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Et si la suppression de France Télévisions était le meilleur moyen de sauver la mission d’intérêt général de l’audiovisuel public (et d’éviter un destin à la grecque)
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Extinction des feux

Alors que le gouvernement grec vient de fermer son service public audiovisuel, la forme et la mission de notre équivalent français, France Télévisions, sont remises en cause. A l'époque d'Internet et du replay, le service public devrait peut-être muter encore plus que ce qui s'annonce.

Francis Guthleben

Francis Guthleben

Francis Guthleben est un journaliste d'investigation. Il est auteur, écrivain, réalisateur. Il a publié Scandales à France Télévisions aux éditions JC Gausewitch. Il vient également de publier Enceint ! Journal d'un futur père

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Atlantico : Alors que le gouvernement grec vient de fermer son service public audiovisuel ERT pour cause de mauvaise gestion, le gouvernement français a lancé un vaste plan d'économie pour France Télévisions qui remet de plus en plus en cause sa forme et sa mission. En quoi le groupe justifie-t-il encore son financement public ? Qu'est-ce qui s'y opposerait ?

Francis Guthleben : Les forces de France Télévisions sont de trois ordres différents. Au niveau des programmes, France Télévisions sait investir dans des fictions de qualité ; sait développer des émissions de prestige comme "Des Racines et des Ailes" ou "Rendez-vous en terre inconnue" ; et sait mobiliser des moyens techniques et humains pour de grands rendez-vous événementiels comme on a pu le voir récemment au tournoi de tennis de Roland Garros et comme on pourra le voir à partir du 29 juin pour le centième anniversaire du Tour de France.  Au niveau financier, la force de France Télévisions est de ne plus être soumis aux contraintes publicitaires le soir et donc de ne pas être sous la pression constante de l’audience. La télévision publique a aussi eu la chance, au cours des dernières décennies, de bénéficier de recettes financières garanties par l’Etat. Au niveau humain, France Télévisions avec ses quelques 10 000 salariés bénéficie d’un personnel abondant, qualifié, très attaché à son entreprise, réparti sur l’ensemble du territoire national et en Outre Mer. 

France Télévisions a-t-elle vraiment besoin de 10 000 employés ? Quelles sont les pesanteurs du mammouth ?

Les forces de France Télévisions sont malheureusement aussi ses faiblesses. La télévision publique est un immense paquebot lourd à manœuvrer qui avait l’habitude de vivre dans l’opulence et qui ne sait s’adapter ni aux nouvelles contraintes budgétaires, ni à l’évolution des contenus audiovisuels, ni aux nouvelles attentes du public. Le monde de la télévision évolue extrêmement vite, mais France Télévisions ne sait pas faire vite. Les outils de production se sont simplifiés, mais France Télévisions ne sait pas produire sans déployer un incroyable barnum. Les supports de diffusion de programmes audiovisuels se sont démultipliés avec les ordinateurs, les tablettes, les smartphones ; mais France Télévisions produit encore de façon standardisée pour la télévision de salon.

Grâce en particulier à l’action de Bruno Patino, directeur général délégué aux programmes, France Télévisions a engagé de gros investissements dans le numérique et va dévoiler le 19 juin sa nouvelle offre numérique dédiée à la culture ; mais le groupe public a énormément de retard à rattraper. Pour ce qui est de la dimension humaine, les équipes de France Télévisions aussi compétentes qu’elles puissent être, elles sont ballotées au gré des changements de présidences, de directions, de stratégies, de lignes éditoriales. Les salariés ne savent plus à quel saint se vouer, ont souvent perdu motivation, dynamisme et se sont installées dans une posture d’inquiétude pour leur avenir. Un exemple : Patrick de Carolis, alors président de France Télévisions a réduit la place accordée aux antennes régionales de France 3. Son successeur Rémy Pflimlin a ensuite voulu redonner leurs importances aux télévisions régionales. Sauf qu’entre temps, le monde a changé, que des télévisions locales privées ont occupé l’espace libre, que la presse écrite régionale s’est mise à produire des reportages vidéos. Résultat, l’image que donne aujourd’hui les salariés, sans doute aussi en raison de la puissance des actions syndicales, c’est qu’ils sont cramponnés sur leurs acquis, qu’ils sont apeurés, et qu’ils font tout pour que rien ne bouge.

