Et s’il était plus utile de proposer une refonte du capitalisme financiarisé et mondialisé que de s’acharner sur le programme (insoutenable) de la Nupes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron s'adresse au Forum économique mondial (WEF) annuel le 24 janvier 2018 à Davos, en Suisse.
Le président Emmanuel Macron s'adresse au Forum économique mondial (WEF) annuel le 24 janvier 2018 à Davos, en Suisse.
©FABRICE COFFRINI / AFP

Economie mondiale

Le gouvernement commente le programme économique de la Nupes au bazooka. Mais qui répond à la profonde soif d’alternative au statu quo du système économique mondial tel que nous le connaissons depuis 30 ans ?

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Atlantico : Le gouvernement commente le programme économique de la Nupes au bazooka mais semble ne pas vouloir voir les questions sur lesquelles LFI met le doigt (avec les mauvaises solutions). A quel point est-ce qu’il y a un malaise relativement partagé dans toutes les classes sociales vis-à-vis du capitalisme sous sa forme actuelle ? Quand est-il apparu ? Quelle est la responsabilité du « néolibéralisme » ?

Eddy Fougier : Il y a effectivement des catégories sociales qui se montrent très critiques du capitalisme au sens large du terme. Certains sont dans une critique de la société de consommation voire dans une logique de déconsommation, ils se retrouvent en grande partie dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon. Pour les autres catégories, on va retrouver des critiques non pas du capitalisme mais des politiques qualifiées de libérales, d’ultra-libérales, plus que du système en tant que tel. On peut penser en particulier aux catégories populaires qui estiment – à tort ou à raison – être victime du processus de mondialisation, avec les délocalisations, l’externalisation des productions, etc. Ils remettent en cause une version du capitalisme spécifique, sa version contemporaine, et pas le système en tant que tel. On retrouve cela notamment dans l’électorat de Marine Le Pen. Il peut aussi y avoir des critiques du capitalisme de la part d’autres segments de la population, les petits artisans et commerçants, certains agriculteurs, qui vont critiquer le capitalisme sous l’angle du libre-échange, d’une concurrence jugée déloyale, etc. Il y a donc une forme de critique du capitalisme dans différents segments de la population mais qui n’est pas la même et qui ne va pas nécessairement avoir les mêmes impacts d’un point de vue politique.

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Sébastien Laye : Il faut distinguer deux types de critiques à l'égard de la situation et du système économique actuel. La première salve de récriminations est conjoncturelle et tient à la question du pouvoir d'achat et de l'inflation. Dans ces colonnes et dans d'autres, je fus constant sur ma critique des politiques monétaires et sur l'aporie actuelle à laquelle elles nous ont menées. Les gouvernements et banquiers centraux ont clairement commis une erreur de pilotage de politique économique, et les populations ont raison d'exprimer leur ressentiment. Cette erreur-là est purement technique et n'a rien à voir avec les formes du capitalisme ou de l'organisation économique. La deuxième salve de critiques est plus intrinsèque et tient à la nature réelle ou supposée du capitalisme moderne. Elle vilipende, selon les classes sociales, du bas vers le haut de la société, tantôt un capitalisme trop mondialisé (ne respectant plus les particularismes locales et se retournant contre les plus faibles, y compris les petits entrepreneurs), tantôt un capitalisme trop financiarisé (la financiarisation fonctionnant comme un adjuvant de la mondialisation, mais cette dénonciation permet aussi d'obtenir l'adhésion des gens de gauche parfois plus mondialistes que les masses de droite populaire), tantôt un capitalisme destructeur de l'équilibre environnementale (cette préoccupation est plus prégnante chez les classes aisées). Les deux premiers malaises se recoupent et aboutissent à une critique d'un néo libéralisme mondialiste et sans âme. On remarquera que même des libéraux - une partie de mes propres prises de position s'imbriquent  dans ces courants de pensée- se joignent à cette critique. L'essence de la pensée libérale est de dénoncer les abus de position dominante ou de pouvoir. Or le néo libéralisme est né dans les années 30 dans l'esprit des technostructures étatiques, notamment en France avec le groupe X Crise. Face à la poussée de la pensée fasciste et du communisme, des intellectuels ont voulu rapprocher les intérêts des grandes entreprises, notamment des multinationales, de ceux des Etats. Ce mariage, repris à la faveur de la guerre et des économies planifiées d'après-guerre, s'est imposé en Occident. Des économistes comme Galbraith l'ont très tôt disséqué, réduisant le capitalisme à une formule d'efficace gestion, marquée par le taylorisme, la planification, la destruction des petits entrepreneurs, et la réduction de la dimension sociale à l'homo oeconomicus. Cette forme de capitalisme, dénoncée par les libéraux sous le nom de crony capitalisme (capitalisme de connivence), a suscité nombre de critiques, de gauche mais aussi de droite (le trumpisme). Elle est la cible des populismes actuels, mais l'ancre du macronisme en France par exemple. La responsabilité du capitalisme de connivence dans le désenchantement des populations à l'égard du capitalisme me paraît primordiale. L'autre critique importante du capitalisme actuel se concentre sur la destruction de l'environnement et l'échec de la transition énergétique.

