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Et selon vous, Jean-Paul Mialet, quelle est la plus grosse connerie de l’année ?
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Le meilleur du pire

Français, encore un effort pour être vraiment républicain : après avoir supprimé le mot race, supprimez les qualificatifs petits et grands. Quand ils s'appliquent à l'humain, ils sont à l'origine d'un odieux racisme. Deuxième volet de notre série "le meilleur du pire".

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Entendons-nous : la grosse connerie n’est pas d’avoir supprimé « race » de la Constitution, mais de s’en être tenu là, à cette mesure timide. Certes, saluons un premier pas dans l’épuration d’un langage qui souille l’homme, mais ne pavoisons pas : ce n’est qu’un pas frileux. Français, encore de gros efforts à prévoir pour être vraiment républicains ! Suggérons quelques directions...

Il y a belle lurette que les savants de la psycholinguistique – un dénommé Whorf en particulier - nous ont mis en garde : la langue façonne l’esprit. Les eskimos avec leur dizaine de noms pour désigner le blanc ne peuvent pas penser comme nous quand ils voient du blanc. L’ours blanc n’est pas blanc pour eux comme pour vous et moi. Et notre façon à nous, les occidentaux, de porter sur l’ours un regard simpliste doit faire voir rouge aux eskimos. Or, cette couleur, au fond, en est-elle vraiment une ? D’ailleurs, qui s’en préoccupe hormis les vendeurs de lessive ? En somme, une couleur contestable, tendancieuse, qui nous empêche de nous entendre avec nos amis eskimos… Et qui peut même poser problèmes entre blancs et pas blancs… Qu’attendons-nous ? D’urgence, la supprimer du vocabulaire !

Par la même occasion, tirer un trait sur son opposé, le noir : à quoi bon le noir sans le blanc ? En plus, le noir, concédons-le, a son côté malsain : il fait peur aux enfants, il remplit les esprits chagrins de mauvaises idées. Ne parlons pas de l’irritation qu’il provoque quand, dans la bouche d’un blanc, il désigne une couleur de peau. Non, oublions le noir. Certes, on y perdra quelques artistes qui font joujou avec le blanc et le noir pour le plaisir du contraste, mais l’œuvre d’un artiste compte-t-elle par rapport aux grandes causes planétaires ?

Sortons du noir mystérieux et du blanc virginal pour rentrer dans un domaine fichtrement plus dangereux : le sexe. Que d’excès dus au sexe, que de sang écoulé depuis que la terre tourne ! Les deux sexes n’ont jamais su comment s’y prendre pour s’entendre. Il leur faut toutes sortes de règles pesantes et souvent injustes pour les maintenir chacun dans leur camp. Se débarrasser au plus vite de la question en allant au plus simple : rayer le mot du vocabulaire !Par chance, on a déjà compris le danger, on en parle de moins en moins. On l’étale partout, en images siliconées façon cartoons, mais on n’en cause pas trop. On l’a remplacé par le genre. C’est plus propre. Ca sent bon – d’ailleurs ça ne sent rien : c’est ce qu’il y a de bien dans les concepts. On devrait toujours en rester à des concepts. Mieux que le sexe, le genre, non ? Pas de risque de s’étriper pour ça, sauf ceux qui tiennent vraiment à leurs idées... Et ceux-là ont vite fait de les oublier en cas de réel danger.

Pas de doute, le genre, c’est plus civilisé que le sexe : moins de tumulte à redouter. Mais la paix n’est pas encore assurée : restent le masculin et le féminin, des trucs à embrouilles, eux aussi. Voir, par exemple, ceux qui s’acharnent au masculin, en attrapant des gros biscotos au prix de drogues dangereuses… Ou celles qui n’en finissent pas de se faire triturer par le chirurgien. Attristant, quelquefois, la tyrannie du genre. Vrai, le bon genre, le seul, celui qui ne risque pas de monter à la tête, celui qui ne provoquera pas de conflits, c’est le genre neutre, clairement. Exit le masculin, le féminin, le sexe et le genre. Effacé du Robert. Gardons le neutre, ça suffit.

Il y a des causes majeures et des causes mineures. A mon sens, le vieillissement et la mort sont des souffrances intolérables qu’un gouvernement bien intentionné devrait également soulager par un traitement lexical radical. Et la beauté qui, toute la vie, constitue une prime considérable pour ceux qui en sont dotés, est une injustice insupportable : il faudrait avoir le courage de combattre le racisme anti-laid par une interdiction drastique du qualificatif « beau ». De même, pour un psychiatre, le mot fou est obscène et ne sert qu’à nous sentir « normaux » et nous combler d’aise, nous les pas fous : il devrait être banni. D’ailleurs, en trente ans de pratique, je vous jure que je n’ai jamais rencontré un fou.

Mais tout est subjectif. Pour moi qui suis de taille modeste, la cause des petits est une cause majeure, absolument prioritaire. On n’en parlera jamais assez. Il circule sur les petits un grand nombre de préjugés. Je ne parle pas d’implicite, de valeurs par défaut, comme lorsqu’on dit : un grand et bel homme – ce qui prive le petit de tout espoir d’être un jour qualifié de beau (sans toutefois, pour être juste, le condamner au camp désespéré des laids). Non, je parle de pensées préfabriquées, de stéréotypes comme on en trouve dans les vrais jugements racistes (à propos, si le mot race est banni, peut-on encore parler de racisme ?) du genre : « les jaunes sont sournois » ou « les noirs sont fainéants ».

Eh bien, sachez que « les petits sont agressifs ». Si, si, j’y ai eu droit plus d’une fois. Et je l’ai vu fleurir à longueur de pages dans les journaux qui relataient les exploits de notre président précédent en mentionnant ses talonnettes. Mais qui sait ? Les français ont eu peut-être une soudaine révélation qui les a guéris de leur racisme anti-petit ? Car, renseignement pris, notre président actuel est d’une taille comparable à son prédécesseur ; pourtant, nulle remarque de cet acabit sur sa personne. Toutefois, je me méfie. La minusophobie peut à tout moment se réveiller. Par prudence, mettons-y un terme : rayons du Larousse le mot petit. Et appliquons la même mesure aux grands qui étalent leur taille avec impudence et continuent à hanter l’histoire après un siècle. Voilà une cause, une grande cause, sur laquelle notre Assemblée devrait se pencher très vite et qui reste singulièrement ignorée.

J’y pense : et si, après tout, le mieux était de supprimer les mots, tous les mots ? Plus d’offenses, d’insultes, de « nique-ta-mère », etc. Mais aïe !… un risque nouveau, celui d’en venir aux poings. Car la langue, propriété des humains, a permis d’élever à un autre niveau, celui du débat, ce qui se règle habituellement par des actes dans le reste du règne animal. Quoiqu’on en dise, les mots ne tuent pas : mieux vaut les conserver pour s’en armer dans des combats inoffensifs.

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