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panneau solaire transition énergétique charbon Chine
panneau solaire transition énergétique charbon Chine
©STR / AFP

Transition écologique

Fief de l’utilisation intensive du charbon, la Chine vient d’annoncer un plan de transition vers des énergies renouvelables. Faut-il y croire ?

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico.fr : Quelle est la stratégie de la Chine derrière ce plan ambitieux de transition écologique ? Quels pourraient être les bienfaits de cette stratégie de la part de la Chine.

Philippe Charlez : La Chine donne toujours dans la « démesure ». Première population mondiale avec ses 1,4 milliards d’habitants, l’Empire du Milieu (BP Statistical Review 2019) consommait en 2019 24% de l’énergie primaire mondiale et émettait 29% des GES. Elle produisait et consommait la moitié du charbon de la planète et 14% de son pétrole. Son mix énergétique est encore à 85% composé d’énergies fossiles et son électricité à 65% charbonnière.

Depuis le début du siècle, la consommation énergétique de la Chine toutes sources confondues s’est accrue de 333% et ses émissions de 300%. Il n’y a pas de miracle ! Quand on étale en moyenne 6% de croissance par an on ne peut en miroir qu’accroitre dans des proportion similaires sa consommation d’énergie et ses émissions de GES

Mais la Chine est aussi et de loin la plus avancée en matière de transition énergétique. Elle est à la pointe notamment dans la « ville laboratoire » de Shenzhen où la plupart des véhicules roulent à l’hydrogène, produit 80% des panneaux solaires et des métaux rares. Elle a mis en œuvre au cours des 15 dernières années 25 GW d’hydroélectricité (Barrage des trois gorges du jamais vu dans l’Histoire) et 410 GW de solaire et d’éolien ce qui représente l’équivalent de 7 fois la capacité nucléaire française. Pourtant ces 410 GW ne produisaient en 2019 que 10% de l’électricité chinoise.

La Chine est donc à la fois le moins bon et le meilleur élève de la transition énergétique mondiale. La réduction de ses émissions est d’une importance stratégique quant au futur de la planète. On peut même dire que la transition énergétique chinoise est le « problème ».

Pourra-t-elle pour autant comme elle l’annonce devenir neutre en carbone à l’horizon 2060 ? Rien n’est moins sûr. On assiste aujourd’hui un peu partout à une surenchère des « agendas inversés » annonçant des objectifs plus qu’ambitieux sans pour autant y associer un planning, des moyens humains et financiers. Ainsi sans aucune autre précision la présidente de la Commission Européenne Ursula Van der Layen a annoncé lors de son discours sur l’état de l’Union qu’elle remontait les objectifs de l’Europe en termes de réduction des émissions de 40% à 55% à l’horizon 2030. Tous les experts savent que cet objectif est inatteignable. La Chine repousse certes l’échéance à 2060 mais rien ne permet aujourd’hui valider cette stratégie si l’on ne met pas derrière un plan précis de décarbonation.

La Chine et l'Asie dépendent toujours fortement du charbon. Cette étape des autorités chinoises va-t-elle permettre de faire évoluer les pratiques sur le recours au charbon dans les années à venir ?

Remplacer le charbon par des renouvelables intermittents avec le support de moyens de stockage reste et restera une chimère propre à l’écologie politique. Toute personne raisonnable sait que la production d’électricité renouvelable intermittente (12% de taux de charge pour le solaire et un peu plus de 20% pour l’éolien on-shore) dans le mix électrique d’un pays ne pourra excéder 30% : avec 410GW la production d’électricité renouvelable n’atteignait en 2019 que 10% de la consommation chinoise. Pour la Chine, sortir du charbon ne sera donc possible qu’en s’assurant du support d’un « ami fidèle » qui ne peut être que le gaz ou le nucléaire.

Parallèlement à leur stratégie très visible de mise en œuvre massive de solaire et d’éolien, les chinois montent en puissance sans trop le dire mais de façon très significative dans le gaz et le nucléaire. Ainsi fin 2019 la première centrale EPR de Taischan (deux réacteurs de 1,65 GW) a démarré. La Chine a aussi signé avec la Russie en 2014 un gigantesque contrat de 400 G$ pour importer du gaz via une entrée ouest (projet Altaï en cours) et possiblement via une entrée est (projet Force de Sibérie). La Chine a aussi passé de nombreux contrats GNL dans le sud pacifique avec l’Australie, la Malaisie et l’Australie ainsi qu’avec le Qatar premier producteur mondial de Gaz Naturel Liquéfié. Derrière le discours officiel « tout renouvelable » se cache donc une stratégie nucléo-gazière évidente. Dans une moindre mesure, l’Inde utilise la même démarche.

Le positionnement stratégique de la Chine sur l'éolien et sur les énergies solaires pourrait-il être une "menace" pour l'Europe et pour les Etats-Unis sur le plan des énergies renouvelables à l'avenir ?  

De par son monopole sur les métaux rares (80% de la production mondiale), le marché des panneaux solaire et des batteries, la Chine possède aujourd’hui un quasi-monopole sur le marché des renouvelables et une supériorité écrasante de fait que les européens ne pourront jamais rattraper. Toutes les initiatives européennes (comme le burlesque « airbus des batteries ») visant à contrecarrer cette domination sont vouées à l’échec et n’ont aucune chance de débouché économique. Au cours des 50 dernière années les européens ont manqué le « train du numérique » vis-à-vis de leurs concurrents américains. Ils sont aujourd’hui dans ce domaine totalement hors-jeu. A leurs dépens ils ont laissé la Chine dominer le train des énergies renouvelables en fermant notamment pour des raisons purement idéologiques toute leurs mines de métaux rares. Il reste aujourd’hui aux européens (et surtout aux français) un seul domaine dans lequel ils possèdent encore un avantage au moins intellectuel : le nucléaire. Malheureusement les positions idéologiques des uns et les conflits d’intérêt des autres sont en train de laminer cette dernière filière d’excellence. La décision par le gouvernement français d’arrêter le projet Astrid en est la déplorable image. Aussi faut-il craindre dans les années future une vassalisation énergétique définitive de l’Europe vis-à-vis de ses concurrent américains et chinois.

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