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Et après Cologne, on dit quoi ? La France prise au piège intellectuel de 30 ans d'anti-racisme dévoyé
©Reuters

Quel avenir ?

Par angélisme, on a voulu imposer l'équation "puisqu'il n'y a pas de lien entre l'immigration et délinquance ou immigration et chômage, il n'y a pas de raison d'être raciste. Un piège quand la 1ère partie de la phrase se révèle moins sûre qu'on croyait…"

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico - Suite aux événements de Cologne, qui ont participé à créer un lien perceptible entre délinquance et réfugiés, l'ensemble du discours "l'immigration est une chance" semble s'écrouler aux yeux des Européens. Ainsi, après avoir affirmé pendant des décennies qu'il n'existait aucun lien entre immigration et délinquance, ou entre chômage et immigration, et ce, afin de combattre le racisme, quel est aujourd'hui le risque de voir la charnière de cet argument se retourner ? Comment éviter qu'un tel renversement puisse produire une justification du racisme ?

Guylain Chevrier : Lors du prononcé de ses vœux aux Allemands avant les événements de Cologne, Angela Merkel avait mis en garde ses compatriotes contre les mouvements populistes hostiles aux réfugiés, à l'image du mouvement Pegida d’extrême-droite, particulièrement actif à Dresde dans l'est du pays, et du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD). "Il est important de ne pas suivre ceux qui, le cœur froid ou plein de haine, se réclament eux seuls de l'identité allemande et veulent exclurent les autres", a insisté la chancelière en appelant l'Allemagne "à ne pas se laisser diviser". La chancelière allemande et son parti la CDU ont depuis déchanté, ils se sont prononcés le 9 janvier en faveur d'un très net durcissement des règles d'expulsion de demandeurs d'asile condamnés par la justice en Allemagne, en l'autorisant même pour ceux condamnés à une peine avec sursis. Après les pays des Balkans, Angela Merkel pourrait déclarer "sûrs" des pays comme l'Algérie et le Maroc. "Les perspectives de séjour pour ces réfugiés (algériens et marocains) sont bien moindres que celles par exemple des Syriens et des Irakiens", a précisé la chancelière.

Il n’y a rien d’étonnant à découvrir que parmi des dizaines de milliers de réfugiés, on voit se manifester de la délinquance, de la violence, voire des violences sexuelles. On doit tout de même bien voir enfin que les immigrés, qui viennent de pays qui ne connaissent que rarement la démocratie ou une démocratie sous contrôle dans le meilleur des cas, qui fonctionnent sur un modèle qui est celui de la tradition où domine le patriarcat, avec une maigre considération souvent peu reluisante pour les femmes, ne sont pas les modèles d’humanité rêvés par certains. L’islam, religion dominante chez les migrants en cause, on le sait, est particulièrement marquée de ce côté avec une infériorité de la femme et une soumission totale de celle-ci affirmée dans la sourate 4 qui leur est consacrée dans le coran. Evidemment, tous les musulmans n’ont pas une pratique religieuse suivant ces versets à la lettre, mais ils ne sont pas sans conséquence sur les mentalités de certains.

On découvre l’eau tiède, c’est l’idéologie victimaire et angélique qui a prévalu jusque-là qui est à mettre en cause, celle d’une Allemagne qui a voulu par là se poser en modèle moral, pour mieux justifier qu’elle pilote contre la volonté des peuples européens les destinées de l’UE dans le sens d’un économisme cynique, qui lui profite avant tout. Une immigration dont elle a besoin pour des raisons démographiques (chute libre des naissances) et économiques (manque de main d’œuvre) qu’elle entend imposer à tous. Ceci, avec un François Hollande suiviste, tremblant dans l’ombre de la chancelière à la manœuvre.


