La crise révèle les failles d'un système de santé auquel les Français ne font plus confiance<!-- --> | Atlantico.fr
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L’étude montre que 29% des Français renoncent aux soins à cause de soucis financiers.
L’étude montre que 29% des Français renoncent aux soins à cause de soucis financiers.
©Reuters

Malaaaade

Près d'un tiers des Français annonce devoir renoncer à des soins de santé pour cause de soucis financiers. C'est l'un des résultats de la récente étude CAS - Europ Assistance.

Igern Bernhardt

Igern Bernhardt

Igern Bernhardt est consultante.

Elle a travaillé pendant 4 ans dans le secteur de la santé, avec un focus particulier sur les hôpitaux et les établissements médico-sociaux.

 

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Atlantico : Le baromètre 2011 d'une étude CSA - Europ Assistance menée depuis 2006 s'intéresse à l'évolution de la perception des systèmes de santé européen et américain. Quels sont les principaux résultats à retenir ?

Ingern Bernhardt : Cette étude s'intéresse à des systèmes de santé assez différents : dans le système plutôt continental (Europe de l’ouest), on envisage une forte présence du secteur public, alors les pays de l’ancienne Europe de l’Est ou les anglo-saxons essaient de se libéraliser.

Un point important de cette étude tient dans la manière dont les populations étudiées prennent conscience de la nécessités de faire évoluer les systèmes de santé, notamment pour tout ce qui touche à la prévention, la prise en charge des malades, ou les personnes âgées.

L’étude montre que 29% des Français renoncent aux soins à cause de soucis financiers. Comment analyser ce chiffre ?

Plus on a affaire à des soins de base, plus les gens ont tendance à reporter ces soins. Et c’est d'autant plus le cas dans les ménages à faible revenu ou revenu moyen. J'ai pu moi-même observer cette situation dans les différents pays de l’Europe de l’Ouest. La crise économique actuelle joue un rôle parce qu'il s'agit de soins pour lesquels la prise en charge n’est pas immédiate ou systématique, notamment pour tout ce qui concerne la prévention. Par conséquent, à moins d’être vraiment très malade, c’est une dépense qui va passer au second plan. Parce que ce n’est pas vital. Du moment que vous n’avez pas un besoin vital, vous pouvez vous en passer.

Il existe ainsi - en France, mais aussi au-delà - une très grande culture du soin. Cela nuit aux actes préventifs comme les auscultations ou les opérations chirurgicales. On n’en perçoit pas vraiment l’utilité. Pour résumer en un exemple : on préfère aller chez le dentiste une fois que l’on a une carie plutôt que d’y aller régulièrement pour prévenir les caries.

Cette même logique est également présente en matière d'alimentation : tant qu’on n’a pas de dérèglement somatique ou endocrinien, on ne songera pas forcément à faire attention à son alimentation.

L'étude montre que 51% des Français trouvent que le système de santé ne garantit pas l’égalité d’accès aux soins médicaux pour tous les citoyens. Que révèle ce chiffre sur le système français ?

Ça révèle plusieurs choses. Jusqu’en 2004, la France était classée comme le premier système de santé au monde. Petit à petit cela s’est dégradé. On a souvent présenté le système français avec un maillage très important de sa population, c’est-à-dire couvrant à peu près tous ceux qui ont besoin de soins. Mais depuis quelques temps, ce sentiment s'estompe et des catégories sociales (les immigrés ou les plus défavorisés, par exemple) apparaissent comme les oubliés du système. Par ailleurs, pour des questions budgétaires, la rationalisation des soins est au cœur du débat public. 

La perception qui domine aujourd'hui en France, suite aux dernières réformes - je pense notamment à celle du Plan "Hôpital, patients, santé et territoire" - est que la santé n'est plus autant qu'avant accessible pour tous. La question des ARS (Agence régionale de santé), mises en place par cette nouvelle loi, a ainsi été perçue comme la suppression de portes d’accès aux soins.

L'étude montre que non seulement près d’un tiers des Français a dû renoncer à des soins à cause de la crise, mais qu'en plus l’écart se creuse avec les autres pays européens. Comment expliquer cela ?

Cela montre, au fond, une crise de l’organisation du système public de soins. La perception c’est aussi ça : on a l’impression que dans la mesure où on considère que la puissance publique se retire du système de soins, à tort ou à raison, on aura plus de mal à y accéder.

Ce sentiment dépasse largement le cadre de de la santé. On passe d'une logique où c’était le « centre », le ministère de la Santé, qui prenait ces décisions, à une décentralisation de la prise de décision. Cette évolution est encore mal perçue en France. Cela engendre une incertitude quant à la capacité du système à assurer des soins de qualité et à permettre à tous d’y avoir accès.

Si l'écart se creuse avec les autres pays européens, c'est parce que ceux-ci ont déjà bouleversé leur système (la réforme des ARS a ainsi déjà été réalisée dans la plupart des autres pays d’Europe). La France est donc un peu "en retard" sur certaines thématiques, telle que l'implication du corps médical dans la gestion de l’hôpital. Elle vit aujourd'hui pleinement cette mutation.

Cette renonciation aux soins, si elle concerne essentiellement les soins dentaires touche aussi l’achat de médicaments...

Les dernières réformes ont annoncé que certains médicaments seraient désormais moins remboursés. Il faut voir à quel type de médicament les Français renoncent. Sont-ils vraiment de première nécessité, c’est-à-dire un soin dont on ne peut se passer pour une maladie précise ? Je pense qu'il s'agit plutôt de médicaments de consommation courante contre les maux de tête, les anti-inflammatoires...

Que faire, alors, par rapport à ces chiffres relativement inquiétants ?

Le gouvernement fait déjà un certain nombre de choses. La France se trouve aujourd'hui dans un entre-deux. Il faut attendre que la réforme de la régionalisation touche à son terme. Cette réforme suppose d’échelonner les portes d’accès : on aura des soins de première ligne, tout ce qui est basique, puis des soins de « deuxième ligne », pour tout ce qui est un peu plus compliqué, traité par les hôpitaux généralistes. Enfin, il y aura les soins spécialisés.

Je pense que dans la mesure où on arrive à coordonner et établir des filières de soins précises, et qu’on associe tous les acteurs, notamment les médecins de proximité, il y aura un travail qui permettra de favoriser tout ce qui touche à la prévention.

Il existe aussi le problème du "désert médical" français. Les médecins de ville traitent tout ce qui touche au dentiste et à l'ophtalmologique. Ces soins sont très chers et ne sont pas remboursés correctement par rapport à d’autres : l’effet crise joue donc énormément.

Au-delà des campagnes de sensibilisation, tant que l’on n’aura pas un système net de soins de première ligne, où les gens savent à qui s’adresser en cas de problème, on continuera à rester un peu dans le flou et les Français resteront dubitatifs vis-à-vis de leur système de santé. La crise ne fait que mettre en exergue les problèmes systémiques qui sont présents dans le système de santé français.

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