. Pour ce qui est des partis classables sans trop de difficulté à la droite de la droite, ils devraient connaître un succès dans les pays où ils sont déjà historiquement forts (France, Autriche, Danemark) et dans quelques autres pays où ils se sont affirmés depuis une dizaine d'années (Hongrie, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Suède, Finlande, Grèce).

En même temps, il y aura aussi des pays comme l'Espagne, le Portugal, les pays baltes ou la Roumanie, où l'extrême-droite restera sans doute inexistante dans les urnes. Au total, il ne faut pas croire qu'il y aura à l'occasion des élections européennes de mai 2014 une percée générale, paneuropéenne, de l'une ou l'autre famille populiste, la situation sera comme d'habitude conditionnée par les contingences nationales. A chacun ses protestataires si j'ose dire : de gauche, de droite, ou inclassable. Au niveau du Parlement européen, toutes ces forces resteront minoritaires face à l'alliance de fait PPE-ALDE-PSE, auquel s'ajouterot si nécessaire le Parti vert européen et les conservateurs à la D. Cameron. En plus, comme ces populistes sont très divers, ils ne pourront pas former un seul groupe au Parlement. On voit mal les élus grecs de Syriza (membre du PGE parfois qualifié de populiste) faire cause commune avec les élus britanniques de l'UKIP ou les élus hongrois du Jobbik.  Même les seuls populistes de droite auront du mal à s'organiser en un seul groupe. En effet, chacun de ces partis craint la mauvaise image que pourrait lui donner une alliance présentée dans la presse de son pays comme particulièrement satanique. Pour donner un exemple, l'UKIP, le "parti de l'indépendance du Royaume-Uni", qui se veut largement l'héritier de la tradition britannique de résistance à l'oppression continentale (napoléonienne, nazie, soviétique), aura le plus grand mal à se retrouver avec des partis affichant des sympathies fascistes.

Les élections européennes de 2009 n'ont pas particulièrement profité aux formations dîtes populistes malgré la présence déjà bien visible de la crise. Ce scénario peut-il se répéter en 2014 ?

Christophe Bouillaud : Les différentes élections nationales qui auront précédé ces élections européennes de 2014 montrent plutôt une tendance à l'affirmation des forces populistes "de droite", "de gauche", ou "inclassables". En même temps, le suivi électoral de ces forces reste très fluctuant, très peu stabilisé dans le temps. Par exemple, le M5S de Beppe Grillo a rassemblé autour de 25% des suffrages italiens aux élections politiques de février 2013, sera-t-il capable de réitérer ce score aux européennes de mai 2013? Rien n'est moins sûr à en juger par ses scores très décevant lors des élections locales organisées depuis lors. Les sondages lui donnent 20%, mais les réalisera-t-il vraiment ? Inversement, le "Parti de la Liberté" de G. Wilders aux Pays-Bas sort d'un échec lors des dernières élections générales, mais les sondages actuels le donnent plus haut que ce score. En France, le FN apparait très haut dans les sondages, mais il faut se rappeler que l'électorat populaire que vise désormais en priorité ce parti est aussi celui qui a le plus tendance à ne pas aller voter lors d'une consultation aussi abstraite et détachée d'enjeux de pouvoirs immédiats et clairs que les européennes. Le FN n'a d'ailleurs jamais fait depuis ses fracassants débuts en 1984 de très bons scores aux européennes. Du coup, s'il était capable de confirmer le niveau que lui donnent les sondages actuels (autour de 20%), la direction du FN pourrait en effet considérer qu'elle a réalisé un véritable exploit. On pourrait multiplier les exemples : en fait, depuis 2008, les forces protestataires ne font pas nécessairement en Europe d'aussi bons scores que cela lors des élections nationales ou européennes parce qu'elles s'adressent à un électorat pour partie désespéré par l'état de la démocratie, à des gens ayant trop de problèmes personnels pour aller encore voter. Il faut aussi noter que toute association d'une telle force populiste au gouvernement en qualité de junior partner ou à la majorité parlementaire en tant qu'allié minoritaire peut lui être électoralement fatale. Le FPÖ autrichien de J. Haider en avait fait l'expérience après 2001. Aux Pays-Bas, G. Wilders, et avant lui la LPF de feu Pim Fortuyn, ont connu les mêmes déconvenues. C'est d'ailleurs tout le paradoxe des électorats européens dans la crise économique actuelle : les gens qui souffrent vraiment des politiques économiques et sociales en vigueur ont plus tendance à s'éloigner des urnes qu'à aller donner leur voix à un parti populiste, et quand un tel parti s'approche du pouvoir, ils lui retirent vite leur soutien parce qu'ils sont très vite déçus.

