Et Fillon frappa un grand coup : le projet idéologique qui pourrait changer la droite (et ce qui lui manque encore)<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon est désormais candidat à la primaire UMP
François Fillon est désormais candidat à la primaire UMP
©Reuters

Recette gagnante

Dans un entretien au Point publié le 15 avril, François Fillon présente son programme économique et social. Candidat à la présidentielle de 2017, il propose un nouveau logiciel à la droite tout en essayant de gommer les traces de son mandat de Premier ministre sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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  • François Fillon présente un projet ancré dans l'idéologie de droite, libéral tout en défendant l'idée d'un Etat fort.
  • L'ancien Premier ministre espère doubler ses rivaux à la primaire de l'UMP grâce à ses idées.
  • Ses lacunes sur le plan de la communication sont ses principaux handicaps.
  • François Fillon porte aussi le bilan de la présidence passée et doit tenter de prendre ses distances avec le mandat de Nicolas Sarkozy tout en acceptant sa part de responsabilité.

Atlantico : Pour François Fillon, la matrice de la droite se caractérise par deux traits : concilier "la liberté et responsabilité" et "liberté et identité". Qu'est-ce que cette vision peut apporter à la droite aujourd'hui ? Est-ce une façon de faire une synthèse qui avait disparu à droite ?

Gil Mihaely : Ce que François Fillon propose est un retour à l’Etat nation d’un côté et à une vision plus libérale de l’économie de l’autre. Concrètement, cela suppose de faire marche arrière sur le projet européen, c'est-à-dire rejeter clairement l’idée des Etats-Unis de l’Europe comme objectifs du processus d’unification et donc d’abandonner l’Europe politique. Cela va permettre selon lui de réanimer la démocratie car les Français récupéreront des pans de souveraineté abandonnés depuis 1992. En même temps, à l’intérieur des frontières de l’Etat nation retrouvé, Fillon propose plus de liberté d’entreprendre, moins d’impôts, un service public plus efficace qui pèse moins économiquement. Ainsi il se démarque de ses concurrents, tous ou presque plus ou moins pour le projet européen actuel légèrement remanié. Il se démarque d’eux aussi par sa vision libérale assumée de l’économie et des rapports entre le citoyen et l’Etat.

Bruno Jeudy : Depuis la rentrée 2013, François Fillon développe un projet lorsqu'il a mis en place "Force Républicaine" et ses différents groupes de travail qui planchent sur son projet à côté de lui, à la fois un groupe de travail issu de la société civile, un groupe de travail de fonctionnaires et puis les élus fidèles restant autour de lui. Le tout étant organisé par l'ancien préfet Patrick Stefanini. Cette voie, malgré les quolibets, lui permet d'exister face à Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy par exemple. Il pense que le moment venu, avoir des idées finira par payer. Ainsi, lorsque les sympathisants de droite et du centre seront appelés à choisir leur champion pour 2017, François Fillon espère que celui qui aura développé le plus d'idées sera récompensé. Pour le moment, il faut bien admettre que cela ne paye pas dans les sondages ; il est largement distancé par Alain Juppé et Nicolas Sarkozy et devance à peine Bruno Lemaire. Son projet intervient au moment où François Fillon lui-même fait le bilan de sa carrière politique qui est plutôt séduisante sur le papier. Il a occupé à peu près tous les postes de la République. Il a plutôt été un numéro 2 jusque-là avec l'image d'un homme modéré, adepte du dialogue, ayant porté des réformes importantes comme les retraites.      

En quoi cette offre politique présentée au Point par François Fillon est-elle cohérente pour la droite, notamment sur la politique européenne ou la laïcité en France ? 

Gil Mihaely : Son programme politique est ancré à droite par au moins trois points : tout d’abord, la vision libérale de l’économie et de l’Etat, un courant de pensée certes minoritaire dans la droite française mais néanmoins clairement à droite. Ensuite la dimension souverainiste du retour à un Europe des nations et finalement par sa sensibilité à la dimension identitaire, c’est-à-dire à quelque chose qui dépasse largement les valeurs universelles pour toucher le passé, le patrimoine dans le sens le plus large du terme et la transmission.  

Bruno Jeudy : Quand on le prend chapitre par chapitre - immigration, logement, travail, fin des 35h, retraite à 65 ans - ce projet est plutôt en rupture avec les réformes souvent d'une droite plutôt prudente et tempérée alors que là, il s'agit du projet peut-être le plus libéral depuis 1986. Ce projet trouve sa cohérence dans la mesure où François Fillon propose des choses qui seraient immédiatement faisables et applicables. D'après lui, la présidentielle de 2017 doit être celle d'une droite présentant un projet abouti. Il s'engage même, s'il était désigné à la primaire, à donner déjà l'architecture de son futur gouvernement et des individus qui l'entoureront. Il est habité par le souvenir de la dernière présidentielle. Cette dernière a mis en scène des candidats portant des projets qui pour beaucoup n'ont pas pu être réalisés ce qui a généré une grande déception, en 2012 et en 2017.