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Qu’est-ce qui dans le capitalisme mondialisé actuel est à défendre, comme acquis et comme héritage ?

Sébastien Laye : Le capitalisme reste l'horizon indépassable de notre organisation économique et sociale, mais il faut être conscient de ses limites. Toute approche constructiviste en matière sociétale est vouée à l'échec. Ainsi, le capitalisme reste le mode de développement le plus efficace de nos entreprises, une forme d'association parmi d'autres: c'est déjà beaucoup, mais ce n'est que cela. Ce n'est pas une forme d'organisation sociétale ou encore moins environnementale. Ces mécanismes de base (droite de propriété, liberté d'entreprendre, accumulation du capital pour financer l'innovation, tout ce corpus juridique et économique qui est le soubassement du capitalisme) ont fait la preuve de leur efficacité: comme l'a analysé récemment Yann Coatanlem dans le Capitalisme contre les Inégalités, le bilan du capitalisme dans la lutte contre les inégalités est largement positif. Car il y a de nombreuses convergences entre libéraux et sociaux démocrates dans la défense par exemple d'un Etat démocratique capable de contrer les effets pervers de l'économie mondialisée. Une croissance porteuse d'équité et d'égalité des chances est possible dans le cadre du capitalisme classique. Mais comme je le précisais, au-delà des pures questions économiques (et leurs conséquences sociales), il ne faut pas non plus trop demander au capitalisme comme système cohérent qui en fait n'existe pas: la solution à l'impasse environnementale par exemple peut venir uniquement du monde des entreprises ou de notre mode d'organisation économique. Seules les populations et les Etats peuvent décider de protéger des espaces naturels, de réintroduire des espèces, de faciliter de nouveaux modes de transports.

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Qu’est-ce qui au contraire mériterait d’être remis en cause ?

Sébastien Laye : La mondialisation est fille du capitalisme car ce dernier à besoin de se déployer au-delà de frontières politiques, dans l'échange et le commerce, mais la mondialisation débridée des dernières décennies est une avanie infligée au libéralisme. Elle s'est retournée, dans sa version débridée promue par le néo libéralisme technocratique, contre les petits entrepreneurs, les indépendants, les artisans, les commerçants, et les agriculteurs. Les traités commerciaux des dernières années, le Ceta, le Mercosur, non plus que les principes marchands de l'Union Européenne, ne respectent plus les principes fondamentaux du capitalisme. Les inégalités et déséquilibres constatés dans le commerce mondial viennent de ces textes mal ficelés, pondus par des experts et jamais par les entrepreneurs eux-mêmes. La financiarisation est un problème plus simple à régler: en premier lieu, parce qu'elle est un adjuvant de la mondialisation, et démondialiser permet ipso facto de définanciariser. Ensuite, la finance et le capital sont le cœur du système capitaliste, et le régulateur doit simplement mieux les surveiller, être attentifs aux risques systématiques sans brider l'innovation. Trop souvent, nos dirigeants se sont contentés de regarder les bulles spéculatives croître puis exploser: mais c'est avant qu'il faut se poser la question de la régulation ! (les cryptomonnaies, qui ne cessent de demander une régulation réaliste, en sont un exemple).

Qu’est-ce qui dans le capitalisme mondialisé actuel est perçu comme problématique ? Dans l’esprit des populations, à quoi ressemble l’alternative au statu quo économique qui ne soit pas une contestation radicale du système ?

Eddy Fougier : Là encore, tout dépend de l’approche qu’ont ces personnes et de leur critique du capitalisme. Certains vont vouloir dépasser le capitalisme, en sortir, pas forcément avec le Grand soir en tant que tel mais avec la créations de communautés écologiques et ou anarchistes. C’est la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le discours des diplômés d’Agro Paris Tech. C’est la vision radicale. Mais pour les autres, ils ne demandent pas de remise en cause du capitalisme mais sont plus enclins à une vision plus souverainiste, éventuellement avec le retour de frontières, de droits de douanes, etc. L’idée de souveraineté économique, alimentaire, est très audible aujourd’hui. Globalement, la majorité silencieuse en France va vouloir plus de régulation, davantage de prise en compte de l’impact économique, social, environnemental des processus de production, la RSE etc. Sur ce plan, la chape de plomb reste l’enjeu climatique avec le sentiment que les entreprises ne jouent pas le jeu, voire essaient de contrecarrer les efforts. Mais on remarque aussi dans les enquêtes que les Français considèrent les grandes entreprises comme des acteurs essentiels de ces enjeux. Elles sont à la fois problème et solution. 