Pour éviter que cela se transforme en racisme, il faut parler vrai sur l’immigration et sortir de cette vision angélique qui tient du rôle symbolique que certains attributs à l’immigré, selon cette fable qu’il y aurait les riches du nord que nous serions et les pauvres du sud que seraient les immigrés, car il y a souvent des riches et des pauvres dans les pays d’origine des migrants, comme nous avons-nous-mêmes bien nos pauvres. Il faut revenir à une conception des migrations qui s’appuie sur des accords passés entre Etats contre aide, avec un contrôle rigoureux fait par les pays de départ, qui n’hésitent pas à sanctionner, comme nous devons nous-mêmes rappeler la loi.

Vincent Tournier : Il ne faut pas sous-estimer la force des mythes. Le « mythe immigrationniste », pour reprendre l’expression de Pierre-André Taguieff, a beau connaître régulièrement des difficultés, il reste très puissant car il puise ses sources dans les grands traumatismes du XXème siècle que sont les guerres et la décolonisation. Il est aussi conforté par les idéologies contemporaines sur la mondialisation et l’européanisation, lesquelles poussent à faire du « migrant » la figure par excellence de l’individu moderne. Il faut dire aussi que le mythe immigrationniste doit son succès au fait qu’il a réussi à décrédibiliser tout discours alternatif : ceux qui émettent des critiques ou des doutes sont aussitôt accusés de passer du côté obscur de la force. Ils entrent dans le camp du mal, celui d’une France fermée, anti-humaniste, raciste, celle des « idées nauséabondes » et des « heures les plus sombres de notre histoire ».

Donc, comme il n’y a pas d’alternative disponible sur le marché des mythes contemporains, celui-ci a encore une belle vie devant lui. Certes, des événements comme ceux de Cologne (et qui ne s’arrêtent d’ailleurs pas à cette ville) apportent une note discordante, mais ils ne sont pas suffisants pour provoquer des recompositions radicales. Comme tout mythe, celui-ci bénéficie d’une forte capacité de résilience, comme disent les psychologues. Les informations contradictoires ont tendance à glisser ou à rebondir. On a d’ailleurs vu que les médias allemands avaient manqué de réactivité, préférant rester silencieux dans un premier temps. La chaîne publique ZDF s’est même excusée pour son retard. Par certains côtés, ce silence est au moins aussi troublant que les faits eux-mêmes. Mais cela montre bien que le tabou est très puissant, que les informations discordantes sont difficiles à prendre en compte. On peut prendre un autre exemple : le cas de la Grande-Bretagne. Au cours de ces dernières années, plusieurs affaires de viols de masse ont été révélées, comme les scandales de Rotherham ou de Rochdale, où des dizaines de filles blanches, souvent très jeunes, ont été soumises à des traitements odieux par des bandes organisées constituées par des migrants d’origine pakistanaise pour l’essentiel. Le choc dans l’opinion a été profond, cela a même vraisemblablement contribué à l’émergence du parti UKIP, mais cela n’a pas changé radicalement la donne, même si David Cameron a sensiblement durci sa position sur l’immigration.

Est-il possible de dresser un inventaire des affirmations "angéliques" ayant trait à l'immigration ? En quoi sont-elles déconnectées de la réalité ? 


Guylain Chevrier : C’est la gauche radicale qui a banalisé l’immigration par un discours de justification sur le fondement d’une mauvaise conscience du passé colonial. L’ouvrier déchu par l’histoire, comme vecteur d’un monde nouveau, a été remplacé par l’immigré, nouveau damné de la terre, selon cette lecture du passé. Pourtant depuis, l’égalité des droits entre tous et le rejet du colonialisme ont permis largement de solder cette histoire. A ne pas être capable de se tourner vers le futur, tout projet de transformation sociale étant au point mort de ce côté, on en est resté à des combats d’arrière-garde à travers lesquels tenter d’exister contre la réalité. L’histoire coloniale française justifierait ainsi d’accueillir sans compter, ce qui est totalement irrationnel et inconséquent. Un discours auquel le PS est sensible en raison des accords de circonstance qu’il passe avec ces forces plus à gauche que lui, mais aussi pour flatter une partie de son électorat, celui très communautarisé de certains quartiers auxquels il est ainsi donné des gages de laxisme. On se rappelle des déclarations de Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle, qui avait estimé lors d’un meeting à Marseille, que la "chance" de la France était "le métissage" sous les youyous, faisant une ode à la Méditerranée.

