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Et Paris devint allemand : entre panique et exode, l'histoire d'une débandade
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Bonnes feuilles

Dimanche 9 juin 1940, l'étau allemand se resserre sur Paris. Vendredi 14 juin, les Allemands pénètrent dans la capitale. Voici le récit de ces six jours – au fi l des événements dramatiques – centré sur la réaction des Parisiens. Entre rumeurs et désinformation, que savent-ils ? Que font-ils ? Comment s'organisent-ils ? En l'absence d'un gouvernement replié sur Bordeaux et de toute façon impuissant, qui décide de leur sort ? Extrait de "Et Paris devint allemand", d'Alain Couprie, publié aux Editions du Cherche-midi (1/2).

Alain Couprie

Alain Couprie

Alain Couprie est professeur émérite des Universités.

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Les nouvelles ? Elles tiennent désormais en deux mots : la panique, l’exode.

Du moins le début.

En quelques minutes, soudain, beaucoup de Parisiens décident de partir. Ils partent parce que le voisin part, parce qu’ils ont brutalement peur, parce qu’ils voient par la fenêtre des fuyards passer dans la rue. Ils ferment les volets, emportent les papiers de famille, répartissent dans plusieurs poches l’argent disponible, fourrent tout ce qu’ils peuvent dans des valises, des sacs, des caisses, des cageots. Ce qu’ils emportent dépend du nombre d’adultes et d’enfants, de l’âge, parfois avancé des uns, parfois très jeune des autres, et surtout du moyen de locomotion.

Quand on va à pied jusqu’au métro, qui fonctionne encore normalement, pour gagner une gare, on emporte ce que les bras peuvent porter, tirer, pousser.

C’est souvent trop et en définitive fort peu pour parer aux incertitudes de l’avenir. Quand on possède une voiture, on la surcharge au maximum, tassant ce qui ne peut se comprimer dans le coffre à l’intérieur du véhicule, sur les genoux, s’il le faut, des passagers, arrimant les objets incompressibles sur le toit.

En quelques heures, plusieurs dizaines de milliers de Parisiens cherchent ainsi à s’enfuir. Les grands axes qui mènent à la porte d’Orléans, promesse d’une échappée vers la Loire, ressemblent vite à une crue charriant entre les immeubles voitures, bicyclettes, charrettes qui, dans la panique et l’énervement, avancent de plus en plus lentement à mesure que se forment d’inévitables bouchons.

Du côté des trains, ce n’est guère mieux. Partiellement fermées, les gares Saint-Lazare, du Nord et de l’Est n’assurent plus qu’un service limité n’allant pas au-delà de 50 kilomètres. Les gares de Lyon et d’Austerlitz deviennent l’unique échappée par le rail.

On se bouscule dans leurs halls, à leurs guichets pour s’informer, pour acheter son billet, car on en vend encore, et on s’agglutine sur les quais.

Au Sénat, le président Jules Jeanneney reçoit la visite inopinée d’Édouard Herriot, son homologue de la Chambre. Son étonnement augmente à l’arrivée du président du Conseil. Ses deux visiteurs ont pris rendez-vous chez lui sans l’en avoir informé. Reynaud leur apprend que Weygand juge désormais nécessaire l’évacuation de tous les services de l’État, gouvernement y compris et en sa totalité. L’aggravation de la situation rend caduque l’hypothèse jusqu’ici retenue d’un départ échelonné.

Techniquement et politiquement délicate, l’affaire l’est aussi juridiquement. En vertu d’une loi de 1938, cette évacuation ne peut être décidée qu’après un avis motivé et écrit du général en chef, une décision du Conseil des ministres et avec l’aval des deux présidents de Chambre. Dans l’urgence, les trois hommes se mettent vite d’accord : c’est le repli sur Tours, et dans les vingt-quatre heures.

Ce choix de Tours, tous trois savent qu’il est loin d’être idéal. Dès lors que les Allemands seront à Paris, plus rien ne les empêchera en effet de foncer sur la Loire. D’ores et déjà rien ou presque rien ne les empêche de bombarder les ponts, les routes, ni d’envoyer quelques-uns de leurs blindés légers en reconnaissance. La capture d’un ou de plusieurs membres du gouvernement, voire du président de la République, serait une catastrophe. Mais quelle autre ville que Tours ? Et quel autre moyen que de prendre la route ? Un transport par avion est tout simplement impossible à protéger.

Au même instant, dans son bureau de l’hôtel Continental, Jean Prouvost, ministre de l’Information et propriétaire-directeur du journal Paris-Soir, assure à des journalistes américains que « quoi qu’il arrive le gouvernement ne quittera pas Paris ». Juste après leur départ, il apprend par téléphone le repli sur Tours. Blême, tortillant sa moustache, il confie à Pierre Lazareff le soin d’évacuer le personnel de Paris-Soir en ne conservant au siège, rue du Louvre, que le minimum de monde pour continuer à faire paraître le journal « tant que les Allemands ne seront pas à la porte de la Chapelle ».

À 21 heures, devant et dans la gare de Lyon, la cohue, le piétinement et, sous la poussée des corps, les risques de chute et d’écrasement sont tels que décision est prise d’en fermer les grilles d’entrée. Censée éviter le pire, leur fermeture accroît la panique. Ce sont des cris de peur, de rage, des appels. On secoue les grilles dans le fol espoir de les ébranler. On tente de les escalader.

On hisse des enfants pour les faire sortir de la gare ou les y faire entrer selon que leurs parents se trouvent d’un côté ou de l’autre. D’échappatoire, la gare de Lyon se transforme en nasse. Tous les trains qui pouvaient partir sont partis. Ceux qui restent à quai sont fermés, protégés par des gendarmes et réservés aux officiels. La gare d’Austerlitz est à peu de chose près le théâtre des mêmes scènes.

Extrait de "Et Paris devint allemand", de Pierre de Lauzun, publié chez Cherche-midi 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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