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Et maintenant, quoi pour le Sahel ?
©DAPHNÉ BENOIT / AFP

Angle mort

Alors que le retrait américain a favorisé le retour des talibans en Afghanistan, on peut se demander si un départ des occidentaux du Sahel pourrait annoncer un retour des islamistes dans la région.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Le retrait américain a favorisé la prise de pouvoir par les talibans. Une situation similaire pourrait elle avoir lieu au Sahel ? 

Emmanuel Dupuy : Je ne crois pas pour plusieurs raisons. Premièrement, le dispositif de la communauté internationale s’est projeté pendant 20 ans en Afghanistan avec près de 150.000 hommes, 49 nations dont une nation cadre qu’était les Etats-Unis et l’Otan comme organisation. Ce n’est pas du tout le cas au Sahel où le dispositif militaire est nettement moins important (5000 hommes français). Au Mali, le retrait est organisé de manière programmée et en concertation avec les cinq membres du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Ce n’était pas le cas en Afghanistan pour les Américains. Surtout, ce n’est pas un retrait mais un redéploiement au Sahel alors que c’est bien un départ mal organisé auquel on assite en Afghanistan. 

Il y a aussi beaucoup de similitudes entre le Mali et l’Afghanistan, on y trouve des groupes qui pour certains se sont affiliés à Al Qaida. AQMI, devenu le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) en 2017 mais aussi l’Etat islamique dans le grand Sahara, crée en 2015. Au-delà de la similitude entre le potentiel départ des troupes françaises et du départ des troupes américaines, il y a une forte comparaison à faire sur les différences de point de vue des groupes armés qui n’ont pas tous le même agenda. L’Afghanistan peut être considérée comme un modèle par les groupes armés terroristes. Le fait que Iyad Ag Ghali, chef du GSIM (GSIM crée en mars 2017 de la fusion d'AQMI, Ansar Dine, Al Mourabitoun), ait félicité la victoire des talibans en appelant à célébrer « notre victoire » prouve une volonté de montrer qu’on peut combattre et défaire des armées occidentales. 

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La situation en Afghanistan peut-elle nous faire tirer des leçons sur ce qu’il convient ou non de faire au Sahel ?

J’espère en tout cas que le président Macron le considère comme tel. Premièrement, il ne faut pas commettre les erreurs américaines :  tout retrait international doit être conditionné à un cessez-le-feu, certes, mais qui se fasse à des conditions acceptables. Cessez-le-feu ne veut pas dire reddition, or on a plutôt l’impression que les négociations de paix étaient plutôt une autorisation tacite à prendre le pouvoir. La France n’est pas dans la même logique de négocier avec les terroristes et encore moins de les mener au pouvoir. Deuxièmement, le Mali a des similitudes avec l’Afghanistan dont l’enkystement des groupes terroristes et la substitution de ces groupes à l’Etat mais la différence notable vient du fait qu’il y avait un sentiment de tacite complicité entre une partie des Afghans et les talibans. Je ne suis pas certain qu’il y ait cela au Mali. Serge Michaïlof évoquait en 2015 dans son livre Africanistan les conséquences de l’instabilité au Sahel qui sont à peu près équivalentes à celles de l’incapacité à trouver une situation stable dans les pays d’Asie centrale. Les groupes terroristes ont commencé à déstabiliser le Mali entre 2012 et 2013, entrainant l’intervention française. Ils se sont ensuite répandus vers les pays limitrophes (Niger, Burkina Faso, et plus récemment la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana, potentiellement le Togo). Les groupes armés du Sahel ne sont pas les mêmes que ceux qui opèrent autour du lac Tchad (Boko Haram et son extension l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest – ISWAP -). De même, les talibans sont un mouvement très hétéroclite (talibans du Pakistan, mouvement islamique d’Ouzbékistan, du Turkistan oriental, le parti Hezb-i-Islami). On peut aussi faire un parallèle entre la proximité des agendas des organisations au Mali et en Algérie qui est proche de celle qu’on retrouve entre les groupes armés afghan et pakistanais comme dans le cas des groupes armés terroristes (GAT) agissant au Sahel, le rôle d'un pays comme l'Algérie et notamment ses services de renseignement (DRS devenu DSS) est comparable à celui de l'ISI pakistanais vis-à-vis des Talibans.

En 2001, ce ne sont pas les Afghans qui nous ont appelé à l’aide. C’est nous qui avons décidé de mener une opération en s’appuyant sur le mouvement de résistance aux talibans autour du commandant Ahmed Chah Massoud. Au Mali, le gouvernement de transition a été utilisé pour intervenir car il y avait une menace immédiate de dislocation de l’état. 

 Est-on dans une situation au Sahel où partir et rester sont des situations inoptimales ?  

Je le répète, la France n’a aucune intention de quitter le Sahel. Elle est train de réévaluer son dispositif au regard de la stratégie des groupes armés terroristes. Emigrés des années 90 de la rive nord de la méditerranée vers le sud puis dispersés dans le septentrion malien pour ensuite se disperser dans l’ensemble de la partie occidentale du continent en tant de pénétrer au Sénégal, en Côte d’Ivoire. On le voit avec l’attentat de Ouagadougou en 2015 ou les réguliers attentats dans la région des trois frontières. Donc je ne suis pas certain que l’agenda soit le même qu’en Afghanistan où la guerre s’est focalisée dans le pays. Les talibans ont toujours dit qu’ils voulaient récupérer un pouvoir perdu militairement. Ils ne se considèrent pas comme des terroristes et de 1996 à 2001, beaucoup d’états reconnaissaient ou toléraient leur gouvernement. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell a estimé qu’il fallait dialoguer avec les talibans pour des raisons humanitaires. La Chine et la Russie appellent à reconnaitre ce gouvernement. Au Sahel, si des groupes armés terroristes conquièrent le pouvoir, je ne vois pas qui reconnaitrait leur autorité.

Le rédéploiement français vise à quitter le nord du Mali pour se focaliser à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. C’est un mouvement tactique. De plus, on a appris des conflits asymétriques qu’il faut plus de souplesse, plus d’agilité, de marche de manœuvre et d’aéromobilité, de recours aux forces spéciales et aux opérations de contre-insurrection. La France réfléchit aussi à externaliser. Le fait qu’après l’opération Serval il y ait eu Barkhane et qu’elle sera remplacée par la task force Takuba montre bien cette évolution. 

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