Europe de la défense : Emmanuel Macron a-t-il plus aujourd’hui qu’hier les moyens de ses ambitions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse conjointe avec la chancelière Angela Merkel, le 18 juin 2021.
Le président Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse conjointe avec la chancelière Angela Merkel, le 18 juin 2021.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Projet européen

Emmanuel Macron a invité lundi à l'Elysée des députés du groupe Renew afin de relancer son projet d'Europe de la défense. Mais les pays européens ont-ils tous les mêmes préoccupations en matière de défense ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Emmanuel Macron a invité ce lundi des députés du groupe Renew pour relancer son projet d'Europe de la défense. Avec le départ américain d’Afghanistan et un moindre interventionnisme des Etats-Unis, le président français voit-il une fenêtre de tir ?

Emmanuel Dupuy : Emmanuel Macron voit souvent une fenêtre de tir en ce qui concerne l'Europe de la défense. Il l'a évoquée tout au long de son mandat en changeant les mots. En 2018, il voulait "une vraie armée européenne". Il a aussi milité pour une force d'intervention rapide, un concept qui existe depuis 1999 avec la mise en place de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Cela avait été relancé en 2004 et 2007 avec les "battles groups", 1.500 à 2.500 hommes prêts à être déployés en 10 jours dans un rayon d'action de 5000 km. Hélas, ces GT 1500 n'ont pas été activés en Lybie en 2011, ni au Mali en 2013. La France y est allée seule en binôme avec la Grande-Bretagne, accréditant l'idée que nonobstant le Brexit, Londres demeure notre partenaire privilégié en matière d'autonomie stratégique, comme le préconisait les accords de Lancaster House en 2010.

Emmanuel Macron a de nouveau relancé cette idée en juillet 2017 avec l'initiative européenne d'intervention (IEI), validée par le Conseil européen le 6 mai dernier. Tout cela existe déjà même si cela n'a jamais été vraiment mis en action. Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron donne l'impression qu'il est le seul à parler d'autonomie stratégique, sans jamais vraiment la mettre en pratique.

Le contexte actuel offre effectivement une nouvelle fenêtre de tir à Emmanuel Macron. La débâcle américaine montre que nous ne pouvons plus être dépendants des Etats-Unis. Ce qui du reste était déjà le propos de Josep Borrell, qui disait avant Macron que l'Europe "doit se doter de ses propres capacités". Il y  aussi l'annonce américaine d'un départ programmé d'Irak alors que Macron a annoncé que la France resterait sur place.

Enfin, Emmanuel Macron est échaudé que l'initiative qu'il avait prise avec Angela Merkel de relancer l'idée d'un dialogue avec Moscou ait été invalidée par l'ensemble de ses partenaires européens. En effet, la France plaide pour une architecture de sécurité et de confiance avec la Russie. Ce serait effectivement un moyen de singulariser la position stratégique européenne et de se détacher des Etats-Unis, quitte à engager le dialogue avec l'Iran. Macron voit aujourd'hui une occasion inespérée de relancer cette idée. Le président français anticipe aussi la présidence française de l'UE qu'il veut placer sous l'égide de l'autonomie stratégique. C'est en en soi une bonne chose et l'opinion européenne y est largement favorable (77%) selon un récent sondage.

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Emmanuel Macron a-t-il les moyens de ses ambitions ?

Derrière les mots, il y a une réalité. La réaction américaine ne s'est pas faite attendre. Le porte-parole du département d'Etat américain a "fortement conseillé" que l'Otan et l'UE ne divergent pas dans leur stratégie de défense afin d'éviter les doublons et le gaspillage de ressources. Le secrétaire général de l'Otan a aussi souhaité rappeler à la France que 80% du budget de l'Otan était assuré par des pays hors-UE (Islande, Norvège, Turquie, Canada...) et bien-sûr par les Etats-Unis.

Le président français a d'autant moins les moyens de ses ambitions si l'on compare les budgets de la défense américain et européen : 613 Md d'euros pour les Etats-Unis et 186 Md d'euros pour les budgets cumulés des 27 pays européens.

Il faut aussi noter cet arrêt de la Cour de justice de l'UE du 15 juillet qui stipule que les militaires sont soumis aux mêmes contraintes et aux mêmes droits que n'importe quel travailleur. On imagine mal un militaire finir sa journée à 18h... Cet arrêt risque de complexifier le projet européen de défense au niveau administratif et juridique.

Les pays européens ont-ils tous les mêmes préoccupations en matière de défense ?

Non. Les pays du Nord par exemple (Pologne, Finlande et pays baltes) sont très vigilants vis-à-vis de la cyber offensive russe et sur la notion de guerre hybride que Moscou entend engager à sa frontière. Les pays de l'Est sont davantage préoccupés par la question ukrainienne et biélorusse. D'autres pays comme ceux du groupe de Visegrad sont plutôt préoccupés par la question migratoire. La France, l'Espagne, la Grèce, Malte et Chypre sont eux inquiétés par l'offensive turque en mer Méditerranée.

Enfin, certains pays sont plus dans une logique transatlantique qu'européenne (notamment pour l'achat de matériel), ce qui rend l'autonomie stratégique européenne illusoire dans le court ou moyen terme.

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Cette diversité d’approches de la question de la défense au sein même de l’UE n'est-elle pas le frein le plus important ?

Il existe différentes cultures stratégiques au sein de l'UE. Pour y remédier, l'UE a adopté tout récemment une "boussole stratégique" dont l'objectif est de fixer l'orientation stratégique de l'UE à l'horizon de 5 ou 10 ans. Déjà en 2003, le "document Solana" avait pour objectif de trouver un consensus sur ce que l'Europe était prête à partager en matière de capacités et surtout de vision stratégique.

Les différents dossiers suscitent une convergence plus ou moins forte des pays de l'UE. On peut évoquer la coopération structurelle permanente (CSP) qui regroupe 25 pays européens sur 27 et qui paradoxalement trouve une adhésion beaucoup plus forte en dehors de l'UE : auprès des Etats-Unis, du Canada et de la Norvège particulièrement.

Ce qui est vrai sur les projets structurants est aussi vrai sur les projets opérationnels. Il suffit de regarder la tragi-comédie autour de l'avion européen du futur (SCAF). Allemagne et France ne sont pas du tout sur la même longueur d'onde concernant la trajectoire industrielle du système. Même chose sur le char européen du futur qui est censé remplacer le char Leopard dans l'armée allemande et le char Leclerc dans l'armée française. La France plaide pour un châssis Leclerc et l'Allemagne pour un châssis Leopard. Même situation encore avec le canon du futur pour lequel la France voudrait imposer son canon CAESAR.

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