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États-Unis : une politique opportuniste en matière de terrorisme
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Realpolitik

Comme bien d’autres pays, les États-Unis utilisent des mouvements insurrectionnels pour tenter de déstabiliser leurs adversaires.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alors que le feuilleton de l’élection présidentielle américaine se poursuivait, une mesure significative en matière de terrorisme a été annoncée en octobre par le Département d’État Américain. L’Eastern Turkistan Islamic Movement - ETIM - (Parti Islamique du Turkestan oriental) a été retiré de la liste officielle du département d’État américain des "mouvements terroristes", décision enregistrée (et officialisée) le 05 novembre 2020.

Il est vrai que de nombreux analystes occidentaux ont par le passé mis en doute l'existence même de l'ETIM considérant que c'était une invention de Pékin pour justifier la politique répressive menée à l'égard des population ouighours. Mais pour l'instant, ce mouvement reste inscrit sur les listes des mouvements terroristes de la République populaire de Chine, du Kazakhstan, du Kirghizistan, des Émirats arabes unis, de Russie, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Le 11 septembre 2002, l’ETIM avait été classé par l’ONU comme un mouvement "proche" d’Al-Qaida et classé comme "terroriste" par les résolutions n°1267 et 1390.

Washington cherche par cette mesure à nuire à son adversaire affiché, la Chine, car l’ETIM est actif depuis la fin des années 1990 dans le Xinjiang où une partie des populations Ouïghours lui est acquise. Les autorités de Pékin l'accusent d'avoir causé la mort de centaines de personnes. De plus, la cause des Ouighours devient de plus en plus "populaire" à l’international et donne une arme psychologique importante à la Maison blanche.

Mais il est tout de même utile de se rappeler que l’objectif de l’ETIM est d’établir un État islamique (ou un califat) dans le Turkestan oriental. Il est aussi internationaliste à l’image de son mentor, Al-Qaida "canal historique" et s’oppose également à Daech qu’il considère comme "illégitime". En Afghanistan où il est présent depuis de longues années aux côtés des taliban (son siège avait été installé à Kaboul en 1998), il rejette le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan (MIO) quand ce dernier fait allégeance en 2015 à la wilayat Khorasan de l’État islamique. Depuis 2001, le commandement de l'ETIM serait installé dans les zones tribales pakistanaises où il serait placé sous la protection des taliban pakistanais.

Parallèlement, l’ETIM est présent en Syrie depuis 2012, la Turquie ayant facilité le transit d’activistes via son territoire. Il se serait particulièrement distingué durant la bataille d'Alep (2012-2016). Il compterait actuellement environ 3.000 militants dans la province d’Idlib dominée par des groupes plus ou moins liés à Al-Qaida "canal historique".

Il est vraisemblable qu’il y ait en Turquie, une coopération entre les services secrets turcs (MIT) et américains (CIA) pour soutenir les actions de l’ETIM, que ce soit en Syrie  et plus encore en Chine (la Turquie s'implique directement dans la cause "turcique" qui s'étend d'Istanbul au Xinjiang en passant par l'Asie centrale). D’ailleurs, plus officiellement, la mission diplomatique US à Ankara aurait reçu informellement des responsables considérés comme "proches" de ce mouvement.

Comme bien d’autres pays, les États-Unis utilisent des mouvements insurrectionnels pour tenter de déstabiliser leurs adversaires, là, la Chine. Ce qui est remarquable dans ce cas précis, c’est que l’ETIM est un mouvement allié depuis son origine à Al-Qaida "canal historique", nébuleuse qui a fait beaucoup de mal aux Américains. Il est vrai que la justice américaine avait montré la voie. En effet, elle avait estimé qu'aucune charge ne pouvait être retenue contre les 22 prisonniers ouighours détenus à Guantanamo après avoir été capturés en Afghanistan en 2006. Elle a en conséquence ordonné leur libération en 2012 tout en interdisant leur expulsion vers la Chine en raison des risques que cela leur ferait courir. Les Américains paraissent vouloir ignorer les liens ETIM-Al-Qaida alors que c’est généralement "après" que des mouvements de ce type deviennent hostiles à leurs maîtres du moment. Cela s’appelle la real politic.

Toutefois, ce dernier épisode des tribulations internationales du président Donald Trump peuvent poser question : quelle sera la politique étrangère de Joe Biden ? Beaucoup d’observateurs craignent qu’il ne soit au service des neoconservateurs si puissants lors des mandats des présidents précédents via les lobbies du complexe militaro-industriel et du renseignement. Mais, dans le passé, Biden avait semblé souhaiter une désescalade de la guerre d’influence engagée contre la Chine, revenir au traité nucléaire JCPOA conclu avec l’Iran, freiner l’engagement du Pentagone dans la guerre menée au Yémen, poursuivre une stratégie antiterroriste mais avec des moyens plus légers et surtout, éviter de se lancer dans des conflits tout en tentant d’arrêter des "guerres sans fin" menées au Moyen-Orient et en Afghanistan, etc. Il avait déclaré en septembre 2016 : "nous avons besoin d’une très forte dose d’humilité vis-à-vis de [notre] capacité à modifier fondamentalement les circonstances à travers le monde".  Aujourd'hui, il affirme que son pays rejoindra l'accord de Paris sur l'écologie. Mais il est légitime de se demander quelle sera vraiment sa marge d’initiative vis-à-vis de l’"État profond" qui oriente (au minimum) les décisions politiques de la Maison blanche.

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