Gérard Bossuat : Tout dépendra de la façon dont le débat sur l’avenir de l’Europe sera conduit. Si ces élections servent de moyens de traduire un désespoir de certains secteurs de la société : chômeurs, jeunes déscolarisé en perte de repères, mal logés, familles traditionnelles blessées par les récentes lois sur le mariage pour tous, désorientées par la diffusion systématique de rumeurs anti-gauche par des officines intéressées, elles seront profitables aux populistes. Mais jusqu’à maintenant et d’après les exemples de l’histoire, on n’a jamais vu des populismes structurer une offre politique acceptable par une majorité. En revanche, ce mouvement très diversifié pourrait être canalisé ou récupéré par des partis plus organisés. Le nazisme et le fascisme ont su le faire. Les populismes eurosceptiques seront plus ou moins forts selon que le débat sur l’avenir de l’Europe aura été démocratique ou non, et selon la situation économique du moment. Les populistes disent que le Parlement européen ne sert à rien et que les institutions communes européennes sont liberticides. Mais ils ne proposent rien de constructif pour l’Europe.

Les partis populistes européens sont nombreux et leur offre politique est très diverse. Peut-on imaginer qu'ils puissent se fédérer sur une ligne commune afin d'augmenter leur potentiel électoral ?

Gérard Bossuat :Il est impossible d’imaginer une fédération de ces populismes de droite, au moins, qui relèvent plus de l’exploitation nationale des mécontentements et de références à l’histoire du pays dans lequel ils opèrent. Les partis populistes, à distinguer des mouvements populistes conduits par des leaders charismatiques éphémères (Frigide Barjot, par exemple), sont  très divers. Il y a peu de points communs entre le parti des Vrais Finlandais de Timo Soini, la Ligue du Nord en Italie, ou le parti de la Liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas. En Autriche où le populiste Jörg Haider a suscité de vigoureuses réactions en Europe en raison de ses fondements nazis, de son antisémitisme et de sa xénophobie, le Team Stronach relève d’un «populisme de chef d'entreprise et, en ce sens, c'est plutôt un Berlusconi primitif », écrit Werner T. Bauer. Il n’est pas sûr que le Front national en France veuille être classé parmi les populistes parce que le populisme nait à la frange des partis constitués et même les rejette. Le FN veut remplacer l’UMP. L’existence du populisme relève de la pulsion sociale, de la défiance envers les institutions. L’Union européenne, mal comprise, insuffisamment démocratique devient une cible facile.

Christophe Bouillaud : Lors des élections de 2009, un entrepreneur et politicien irlandais, Declan Ganley, a tenté de lancer un parti paneuropéen anti-fédéraliste, nommé "Libertas", qui voulait regrouper les populistes de droite. Ce fut un échec électoral complet et sans appel. En fait, il faut comprendre que l'élection européenne est la juxtaposition de 28 élections nationales séparées et non pas une élection réellement paneuropéenne. Chaque électorat national réagit à l'offre qui lui est la plus familière d'une part et qui correspond d'autre part à ses préoccupations. Pour prendre un exemple, le Parti vert européen aura beau essayer de présenter des candidats dans toute l'ancienne Europe soviétisée, il fera encore cette fois-ci dans toute cette vaste région des scores anecdotiques. Les partis populistes, qu'ils soient de droite, de gauche, ou inclassables, parlent d'abord à leur électorat national et en fonction des préoccupations de cet électorat. Mentionner qu'on se trouve allié à tel ou tel autre parti dans un autre pays n'a aucune sorte d'importance pour l'électeur ordinaire de ces partis. Cela peut exciter quelques militants et politiciens, mais c'est tout.

Peut-on par ailleurs affirmer, comme cela est souvent évoqué, que les crises économiques génèrent mathématiquement une montée des extrêmes politiques ?

Christophe Bouillaud : Parler de lien "mathématique" entre des phénomènes politiques est toujours une simplification un peu hasardeuse, mais effectivement des gens ont pu se livrer de tels calculs. Cependant, comme je l'ai dit, ce qui est frappant dans l'Europe contemporaine, c'est moins la montée de nouvelles forces que l'écroulement de la croyance en la capacité de la politique d'améliorer leur vie de la part d'une partie croissante des populations. En Italie, les dernières élections politiques ont marqué ainsi une progression inédite depuis 1946 de l'abstention (+5%). On risque en fait moins avec une démocratie dominée par les populistes d'un bord ou de l'autre qu'une démocratie sans plus beaucoup d'électeurs. A vrai dire, cela s'observe depuis longtemps dans l'ex-Europe soviétisée, où les taux d'abstention sont structurellement plus élevés qu'à l'ouest du continent, en particulier lors des européennes.