Tout en souhaitant sortir d'un immobilisme chiraquien, l'ancien Premier ministre n'en oublie pas les valeurs chères à la droite. Dans quelle mesure est-il un héritier du gaullisme ?

Gil Mihaely : Surtout dans sa vision de l’Etat nation comme l’unité de base du système international d’un côté et comme l’unique cadre permettant une démocratie libérale qui fonctionne bien de l’autre. En revanche, même s’il avance que Le général de Gaulle était au fond libéral dans le domaine économique, Fillon me semble être sur ces questions-là plutôt en rupture qu’en continuité avec le gaullisme pour la simple raison que pour lui l’économie occupe un rôle beaucoup plus important et plus autonome par rapport à la dimension politique et que par son parcours et son expérience il est plus à l’aise dans ce domaine que le fondateur de la Ve République. 

Bruno Jeudy : Pendant longtemps François Fillon a été présenté comme un gaulliste social. Avec ce projet il s'en éloigne énormément. Déjà à l'épreuve du pouvoir à Matignon il avait fait sa propre révolution en se rapprochant des idées libérales. Il avait par exemple complètement adhéré aux idées d'Hervé Novelli sur l'auto entreprise. Il y a néanmoins des aspects gaullistes, même si je crois que tout cela commence à prendre beaucoup d'âge. Il défend en effet la laïcité, et de ce point de vue-là il a peu changé. Sur le voile, dès les années 2000 il faisait partie des députés défendant une interprétation stricte de la loi quand la droite a beaucoup flotté sur la question. Sur l'Europe, il s'est converti à une Europe plus ouverte, souvenez-vous qu'il a voté contre Maastricht et pourtant aujourd'hui il est prêt à aller plus loin encore dans le renforcement du couple franco-allemand et se tourner vers une Europe davantage intégrée notamment.

Quels sont les handicaps d'un François Fillon ancien Premier ministre pour incarner un tel renouveau à droite ? A-t-il l'envergure, la personnalité nécessaire ?

Gil Mihaely : Son plus grand handicap est sa grande difficulté à communiquer et plus encore à communier avec le corps politique français. Un homme politique d’envergure nationale doit pouvoir susciter des émotions fortes chez ses concitoyens et non uniquement adresser leur raison. C’est un petit peu comme être comédien : il faut avoir ce talent, ce don particulier qui permet de jouer dans une manière juste. Trop ou pas assez c’est ridicule, pas crédible. Pour le moment, Fillon n’a pas encore  montré qu’il possède ce don si particulier et difficile à saisir.

Bruno Jeudy : D'après moi, son principal handicap est d'avoir été Premier ministre sous Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, pour se différencier de Nicolas Sarkozy, il est obligé de critiquer beaucoup d'aspects de la politique qu'il a lui-même soutenu pendant 5 ans. C'est une difficulté pour François Fillon qui aspire maintenant à être candidat à la présidentielle, ça l'est d'autant plus qu'il retrouve sur son chemin Nicolas Sarkozy. François Fillon est donc obligé de prendre ses distances à la fois avec le bilan, reconnaître des erreurs… L'erreur est peut-être d'être resté au gouvernement en 2010 alors qu'il envisageait de le quitter. Autre handicap, François Fillon est plutôt discret, il ne cherche pas à "faire le show". Or, dans une primaire, il faut aller chercher les voix des militants et des sympathisants et dans ce type d'exercice médiatisé, cela peut être problématique pour François Fillon. Il faut reconnaître qu'il est de plus en plus présent dans les médias ces derniers temps, et son prochain ouvrage sera sans doute l'une de ses principales cartouches pour remonter dans les sondages.

Derrière cette présentation très rationnelle ne manque-t-il pas une proposition concrète à forte charge émotionnelle (type création d'un ministère de l'Identité nationale sous Sarkozy) parlant au grand public ? Quelles idées concrètes pourraient incarner son projet afin de se démarquer de ces rivaux et toucher le plus de Français ?

Gil Mihaely : Il essaie et quand il parle de referendum ou d’annulation de la durée légale du travail, son objectif  est de proposer aux médias des propositions "tweetables", mais pour l’instant, son point fort n’est pas là mais plutôt sur le débat d’idées. Sur le fond, ce qu’il propose est assez cohérent et en plus il a la crédibilité de celui qui a compris avant et mieux que les autres la gravité de la situation en 2007 et, ce qui est plus rare encore, l’urgence absolue d’agir tout de suite. Sarkozy par exemple pensait avoir un peu de temps pour que le bouclier fiscal donne des résultats avant la Tsunami que tout le monde craignait mais pensait encore loin. En revanche, il est vrai que si le "produit" est de bonne qualité, le "packaging" et "marketing" laissent à désirer. Ceci étant dit, du point de vue des citoyens, quoiqu’on pense de François Fillon l’homme, la candidature Fillon apporte énormément au débat, à droite bien sûr mais aussi bien au delà.     

