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Les États-Unis veulent 
des guerres moins chères
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Cheap war

Le Secrétaire de la Défense américain, Leon Panetta, a indiqué ce mardi que, faute de budget suffisant, les États-Unis n'allaient bientôt plus être capables de mener deux guerres de front. Mais moins de moyens est-il synonyme de moins de guerres ?

Etienne  de Durand

Etienne de Durand

Etienne de Durand est directeur depuis 2006 du Centre des études de sécurité de l'IFRI.

Il traite régulièrement des questions liées aux politiques de défense française et américaine, ainsi qu’aux interventions militaires récentes.

Il écrit par ailleurs pour le blog Ultima ratio.

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Atlantico : Leon Panetta, le secrétaire à la Défense américain, a indiqué ce mardi que les Etats-Unis seraient désormais dans l'incapacité de mener deux guerres de front. Les réductions budgétaires réclamées par les politiques d’austérité vont-elles mettre réellement en péril les capacités de la première armée du monde ?

Etienne de Durand : Il y a un lien complexe entre le budget et le nombre de guerres que peut mener l’armée américaine. Tout dépend de ce que l’on entend par le mot "guerre". S’il s’agit d’opérations de stabilisation et de contre-insurrection de longue durée, qui nécessitent des effectifs importants, comme en Irak ou en Afghanistan, il est évident qu’avec des budgets réduits, ce ne sera plus possible, dans la mesure où les réductions budgétaires risquent fort de se traduire entre autres par une réduction des effectifs.

Le principal objectif de cette réduction des moyens du département de la Défense est de participer à l’équilibre budgétaire du pays. Toutefois on constate aussi une vraie perte d’appétit politique, aussi bien côté démocrate que républicain, pour des aventures militaires à l’étranger, en particulier pour des engagements coûteux et longs. La réduction budgétaire entraîne mécaniquement une reconfiguration de l’appareil de défense et donc de ce que peut faire l’armée américaine : moins d’hommes dans les forces terrestres (US Army et US Marine Corps) réduit par exemple les possibilités de déploiements au sol.

Deux variables sont essentielles à cet égard. Premièrement, la variable budgétaire. On évoque pour l’instant pour la période 2012-2020 une baisse de 400 milliards de dollars qui, si aucun accord budgétaire général n’est trouvé, pourrait aller jusque 1000 milliards de dollars de coupes. Sachant que le budget annuel est de 530 milliards hors coûts des opérations extérieures, cela se traduirait par une réduction tout à fait considérable, de l’ordre d’un quart, des moyens budgétaires sur la décennie à venir. Une fois l’enveloppe validée, la seconde variable est le type de reconfiguration choisi, autrement dit le format d’armée. Les Etats-Unis peuvent privilégier telles ou telles structures de forces et donc telle ou telle posture générale, que ce soit les forces terrestres ou à l’inverse la Navy et l’Air force, qui se prêtent davantage aux interventions à distance.

Un certain nombre de signes vont dans ce sens. La Libye par exemple : les Etats-Unis ont laissé leurs alliés européens passer devant, évitant ainsi de prendre le risque de s’engluer à nouveau dans un conflit sur la durée. C’est une posture que l’on pourrait qualifier de "présence désengagée". Ce pourrait être là un modèle d’intervention américaine pour l’horizon 2020.

Si l’on assiste à des réductions massives des effectifs, en particulier terrestres, il est clair qu’il y aura des implications pour la posture militaire globale des Etats-Unis. En particulier pour les troupes américaines stationnées à l’étranger, en premier lieu chez leurs alliés en Corée du Sud, au Japon ou en Europe. Dans le cas de cette dernière, il faut cependant garder à l’esprit que le nombre de soldats américains a déjà fortement diminué. De 300 000 hommes à la fin de la guerre froide, elle est passée à 80 000 actuellement. Les marges de manœuvre sont donc limitées.

Les Européens ont, de leur côté, continuellement diminué leurs budgets de Défense. Est-ce la preuve que l’on peut réduire les dépenses militaires sans mettre en péril l’outil ?

Non, au contraire. Peu de pays européens ont encore un outil militaire significatif. Hormis la France et la Grande-Bretagne, les Européens n’ont plus beaucoup de moyens. La décennie écoulée a justement montré que lorsque chacun organise des coupes budgétaires de façon strictement nationale et non coordonnée, le résultat à l’échelle européenne est dramatique. En apparence, les effectifs militaires européens et les sommes globales allouées à la défense restent conséquents mais dans les faits, les capacités opérationnelles sont considérablement diminuées.

La situation économique et budgétaire des pays européens a d’ores et déjà entraîné des réductions budgétaires importantes au cours des trois dernières années. D’autres risquent de suivre. Si certains se demandent où l’on peut encore "couper dans le gras", la réponse est claire : nulle part. Pour prendre l’exemple de la France, qui demeure à ce jour un acteur militaire majeur, des baisses supplémentaires de budgets et d’effectifs entraîneraient le passage dans une catégorie inférieure. Ce serait un véritable déclassement.

Aujourd’hui, la France n’a déjà plus réellement les moyens budgétaires de ses ambitions stratégiques et politiques. La Défense est péniblement le 4ème budget de l’Etat et n’a déjà que trop servi de variable d’ajustement budgétaire aux gouvernements successifs. Or, le manque d’investissement dans cette industrie et ce domaine de recherche va avoir des conséquences économiques sur le long terme. En outre, de nouvelles coupes ne peuvent qu’accroître notre dépendance à l’égard des Américains. En Libye, par exemple, si la France et la Grande-Bretagne étaient en première ligne, elles ne pouvaient se passer des moyens américains, en particulier les ravitailleurs en vol, les drones et les capacités de renseignement en temps réel.

Les grandes puissances asiatiques investissent lourdement dans leurs moyens militaires. Au Moyen-Orient, les dépenses restent élevées. Les tensions se multiplient dans ces régions. Américains et Européens ne vont-ils pas à contre-courant en réduisant leurs budgets de Défense ?

Les Américains sont en train de se recentrer sur l’océan Pacifique. Plus de 60% de leurs moyens navals, par exemple, ont déjà été redéployés dans cette partie du monde. Les moyens aériens devraient suivre la même tendance. L’Asie est devenue la première priorité de Washington, suivie par le Moyen-Orient. L’Europe n’est clairement plus au cœur des priorités stratégiques des Etats-Unis.

L’Europe est, pour sa part, complètement à contre-courant alors que la Chine, l’Inde ou la Russie investissent de manière significative. Les crises se multiplient, pas toujours loin, comme l’ont prouvé les Printemps arabes. Les Américains se désengagent partiellement d’Europe. Il y a actuellement une recomposition de la situation stratégique mondiale avec un basculement du centre de gravité vers le Pacifique.

Pour toutes ces raisons, il faut stopper la baisse des budgets de Défense. Nous ne pouvons plus nous permettre de réduire nos moyens de défense. Il faut les stabiliser voire même les augmenter si nous voulons pouvoir maintenir des capacités d’intervention, ne serait-ce que dans notre voisinage immédiat. Les Européens devront s’entendre. Peu importe le moyen : qu’il s’agisse de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), de l’OTAN ou de partenariats bilatéraux (France / Grande-Bretagne), il faut arriver à mettre en place une coordination des politiques de défense et dans certains cas un véritable partage des capacités.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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