Pour Emmanuelle Cosse des Verts, il faut tous les accueillir. Pour le directeur de France terre d’asile, il faut en finir avec les frontières… On parle de « citoyens du monde » qu’il faudrait accueillir dignement, en sachant parfaitement que ces migrants n’ont aucune idée de défendre quoi que ce soit de ce genre, venant dans un esprit individualiste chercher du mieux si c’est possible en travaillant, le cas échéant, en bénéficiant des largesses sociales d’un pays développé. Comment ne pas se rappeler que les populations immigrées sont celles qui proportionnellement à ce qu’elles représentent bénéficient le plus de l’aide sociale ? On a vu sur France 2 défendre qu’il n’y ait aucun lien entre immigration et délinquance, à grand renfort de publicité. Dans un reportage de John Paul Lepers, « Immigration et délinquance, l’enquête qui dérange », 25 novembre 2014, se présentant en pourfendeur de toute stigmatisation. On y prétendait qu’aucun chiffre ne permettait de démontrer ce lien, c’était donc un préjugé... Mais c’était faux ! Les chiffres du ministère de l’intérieur sont implacables puisque selon eux, en 2014, les étrangers représentaient 18,7% des écroués, bien plus que ce qu’ils représentent en France, environ 10% de la population totale. Plus finement encore, dans 51% des cas, le père d’un détenu est né hors de France, comme la revue Sciences humaines le rapportait, mais pour expliquer que cela était le fait d’une…ségrégation. A ne pas vouloir voir un problème, la conséquence, c’est de ne pas en rechercher les causes, on ne risque donc pas de le résoudre. Contreproductif ! John Paul Lepers est en fait à travers ce déni un faux-ami des immigrés.

L’immigration n’a pas que des avantages, dire le contraire c’est vouloir faire prendre des vessies pour des lanternes. C’est d’ailleurs extrêmement dangereux, car la mauvaise foi qui se justifie ici au nom du vernis d’un humanisme bienpensant se renverse vite dans son contraire. En ne tenant pas devant la réalité ténue, elle aiguise la colère de ceux que l’on entend ainsi accuser de racisme à oser s’interroger sur le sujet. La manipulation est totale et l’effet catastrophique.


La maitrise des flux migratoires n’est pas une affaire d’idéologie mais avant tout de réalisme, et pas seulement au regard des besoins économiques ou démographique d’un pays, mais aussi au regard de l’intérêt même des migrants vis-à-vis de la capacité à les intégrer selon les valeurs et principes du pays d’accueil, en l’occurrence de la France, ce qui ne va pas de soi. Faut-il encore qu’ils l’acceptent. C’est le sens du Contrat d’accueil et d’intégration, pour les migrants qui arrivent sur notre sol en situation régulière pour y travailler ou/et s’y installer, c’est le sens de la Charte des droits et devoirs du citoyen français, qui met à côté des droits les devoirs qui en sont indétachables, qui conditionnent l’acquisition de la nationalité comme il est prévu au Code civil. Mais tout cela est-il fait avec la rigueur nécessaire ? C’est sous ces conditions que l’on peut considérer que l’immigration peut être une chance pour un pays, s’il décide de « qui ? » il accueille, « combien ? » et surtout « comment ? ».

Cette affaire va faire peut-être enfin revenir à un état mental normal les humanitaristes de tous poils, qui voient dans l’accueil sans compter des immigrées une façon de transgresser des frontières qui n’existeraient plus, sous le prétexte que la mondialisation favorise la libre circulation des capitaux. Ceux-là mêmes qui disent vouloir combattre le capitalisme mondialisé le justifie ainsi à front renversé, mais de ce coté on n’est pas par dogmatisme à une contradiction près.