Par ailleurs, il faut souligner que les populistes contemporains, de droite, de gauche ou inclassables, ne sont pas assimilables à des extrémistes au sens que pouvait avoir ce terme dans les années 1930 ou même encore dans les années 1970-80. Un élément essentiel manque, fort heureusement d'ailleurs, l'appel à la violence et son usage effectif dans le combat contre les adversaires ou les neutres. En effet, tous ces partis populistes, exclus du festin du pouvoir, se réclament exclusivement de la méthode électorale de conquête du pouvoir, ils récusent tous l'usage de la violence physique pour accéder au pouvoir, ils peuvent être très radicaux dans leurs propos, injurieux très souvent, mais ils ne demandent jamais à leurs militants et sympathisants de passer à l'acte. Les seules exceptions à cette règle, à ma connaissance, sont le parti de l'Aube dorée en Grèce, le Jobbik en Hongrie, Ataka en Bulgarie, par ailleurs des partis qui affichent sans trop se gêner une filiation avec les courants fascistes des années 1920-1960. A gauche, les populistes affichent leur pacifisme bon teint, et les inclassables en font souvent un élément de définition de leur offre politique. Beppe Grillo s'affirme ainsi "gandhien", et partisan de la non-violence.

Gérard Bossuat : Ce type de raisonnement n’a pas de sens pour un historien. Peut-on ramener à des modèles mathématiques les comportements humains ? Des idéologies telles que le nazisme ont cultivé cette idée. La « science raciale » a prétendu classifier scientifiquement les êtres humains et même établir une hiérarchie de valeur entre eux. L’analyse des crises, depuis 1929, a montré que plusieurs facteurs entraient en ligne pour expliquer la montée des extrêmes politiques ; peut-être serait-ce réductible à des facteurs mathématiques, mais ce qui ne l’est pas, ce sont les réactions humaines, les choix, les décisions prises par un être humain en responsabilité de décider. Le New Deal est le fruit des choix politiques de Roosevelt. La décision de De Gaulle et de Monnet de réaliser un plan de modernisation et d’équipement à partir de 1946 relève de leurs choix politiques. On peut convenir cependant que les crises économiques sont des facteurs de déstabilisation du système de représentation politique démocratique. 

En dehors du FN qui est souvent agité comme un chiffon rouge, en particulier dans la presse étrangère, quels sont les partis populistes structurés du paysage européen aujourd'hui ?

Gérard Bossuat : Qu’est-ce que le populisme ? "Le populisme n'est pas une idéologie toute faite ni une philosophie, comme peuvent l'être le capitalisme ou le libéralisme, mais est avant tout un style politique", explique Laurent Bouvet, professeur à Sciences-Po. C’est une réaction aux « autres », au système politique, aux élites (pour l’Europe le mal vient de la technocratie bruxelloise, en France, de l’ENA). Il indique que la société est malade. Il crée et entretient une méfiance envers l’action des élus du peuple conduisant à la diffusion de fausses rumeurs.

Un parti ou des mouvements qui prônent l’érection de nouvelles frontières commerciales, la diminution drastique des flux migratoires, la préférence nationale, l’autarcie économique, le retour à la monnaie nationale, la méfiance envers l’État, l’affaiblissement des institutions européennes, la diminution des impôts au prix d’une diminution des services publics, la fin de la diversité culturelle, relèvent du populisme dangereux. Ils sont la négation du libre débat démocratique et rendent impossible la définition de l’intérêt général. Il n’y a donc aucun parti ou mouvement populiste sérieux.

Christophe Bouillaud : C'est une bonne question. Le FN est-il un parti structuré ? Il a sans aucun doute une organisation pérenne, mais il lui manque toujours une implantation locale solide dans les institutions républicaines. L'enjeu des municipales est d'ailleurs pour lui de réaliser ce saut. En fait, ce qui me parait important à souligner, c'est qu'effectivement il est difficile pour un parti de perdurer longtemps sans profiter des bénéfices du pouvoir, au moins local. Les partis populistes ont tendance à disparaître justement quand ils n'arrivent pas à faire en sorte que leur personnel politique puisse vivre de la politique. Tout dépend alors de la structure nationale d'offre de postes politiques prenables par un outsider. Un scrutin national fortement proportionnel comme aux Pays-Bas est une aubaine pour tous les partis nouveaux. Inversement, le majoritaire à deux tours à la française vérrouille solidement l'accès aux postes électifs pour les outsiders. Le scrutin majoritaire à un tour à l'anglaise finit quant à lui par ouvrir ses portes à un outsider si ce dernier augmente assez en taille pour être le premier, comme on l'a vu avec les bons scores aux élections locales de l'UKIP. Les situations sont donc très diverses, mais on peut dire que les principaux pays où des forces politiques populistes s'enracinent sont celles où existe à la fois un scrutin proportionnel et de très anciennes racines politiques au populisme en question. L'Autriche pourrait représenter le symbole de cette situation: scrutin proportionnel et tradition pangermaniste séculaire.

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