Etats, banques : une interdépendance sadomasochiste<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise de confiance dans le système bancaire associée au manque de courage politique des Etats est à la base d’un mélange capable de transformer la crise financière en catastrophe politique et sociale irréversible.
La crise de confiance dans le système bancaire associée au manque de courage politique des Etats est à la base d’un mélange capable de transformer la crise financière en catastrophe politique et sociale irréversible.
©Reuters

Je t'aime, moi non plus

La connivence entre les secteurs public et bancaire existe depuis longtemps. Une relation qui décrédibilise le pouvoir politique et qui est susceptible de se transformer en crise sociale et politique.

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmit est membre de l'Advisory Board de l'Institut Thomas More,

Il a également été directeur du service "Opérations Financières" au sein de la Direction Générale "Affaires Économiques et Financières" de la Commission Européenne.

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Dans un article très remarqué, le célèbre correspondant britannique de The Independant, Robert Fisk, pointe les dérives du conflit syrien et dénonce l’attitude des grandes puissances. Ci-dessous, je paraphrase l’introduction de son article qui s’applique mutatis mutandis à la crise financière :

« Y-a-t-il eu jamais un conflit d’une telle hypocrisie [dans le secteur financier]? Un conflit d’une telle couardise et d’une telle basse moralité, d’une telle rhétorique fallacieuse et d’une telle humiliation publique ? »

Il précise ne pas parler au nom des « victimes physiques de la tragédie [financière] », mais se référer aux « mensonges absolus et à la malhonnêteté de nos dirigeants et de notre propre opinion publique…en réponse au [scandale] ».

Cette description traduit parfaitement les dérives du secteur bancaire et les réponses inadéquates apportées par les Autorités. Il est donc à craindre que des conséquences aussi dramatiques, sinon aussi violentes qu’en Syrie, ne guettent, in fine, les citoyens de l’Union Européenne. La crise de confiance dans le système bancaire associée au manque de courage politique des Etats et à l’impuissance de l’Union Européenne est à la base d’un mélange détonnant, capable de transformer la crise financière en catastrophe politique et sociale irréversible.

Les récentes révélations concernant l’implication de banques, parmi les plus importantes de la planète, dans des manipulations frauduleuses de taux de référence de marché (LIBOR, EURIBOR, TIBOR servant à la fixation des conditions financières de contrats portant sur des trillions de dollars) sont capables de porter un coup fatal à la réputation déjà sulfureuse des banquiers. Au même moment, d’autres institutions confessent des violations caractérisées de la réglementation sur le blanchiment d’argent, des transgressions d’embargos officiels ou encore d’assistance à la fraude fiscale.

Il était déjà notoire que les régulateurs et superviseurs avaient largement failli à leur mandat. Ils ont tenté de  justifier ces faiblesses par la limitation de leurs pouvoirs, confinés à leur territoire national, privilèges exclusifs qu’ils défendaient par ailleurs avec acharnement.

Les derniers développements semblent révéler, cependant, une connivence coupable de longue date entre les secteurs public et bancaire qui, en les rendant progressivement interdépendants les uns des autres, a réduit d’autant la capacité de contrôle que le premier était censé exercer sur le second. En effet, les Etats dépendent, pour le placement de leur dette, des banques, mais celles-ci s’appuient sur les Etats pour assurer la confiance des contreparties (déposants et autres créanciers) ; ainsi, Etats et banques dépendent l’un de l’autre pour assurer leur solvabilité réciproque.

Se sachant en position de force (too big to fail), les banques sont à même d’exercer un chantage sur les gouvernements pour influencer toute législation jugée trop contraignante (Volker rule, etc.). D’autre part, prétextant de la nécessité de renforcer les fonds propres des banques (Bâle III) pour éviter un nouveau sauvetage par le contribuable, les Etats ont favorisé l’accumulation des profits en fermant délibérément les yeux sur des pratiques comme la  manipulation de taux, dont ils étaient pourtant informés.

Ainsi, après la faillite de Lehman, les banques ont pu rétablir leur rentabilité apparente aux dépends des consommateurs dont des trillions d’euros de contrats financiers (hypothèques, financements de découverts, de crédits à tempérament, swaps et autres contrats dérivés) étaient indexés sur les taux de référence précités.

Les dépositions, tant des banquiers que des régulateurs, devant les Commissions d’enquête parlementaires aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ont démontré l’ampleur de la relation incestueuse entre les protagonistes. L’expertise étant très largement cantonnée dans le secteur financier, les politiques se sont aisément laissé « mener en bateau » dans des dossiers particulièrement complexes, ignorants des tenants et aboutissants des mesures partielles qu’ils étaient amenés à prendre. L’inverse est également vrai lorsque, se méfiant des experts, le politique adopte des mesures sans consultation (exemple : le statut de créancier privilégié pour le FESF, MES ou encore la BCE).

Une première conséquence de ces dérives est le dommage considérable infligé à la réputation de la City de Londres et à son statut de premier marché financier mondial. Le législateur américain et les autorités de l’Eurozone ont déjà entrepris de rapatrier sous leur contrôle les opérations à risque des filiales de leurs institutions domestiques « délocalisées » à Londres pour profiter d’un environnement réglementaire avantageux, mais dont le laxisme s’est révélé désastreux (AIG, Morgan Chase, UBS,  etc.). Au niveau de l’UE, la City peinera à trouver des défenseurs pour l’exonérer d’une discipline communautaire renforcée du secteur financier.

Au-delà conséquences à court terme, c’est le projet d’intégration de l’UE lui-même qui risque d’être sabordé si le pouvoir politique ne parvient pas à gagner la confiance du citoyen, seule justification de la légitimité de son autorité. C’est également un préalable incontournable au rétablissement de la confiance dans le système financier, gangréné jusqu’à la moelle,  qui est l’autre condition nécessaire à une éventuelle sortie de crise.

Le temps des compromis boiteux est révolu. Il faut s’engager résolument dans la construction d’une une Europe Fédérale ou, à défaut, dans l’organisation d’un repli ordonné sur  l’Etat nation. Alors que la première alternative est porteuse d’espoir et d’avenir, la seconde comporte d’importants risques de troubles sociaux et de conflits.

Pour paraphraser François Hollande : « Le choix, c’est maintenant » !

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