Quelles sont les sources historiques du malaise sur le capitalisme ? Quand sont-elles apparues ? Un tournant a-t-il pu provoquer l’émergence de ce malaise ?

Eddy Fougier : Le tournant est à mon sens survenu dans les années 1990. Elles ont servi de contexte à différentes contestations qui ont notamment convergé en un mouvement altermondialiste. En France, la gauche au pouvoir accepte l’économie de marché au début des années 1980 ce qui débouche dans les grandes grèves de 1995, avec de nouveaux acteurs une mobilisation très forte des syndicats traditionnels, la prise de parole d’intellectuels, etc. Tout cela a fait naître une critique du néolibéralisme et du social-libéralisme incarné par Jospin. Dans la période plus contemporaine encore, la crise de 2008-2009 a été un autre tournant dans la prise de conscience de l’évolution du capitalisme qui a vu naître des mouvements comme les Indignés en Espagne, ou Occupy aux Etats-Unis.

Pourquoi est-ce que personne ne répond vraiment à ce malaise en proposant de réformer le capitalisme sans céder à des solutions altermondialistes ?

Eddy Fougier : La difficulté vient du fait que nous ne sommes pas seuls. Les Européens, pour commencer, ne sont pas tous d’accord sur ce que peut être la réforme du capitalisme. Et la vision européenne est loin d’être dominante dans le monde. Il est donc difficile de trouver des accords. Il faut un leadership en la matière et à ce stade il ne peut venir que des Etats-Unis qui incarnent aussi le cœur du réacteur. Une autre difficulté est sans doute que les acteurs sont devenus trop gros. C’est notamment la question que se posent les gouvernements avec le rôle des GAFAM. Le point d’entrée d’une remise en cause du capitalisme sera sans doute une remise en cause de la place oligopolistique des GAFAM ou de leurs équivalents chinois. La pression climatique et la nécessité de réduire les émissions jouera sans doute un rôle dans la réforme du capitalisme. A mon sens, un gouvernement seul ne pourra pas réformer le capitalisme, y compris après une victoire aux législatives.

Sébastien Laye : Parce qu'il est plus facile, pour les politiques, d'attiser les haines et , particulièrement en France, les vieux réflexes marxistes. A cet égard, au lieu de se poser les vraies questions sur l'environnement, l'impact de l'activité humaine sur les animaux et les végétaux, les partis de gauche se sont vautrés dans la fange d'un neo-marxisme qui remplace la fin de l'histoire par la fin de l'humanité. Une manière habile de recycler leurs vieilles luttes sans se poser les bonnes questions sur le capitalisme. Ainsi, ce sont plutôt des acteurs de la société civile, des participants de l'économie sociale et solidaire, qui, en mariant activité capitalistique traditionnelle et objectifs sociétaux, tendent à poser les bonnes questions et à jeter les premiers jalons d'un capitalisme à visage plus humain.

Quel est l’impact politique de ce défaut de discours économique et social adapté aux enjeux réels du monde d’aujourd’hui ?

Eddy Fougier : Cela fait 20 ans que j’essaie de faire passer le message que le processus de mondialisation et sa poursuite sont conditionnés par son acceptabilité dans les catégories qui en pâtissent, en particulier les catégories populaires. On sait que les non-qualifiés, dans les pays riches, sont les perdants de ce processus. Politiquement, cela s’est traduit par un soutien aux populistes. Aujourd’hui, un autre facteur est à prendre en compte : une partie des élites économiques et culturelles actuelles ou futures ne se reconnaissent plus dans les valeurs de la société incarnées par le capitalisme (compétition, réussite sociale, consumérisme, etc.). Donc par le bas et par le haut, ce que Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely appellent l’alter-élite, on observe bien que le processus de mondialisation et le Capitalisme ne sont plus nécessairement acceptés systématiquement. D’une manière ou d’une autre, une réforme semble nécessaire pour que le capitalisme puisse survivre. Le New Deal de Roosevelt a permis au capitalisme de survivre. Le système doit tenir compte de la critique pour évoluer et arriver à une acceptabilité sociale. Beaucoup de dirigeants ne se rendent pas compte de ce qui est en train de se passer, ils ont une lecture bien trop idéologiques des critiques sans voir que ces critiques peuvent émaner d’autres considérations (économiques, sociales, émotionnelles) auxquelles il faut répondre. 

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