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Emploi : état des lieux des inégalités de temps de travail et de rémunération en France
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Fête du travail

Alors que l'on célèbre aujourd'hui la fête du travail, le sociologue Michel Lallement dresse le portrait de l'emploi en France.

Michel Lallement

Michel Lallement

Michel Lallement, professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers (Paris), membre du Lise-CNRS. Il vient de co-diriger, avec A. Bevort, A.Jobert et A. Mias, un Dictionnaire du travail paru aux PUF (2012).

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Atlantico : Dans la France actuelle, les disparités salariales sont-elles fortes ? Quelles sont les catégories socio-professionnelles dont le revenu reste le plus élevé ?

Michel Lallement : A l’heure actuelle, en France, le salaire mensuel brut moyen d’un cadre est environ 2,5 fois plus élevé que celui d’un ouvrier. En 2009, les 1 % du haut de la pyramide bénéficiaient d’un salaire d’au moins 7 500 euros, ce qui représentait environ 6,6 fois le salaire maximum perçu par les 10 % des français les moins bien rémunérés. Sans grande surprise, la hiérarchie des salaires correspond à celle des statuts sociaux : en bas, les ouvriers et les employés, en haut, les cadres supérieurs, et, dans l’entre deux, les classes moyennes dont le salaire mensuel net (pour un temps plein) oscille entre un peu plus de 1 300,00 et 2 500,00 euros. Il faut insister par ailleurs sur les différences de rémunérations entre hommes et femmes. En ce domaine, les inégalités perdurent. Dans les emplois à temps plein, les premiers gagnent en moyenne 20 % de plus que les dernières.


De manière générale, l'état des rémunérations a-t-il été sévèrement touché par la crise ? Quels sont les travailleurs qui en ont le plus souffert ?

Les données à peu près fiables dont l’on dispose concernent la première crise de 2008. Il apparaît que, à court terme du moins, la répartition les richesses produites entre le travail et le capital a varié mais sans grande ampleur. L’effritement des profits a profité aux salaires puisque, en prix constants, ceux-ci représentent un peu plus de 59 % de la valeur ajoutée en 2010 contre 57,8 % trois ans plus tôt. Cela ne signifie pas pour autant que les salariés n’ont pas subi la crise. Au contraire. En raison de la récession et de la politique de rigueur associée, en 2009, seulement 1,6 million de salariés ont pu bénéficier de la revalorisation du Smic, contre 2,2 millions l’année précédente.

Les hauts salaires ont également subi un coup de frein, à commencer par les cadres. La part variable de leurs rémunérations a servi d’amortisseur pour ajuster la masse salariale à la nouvelle donne économique. Il faut ajouter que si les hauts salaires, et surtout les très hauts salaires, ont enregistré un ajustement à la baisse, le bas de la pyramide sociale a payé autrement le poids de la crise. Cela s’est traduit, bien plus que pour les cadres et pour les professions intermédiaires, par des pertes d’emplois : les ouvriers non qualifiés de l’industrie et les employés les plus qualifiés ont été les plus touchés par ce mode d’ajustement par le marché du travail.


Peut-on distinguer un type d'entreprise (TPE, PME, Grandes entreprises) au sein desquelles les rémunérations sont meilleures ou plus protégées ?

En raison notamment des primes dont ils ont été momentanément privés, les cadres des du secteur financier ont été le plus amplement touchés par l’ajustement des rémunérations à la baisse. Cela a été aussi vrai, dans une moindre mesure, pour les cadres des entreprises de services. Pour les autres catégories, l’ajustement s’est opéré par une forme de dualisation amplifiée du marché du travail.

Les salariés les plus protégés (les cadres des grandes entreprises au premier chef) ont certes quelque peu perdu en salaire, mais est-ce vraiment comparable à ces hommes en situation de précarité qui, dans les secteurs particulièrement les plus sensibles à la conjoncture (bâtiment, automobile…), ont été les premiers à être débauchés ? Il est d’ailleurs significatif que, entre 2008 et 2009, le taux de pauvreté (proportion de personnes dont le niveau de vie est inférieur à 60% de la médiane du niveau de vie des français) est passé de 13 à 13,5 %.