Dans quelle mesure est-il toujours pertinent pour France Télévisions  de continuer à être diffuseur ? Peut-elle devenir un producteur et si oui, pour quel genre de programmes ? 

Dans un groupe comme France Télévisions, l’existence d’une multitude de chaînes fait partie du passé, du monde de la télévision d’autrefois. Le téléspectateur veut regarder ce qu’il veut, quand il veut, où il veut, sans qu’on lui impose des chaînes et des grilles. Avec Internet, les box des opérateurs et les smartphones il le fait déjà à longueur de temps. Canal Plus l’a parfaitement compris en proposant l’accès aux contenus selon ses centres d’intérêts, y compris des enfants.

Demain, France Télévisions pourrait proposer des programmes - débarrassés de ceux qui ne s’inscrivent pas dans une notion de service public - accessibles par le public depuis une banque de données. On ne parlerait plus de chaîne et de grille de programmes, on parlerait de contenus que le spectateur choisit et regarde. Au passage, on ferait d’énormes économies de structures. 

Demain, France Télévisions pourrait offrir de nouveaux contenus, plus courts, plus interactifs, plus imaginatifs répondant à la fois à la culture de l’image du public aujourd’hui et à ses modes de consultation.

Demain, France Télévisions  pourrait être vraiment au service du public et de ses réelles préoccupations. A titre d’exemple, depuis quelques années et assurément pour longtemps encore, la préoccupation majeure des Français est l’emploi et le pouvoir d’achat, or, qui propose une semaine de l’emploi, avec un site web dédié, des conseils, des aides ? C’est TF1 et pas le service public. 

Demain, France Télévisions pourrait être un média au sens large du terme qui par tous les moyens techniques possibles cherche à atteindre le public pour contribuer à sa connaissance, à son ouverture d’esprit et ainsi contribuer au mieux être individuel et au mieux vivre ensemble.

Comment pourrait-on définir aujourd'hui ce qu'est une "mission de service public" à la télévision ? Proposer aux téléspectateurs des productions que les chaînes privées, soumises à la concurrence notamment publicitaire, ne veulent/ peuvent pas proposer ? 

C’est une question essentielle. Petit mémo pour commencer sous forme de définition. "Le fondement de la notion de service public est que certaines activités sociales considérées comme essentielles et stratégiques doivent être gérées selon des critères spécifiques pour permettre un accès à tous et contribuer à la solidarité et à la cohésion sociale, culturelle et économique de la société. Ces activités doivent donc échapper à la logique du marché et à la recherche du profit."

Fort de ce principe la télévision publique a été créée il y 65 ans. Elle s’est construite sur un triptyque : informer, cultiver, divertir. En 1984, est apparue la première chaîne de télévision privée, en l’occurrence TF1.

Aujourd'hui le paysage audiovisuel est occupé par des centaines de chaînes privées, la télévision publique ne se différencie pas suffisamment. Nicolas Sarkozy avait raison, à travers sa réforme de l'audiovisuel publique, de vouloir davantage marquer la différence. Il a agi en bon connaisseur de la télévision. Malheureusement, la réforme n'a pas eu les effets escomptés. 

Débarrassée de la contrainte publicitaire en soirée, France Télévisions devrait avec force, énergie et audace explorer des territoires innovants que ce soit sur le plan technologique comme sur le plan éditorial. Or, cela ne se fait qu’à la marge.

Et que penser des choix qui sont actuellement opérés ?