Vincent Tournier : Le mythe immigrationniste se compose de deux grands volets. Le premier volet est latendance à minimiser ou à nier les difficultés liées à l’immigration, que ce soit sur les questions d’insécurité et de mœurs, ou sur les aspects économiques et sociaux. Ces dénégations sont souvent pétries de contradictions. On va par exemple soutenir que les immigrés ne sont pas plus délinquants que les autochtones, tout en expliquant que, s’ils le sont, c’est à cause de leur origine sociale, ce qui est très réducteur. Sur l’économie, on va dire qu’ils contribuent fortement à l’économie tout en déplorant qu’ils connaissent un fort taux de chômage. La thèse de l’apport économique est d’ailleurs devenue une composante à part entière du mythe immigrationniste, alors même qu’un tel calcul est difficile en raison des coûts indirects non pris en compte.

Le second volet est la tendance à reconstruire l’histoire à la lumière de l’immigration. Cela est particulièrement visible en France. On va ainsi affirmer que la France a toujours été une terre d’immigration, sans crainte d’ailleurs de déplorer dans le même temps que les Français soient un peuple particulièrement raciste. On va aussi soutenir que les Français doivent énormément aux migrants car, sans eux, la France n’aurait pas pu être libérée de l’Occupation allemande et n’aurait pas pu être reconstruite après la guerre. Tous ces arguments, et bien d’autres encore, sont très éloignés de la réalité mais peu importe : ils permettent de clore le bec à ceux qui proposent une analyse moins idéalisée.


En quoi la réalité de cas comme Cologne peut produire un brutal effet de basculement des populations par rapport à cet angélisme ? Quel en est le danger politique ?

Guylain Chevrier : On sait que l’opinion des européens évolue de plus en plus dans le sens d’une prise de conscience que l’on ne peut plus continuer ainsi, les événements de Cologne ne venant que renforcer un sentiment déjà largement partagé. L’opinion des Français a radicalement changé par exemple en France sur les immigrés en quelques années, en raison de l’attitude de laisser faire de nos dirigeants mais aussi et surtout du sentiment que les choses nous échappent, avec une Union européenne qui semble décider de tout à notre place en la matière, et spécialement l’Allemagne. Selon l’enquête d’Odoxa (le Parisien 13/12/2014) en 2011, 61% des français se disaient favorables au droit de vote des étrangers, alors que fin 2014, ils étaient six sur dix à être contre, inversant la tendance. Il apparait dans cette enquête que 72%  d’entre eux estiment que « l’intégration des étrangers dans la société française fonctionne mal ».

Le danger politique serait de persévérer, en créant l’idée que l’Etat n’est plus en mesure de jouer son rôle de régulateur, de protecteur quant au risque de désordres liés à une immigration sans compter, pour justifier des réactions propres à un rejet massif pouvant déboucher sur des violences, y compris avec la possibilité de milices se substituant à la puissance publique se révélant impuissante. C’est ce qui se dessine autour de « la jungle » de Calais. Nous avons laissé penser, avec cette politique de fuite en avant des migrants, qu’il n’y avait plus de règle en quelque sorte, en envoyant aussi un très mauvais message aux enfants de l’immigration, qui connaissent des situations difficiles dans un pays comme le notre frappé par une situation de sous-emploi chronique. On aurait pas mieux fait pour inviter aux désordres de toutes sortes, mais aussi, par cette fragilisation de la loi, des exigences communes, encourager à tous les travers du repli communautaire, de la mise en retrait de la République, avec les risques de radicalisation qui vont avec une société qui ne sait plus défendre ses repères, ses valeurs et ses principes.