Par rapport à ses voisins européens, ou à l'échelle internationale, les Français ont-ils un niveau de rémunération compétitif et satisfaisant ?

A ce sujet, il n’existe pas d’accord réel parmi les experts. Un des points sensibles du débat est de savoir si le niveau de rémunération des salariés les moins qualifiés n’est pas trop élevé en France. Rien ne prouve à ce jour que cela soit effectivement le cas. Il faut d’autant plus se défier de cette focalisation excessive sur les salaires comme argument de compétitivité que, dans de nombreuses activités, la qualité du travail (niveau de qualification, capacité à produire des biens et des services qui n’ont pas d’équivalent ailleurs…) compte bien plus que sa rémunération.

La part du coût du travail dans le prix des produits est loin par ailleurs d’être dominante dans les secteurs - comme celui des technologies de pointe - où notre pays peut légitimement ambitionner de gagner en parts de marché. Dans la production d’un iPad par exemple, le coût du travail représente moins de 7 % du prix total. Il n’est donc guère pertinent de vouloir à tout prix associer trop étroitement niveau de rémunération et compétitivité.

Les Français travaillent-ils trop ou pas assez ? Les 35 heures pénalisent-elles vraiment l'emploi en France ?

En 2010, selon l’OCDE, les français qui bénéficiaient d’un emploi à temps plein ont travaillé 1 679 heures en moyenne dans l’année, contre 1 904 en Allemagne ou 2 095 en Roumanie. Ce chiffre place plutôt la France aux côtés des pays scandinaves que des anciens pays de l’Est. Faut-il le déplorer ? Avant de juger, il convient d’abord d’intégrer l’effet « temps partiel ».

Ce faisant, la France reste toujours derrière l’Allemagne et elle fait jeu égal avec la Suède. Elle est donc plutôt dans le bas du tableau. Cela ne signifie pas pour autant que les Français ne travaillent pas assez. Comme je l’ai suggéré précédemment, un travail efficace n’est pas qu’affaire de quantité, mais aussi de qualité. Or de nombreux maux du travail (burn out, stress…) sont liés à des heures de travail excessives. Un des effets vertueux des 35 heures – on l’a oublié aujourd’hui – a été de permettre aux salariés de mieux équilibrer la balance entre travail et hors travail et d’être plus efficaces dans l’entreprise.


Dans quels secteurs les inégalités sont-elles les plus fortes en termes de durée légale et pénibilité ?

La focalisation sur les méfaits du travail s’est faite, ces dernières années, sur les populations cadres soumises au stress et au surtravail.
C’est une réalité qu’on ne peut sous-estimer. Mais il faut rappeler aussi que ceux qui effectuent des efforts physiques intenses dans leur travail (bâtiment, industrie manufacturière…) le payent aussi chèrement de leur santé. Cela se traduit par exemple en termes d’usure des articulations et, l’âge avançant, d’invalidité. On sait aussi aujourd’hui que le travail de nuit (celui des infirmières par exemple) a des effets négatifs sur la qualité du sommeil, qu’il augmente le risque d’obésité, etc. Plus généralement, même s’ils travaillent moins en moyenne que les cadres, les ouvriers ne sont pas exempts des risques professionnels. Les cancers liés à une exposition professionnelle (comme l’amiante) concernent ainsi, pour l’essentiel les ouvriers de l’industrie. Outre la durée légale du travail la rigidité du marché du travail est souvent mise en cause. Qu'en est-il réellement ?

Le terme de « rigidité » porte avec lui une connotation négative contestable. Toutes les études montrent en effet qu’il n’existe pas de
corrélation entre flexibilité des marchés du travail et performances en termes d’emplois et de chômage. Les deux crises  que nous venons de vivre nous le montrent. Là où, comme en Irlande ou en Grande-Bretagne, la flexibilité des salaires, de l’emploi et du temps de travail est la plus forte, les marchés du travail ont aussi produit du chômage, du sous-emploi, des pressions salariales et, in fine, une amplification des déséquilibres économiques.

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