France Télévisions ne remplit pas aujourd’hui de manière convenable ses missions de service public. Ainsi c’est la question de la légitimité de la redevance audiovisuelle qui peut un jour se poser. Payer pour voir des programmes audiovisuels lorsque c’est la seule solution pour regarder la télévision française était légitime en son temps, mais aujourd’hui payer pour des programmes que l’on peut regarder, à quelques exceptions près, gratuitement sur les chaînes privées est-ce acceptable ? Je ne le pense pas. Taratata était le programme musical le plus qualitatif de l’ensemble du paysage audiovisuel français. L’émission a été sacrifiée au motif qu’elle coûte trop cher, qu’elle ne fait pas assez d’audience et que France Télévisions doit réaliser des économies.  C’est bien une triple hypocrisie. Il suffisait de placer l’émission une fois par mois en prime time et le ratio prix/audience aurait été satisfaisait. S’il faut réduire les coûts des programmes, il y aurait bien d’autres secteurs à passer à la loupe. La présence de la scripted reality est par exemple, à mon sens, une honte pour le service public. 

Autre domaine : alors que toutes les télés proposent du divertissement est-il nécessaire de continuer à dépenser de l’argent public pour ce même volet sur les antennes de France Télévisions ? Les grilles de programmes de la télévision publique comptent pas moins de dix jeux pour près de huit heures d’émissions quotidiennes. Si l’on en croit le propre bilan financier de France Télévisions, les variétés, jeux et divertissements coûtent de l’ordre de 60 millions d’euros par an. Autre cas, France 3 diffuse des "Zorro", qui datent 1965, et tous les nanars du cinéma français et international. Cela ne me semble ni nécessaire, ni indispensable. 

Enfin, le premier secteur dans lequel il faut intervenir concerne les frais de personnels. Sur un budget global de l’ordre de trois milliards d’euros, les charges de personnels représentent près de 900 millions d’euros. Entre 2010 et 2012, les effectifs ont encore augmenté de 200 personnes pour atteindre un total 10.403 salariés. Ce n’est pas pour rien si Martine Martinel, députée PS en charge du rapport sur l'audiovisuel public, a dénoncé à l’automne 2012 "un défaut de pilotage".

Comment peut-on expliquer ce décalage entre la mission de service public et la réalité des programmes proposés ?

Si l’on pouvait encore trouver des excuses à France Télévisions au temps de la concurrence sur le marché publicitaire et de la course à l’audience, depuis la réforme de 2009 ce n’est plus le cas.  Nicolas Sarkozy a nommé Rémy Pflimlin président de France Télévisions en lui demandant de mettre en œuvre une nouvelle télévision publique. Mais Rémy Pflimlin a trahi l’ancien président de la République. Il n’a pas suivi la feuille de route, par manque de courage, par manque d’audace et par méconnaissance de l’outil audiovisuel. Il n’a tenu tête ni aux syndicats de France Télévisions, ni au lobby des producteurs privés qui tous ont intérêt à l’immobilisme pour la défense de leur pré carré.

La structure même de France Télévisions et le fait que les chaines du groupe public soient de facto en concurrence avec d'autres qui n'ont pas les mêmes objectifs, permet-elle de répondre à ces exigences ou peut-elle être considérée comme un frein ?

Lorsqu’on veut réformer soit on se donne des moyens soit on se trouve des excuses. Les seuls freins sont ceux que les dirigeants de France Télévisions se donnent eux-mêmes. Il y a une décennie déjà des rapports officiels s’interrogeaient sur le périmètre de France Télévisions et sur la nécessité à terme de supprimer l’une des chaînes. D’autres rapports ont insisté sur la nécessité de fixer une ligne éditoriale claire à chaque chaîne, identifiable par le public. Il a été dit maintes fois que France 3 devait être la chaîne des territoires, que France 4 devait être la chaîne de la jeunesse, que France 2 devait être la chaîne événementielle et que France 5 devait se reconcentrer sur son positionnement originel de chaîne de la connaissance. Personne n’a osé mettre tous les contenus dans un pot commun pour ensuite les dispatcher de façon cohérente. Aujourd’hui il est peut-être trop tard… 

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