Vincent Tournier : Il est évident que les événements de Cologne peuvent faire réfléchir un certain nombre de gens. Mais l’histoire montre que les idéologies résistent aux informations contradictoires : les révélations sur le Goulag n’ont pas empêché les mouvements communistes de continuer à prospérer. Une information seule provoque rarement des changements majeurs.
La dénégation peut l’emporter. La réaction du maire de Cologne est ici significative : au lieu de s’insurger contre ce qui vient de se passer, elle appelle les femmes à plus de retenues et de prudence. Autrement dit, entre la défense des migrants et la défense des femmes, elle opte pour la première. Quand on sait toute l’importance qu’a prise la cause des femmes dans nos sociétés actuelles, on mesure à quel point le mythe immigrationniste structure les mentalités. On n’ose pourtant imaginer ce qui se serait passé si ces femmes avaient été attaquées par des Européens ou, pire, par des militants d’extrême-droite : le maire de Cologne se serait-il contenté de dire que les femmes devraient rester à un bras de distance ? Mais cette réaction n’est pas isolée.

En Belgique, Isabelle Simonis, qui est ministre (socialiste) des droits des femmes, s’est insurgée contre son collègue chargé de l’Immigration parce que celui-ci souhaite organiser un cours pour les migrants consacré au respect des femmes. En l’accusant de faire du « racisme déguisé », elle montre que même les féministes les plus convaincus sont prêts à délaisser leur cause lorsqu’il s’agit des migrants. Cela étant, la situation dans les pays d’Europe de l’Est est assez différente. Les réactions sont bien plus radicales dans certains pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie. Les pays d’Europe de l’Est ont moins de scrupules. Ils n’éprouvent pas la même culpabilité que les pays de l’Ouest face à leur histoire. La Slovaquie vient par exemple de demander l’organisation d’un sommet européen extraordinaire. Paradoxalement, les dirigeants des pays de l’Ouest risquent de regretter d’avoir élargi trop vite l’Union européenne.

En ouvrant largement les frontières aux réfugiés, et ce, sans aucune autre forme de préparatifs, les dirigeants européens ont-ils totalement sous-estimés l'impact potentiel sur les populations locales ? Comment sortir de cette vision raciale tout en affrontant la réalité des problématiques ?

Guylain Chevrier : Mme Merkel a sciemment évité d’interroger ce qui se passe réellement en Allemagne, derrière les accueils de migrants enjoués médiatiquement mis en scène, alors que plus de deux cents centres d’accueil de migrants y ont été brûlés depuis janvier, et qu'en ex-Allemagne de l'Est où le chômage atteint les dix pour cent, la population est très divisée sur l'accueil des migrants et l'extrême droite pavoise. C’est la même chose en Italie. En France, l’esprit républicain maintien la balance en équilibre, mais attention à ce qui se profile.
Effectivement, il faut sortir de cette vision, et c’est en rationalisant le discours politique sur le sujet, en revenant à la réalité, en mettant les limites à l’immigration du côté de la maitrise des flux migratoires sur le fondement des réelles possibilités d’accueil tenant compte des enjeux de l’intégration, que l’on avancera. Il faut arrêter de jouer avec l’immigration en la prenant en otage des visées électorales et politiciennes, en feignant pour cela d’oublier les problèmes, ou d’y faire écran par un déversement de bons sentiments qui confinent à obscénité.
Il faut casser ce discours qui est celui d’une intelligentsia médiatico-politique qui se donne bonne conscience de servir le système à coup de bons sentiments, qui nous emmène droit dans le mur du racisme, tout en prétendant vouloir en prévenir, sans proposer aucun remède.