Bruno Jeudy : Il y a deux faiblesses me semble-t-il dans ce projet. D'abord c'est un projet essentiellement tourné vers l'économique et le social, à part l'immigration et un peu l'Europe. En investissant peu ou pas le sociétal, il se prive peut-être de mesures permettant d'imprimer un peu plus dans les médias et de faire vibrer les militants de droite. Mais il explique très bien qu'il veut se limiter à une dizaine de mesures fortes et en 2017 c'est d'un programme économique et social dont aura besoin la France et pas d'autre chose. Deuxième faiblesse : je crois qu'il lui manque cette petite touche de créativité qui fait qu'on s'intéresse à son programme car on y entre par une mesure médiatisée permettant de mieux lire le reste. Sans cette mesure, le programme de François Fillon peut paraitre aride et peut décourager le grand public. Mais nous sommes en 2015, il peut trouver la mesure d'ici-là !

Nicolas Goetzmann : François Fillon se veut être le candidat de la "rupture", ce qui marque une certaine filiation avec la campagne électorale de 2007, celle de Nicolas Sarkozy. Et les mesures économiques annoncées dans l’interview donnée au journal Le Point sont en effet assez radicales ; notamment lorsque le Premier Ministre évoque l’abrogation des 35 heures et la suppression de la durée légale du travail. L’objectif visé ici est de permettre un temps de travail plus long avec un salaire équivalent, ce qui revient à faire baisser le coût horaire du travail. Puis, le candidat à la primaire de l’UMP évoque une vaste réforme du code du travail en proposant la mise en place du contrat unique, c’est-à-dire la suppression de la dualité CDI-CDD, et plus largement un allègement des contraintes liées au code du travail. Au niveau fiscal, la suppression de l’ISF et la baisse de l’impôt sur les sociétés sont au programme.

Ce bloc-là est une référence en termes de "politique de l’offre", ce sont les fameuses réformes structurelles qui s’inscrivent dans une logique véritablement libérale. L’intention est donc très claire et la référence faite à Margaret Thatcher, en 2014, par François Fillon ne peut être reniée. Il s’agit de recalibrer l’économie française selon des critères de compétitivité, notamment par rapport à l’Allemagne.

Concernant les dépenses publiques, par contre, le ton est moins offensif qu’il ne l’était quelques mois plus tôt. Parce que si les réformes comme la retraite à 65 ans ou la baisse du nombre de fonctionnaires liée au retour des 39 heures dans les 3 fonctions publiques sont maintenues, le chiffrage d’une baisse des dépenses publiques de 110 milliards d’euros sur 5 ans n’a pas été conservé. Alors que ce chiffre était proposé spécifiquement en octobre dernier. Il est probable que cette annonce ait été jugée trop agressive pour être maintenue.

Pour être réalisable, et pour qu’il puisse produire des résultats, un tel programme doit être mis en place dans une économie dont l’activité est soutenue avec force. Sans cela, le risque d’une profonde rechute en récession est important, et en réalité tout à fait prévisible. Il s’agit d’un vaste programme d’austérité budgétaire couplé à des réformes du droit du travail et des biens. Ce type de mesures a pu donner des résultats par le passé, mais à une condition, nécessaire et indispensable : le soutien monétaire. Comme le Canada et la Suède dans les années 90, ou même l’Allemagne de Schröder qui avait pu être réformée grâce à une politique monétaire souple de la BCE.

Et c’est là qu’intervient une référence peu anodine de François Fillon, puisqu’il évoque à plusieurs reprises les mesures "d’essence libérale" mises en place par Charles de Gaulle en 1958, sans doute pour ancrer son action dans une logique gaulliste. Mais cette référence-là est troublante parce que si 1958 est bien une démarche favorable au développement du libre-échange en France, elle est surtout une date symbole en terme de relance monétaire. Ce que François Fillon ne peut ignorer. Mais ce volet économique là n’est pas mentionné dans cette interview.

Ainsi, François Fillon a le mérite d’annoncer la couleur en se revendiquant du libéralisme. Ce qui lui permet d’occuper une place claire et bien identifiée au milieu des autres candidats. Mais il lui sera indispensable de prendre en compte le volet monétaire le temps venu, et d’envisager en conséquence les réformes européennes à mettre en œuvre, pour que l’ensemble soit cohérent.

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