Vincent Tournier : Les différences culturelles ne sont pas vues comme une difficulté mais comme une chance. A partir de ce postulat, il est évidemment difficile d’anticiper les problèmes de cohabitation, et a fortiori de les régler. Cela dit, le problème est plus profond. Les dirigeants européens semblent dépassés par l’évolution du monde. La crise migratoire a révélé un manque total de préparation et d’anticipation. Les dirigeants européens ont été incapables d’analyser le Printemps arabe et ses conséquences. Ils ont cru qu’il s’agissait d’un mouvement démocratique, sans tenir compte des leçons antérieures comme la guerre civile en Algérie, lorsque les premières élections libres organisées par le FLN se sont traduites par une victoire écrasante des islamistes. Les Européens ne comprennent pas l’islamisme car celui-ci ne correspond pas à leurs schémas de pensée. Du coup, l’Europe est entrée dans le XXIème siècle sans réaliser que les temps avaient changé. Elle ne s’est pas dotée des moyens pour affronter les nouveaux défis. Par exemple, le système de Schengen est un non-sens : comment peut-on sérieusement croire que les frontières extérieures vont être gardées sans avoir un Etat central digne de ce nom, sans avoir une armée et des gardes-frontières ? 

Aujourd’hui, les Européens semblent dépourvus de stratégie pour faire face aux difficultés. La seule option qu’ils avancent consiste à négocier avec la Turquie pour que celle-ci accepte de garder sur son sol les millions de migrants qui quittent leurs pays. Les Européens sont disposés à payer cher pour cela, et même à relancer les négociations d’adhésion avec la Turquie. Mais en pactisant avec ce pays, ils se mettent dans une position très difficile pour la suite car ils lui donnent un moyen de pression considérable. L’Europe est aujourd’hui à la merci d’un chantage : que feront-ils le jour où la Turquie menacera de mettre ses migrants dans des bateaux à destination des côtes européennes ?

De l'autre côté de l'Atlantique, Donald Trump continue de largement dominer les sondages, sur des thématiques proches, voir plus radicales encore, que celles défendues par les "populistes européens". Comment expliquer un tel parallélisme alors que les situations des deux continents sont très différentes ? Quels sont les points communs permettant de comprendre une telle unité de réaction ?

Guylain Chevrier : Le candidat à la Maison blanche parle beaucoup des musulmans, qui sont de plus en plus perçus comme un danger à travers les attentats qui touchent le monde occidental et même à présent les Etats-Unis, créant une nouvelle perception de l’immigration. Pourtant ce pays doit tout historiquement à l’immigration sur laquelle il s’est construit. Jusque-là, chacun était invité à vivre dans sa communauté, tout allait bien tant que le business n’était pas mis en cause, mais là, c’est la sécurité qui touche au pronostic vitale de la confiance économique. Il joue sur le sentiment que l’on n’est plus chez soi dans ce sens où, n’est plus respecté le modèle du multiculturalisme, ce modèle qui ne dérange pas l’individualisme absolu qui règne dans ce pays derrière le mythe que tout le monde peut y devenir riche.

On peut distinguer une certaine convergence dans le fait de ne pas vouloir voir de risques, derrière une immigration inscrite dans le multiculturalisme qui justifie le système aux Etats-Unis, comme le fait Obama sur quoi surfe Donald Trump, ou derrière une idéologie humanitariste en Europe d’accueil des migrants qui sert de bonne conscience à des politiques incapables de créer de la dynamique économique commune. Il y a aussi convergence dans le risque qu’induit l’immigration massive, incontrôlée, d’implosion culturelle et politique, d’explosion de violence, de rejet, de racisme, alors que la crise multiplie déjà les tensions sociales. L’influence montante du FN n’est pas sans rejoindre, malheureusement, ici ce contexte.

On découvre avec les événements de Cologne que les immigrés sont des individus qui peuvent poser de graves désordres, redoublant une situation de tensions vis-à-vis d’une immigration venue de pays musulmans qui peut inquiéter. Le juge antiterroriste Marc Trévidic, dans une interview donnée à Paris Match en septembre dernier, exprime clairement les risques que des djihadistes fassent partie du lot de ceux qui viennent sur notre sol, comme les attentats de novembre dernier l’ont tristement révélés. On sort donc de l’angélisme, sans pour autant tomber dans les amalgames, mais il faut regarder les choses bien en face.

Les pays développés qui accueillent une immigration continue depuis plusieurs décennies, venue de pays du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, ou encore du fin fond de l’Europe de l’Est, découvrent la nécessité de revenir vers la raison et de devoir sortir de l’idéologie victimaire de l’accueil illimité. Ce n’est qu’un début, car les vrais problèmes me semble-t-il sont devant nous, la machine est enclenchée et elle a un certain pouvoir d’inertie, qu’un choc frontale risque bien demain de venir faire dérailler si rien n’est fait, dont nulle ne peut dire aujourd’hui les conséquences.

Vincent Tournier : Ce qui paraît étonnant dans le cas américain, c’est la place qu’a pris l’islam dans la campagne des primaires, dont le phénomène Donald Trump est un signe le plus manifeste, alors que les musulmans sont ultra-minoritaires, même si leur nombre est en hausse puisque, selon les dernières évaluations du Pew Research Center, ils sont passés de 1% à 3%. On a eu la même chose au Canada, où la question de l’islam a occupé une grande place lors des dernières élections législatives. Or, ces deux pays sont très différents des pays européens car ils ont bâti leur imaginaire national sur l’immigration. Ils se voient donc comme des pays d’immigration, ce qui n’est pas le cas en Europe. Certes, la polarisation des débats sur l’islam s’explique en grande partie par le contexte géopolitique et par les attentats terroristes, lesquels ont frappé autant les Etats-Unis que le Canada.

Mais il faut sans doute tenir compte d’un autre facteur : l’ampleur des problèmes que pose l’implantation de l’islam dans les pays occidentaux. C’est toute la thèse développée par Christopher Caldwell dans son livre Une révolution sous nos yeux, publié en 2011. Dans ce livre, Caldwell attire notre attention sur le fait que l’implantation d’une communauté musulmane contraint les pays d’accueil à reconsidérer une grande partie de leur fonctionnement, de leurs institutions, de leurs règles de vie collective. Par exemple, récemment, un collectif de musulmans de Mantes-la-Jolie a lancé une pétition pour demander à la mairie de réserver certains créneaux aux femmes, qui plus est avec un encadrement exclusivement féminin. Accéder à une demande de ce type est tout sauf anodin car cela conduit à reconsidérer en profondeur le fonctionnement de la vie en collectivité.

Faudra-t-il par exemple instaurer des horaires distincts dans les magasins ou les services publics ? La difficulté est aussi que, comme Caldwell l’a bien indiqué, les demandes de ce type s’appuient, non pas sur des considérations religieuses, ce qui provoquerait des blocages, mais sur un argumentaire qui fait appel aux droits, donc qui est parfaitement recevable pour des Européens. Dans le cas de la piscine à Mantes-la-Jolie, le collectif des musulmans  met ainsi en avant le droit au loisir ou le droit de bénéficier des bienfaits des activités physiques. C’est la même tactique qui a été suivie pour les demandes sur le voile ou la burqa : pourquoi les femmes ne seraient-elles pas libres de se vêtir comme elles l’entendent ? Les Européens sont pris de court car ils n’ont pas la parade, sauf éventuellement dans des cas extrêmes. Par exemple, la Suisse a refusé de reconnaître le mariage d’un Afghan avec son épouse mineure, ce qui a été accepté par la Cour européenne des droits de l’homme.

Au total, il n’est donc pas étonnant que l’islam suscite un débat bien plus large que ce que représentent les musulmans d’un strict point de vue démographique. Leurs revendications touchent des questions sensibles. A chaque fois, les enjeux sont disproportionnés par rapport à la place que les musulmans occupent dans la population. Autoriser la burqa, c’est reconsidérer toute la manière dont les individus entrent en relation puisque, comme le rappelle Pierre Manent dans son livre Situation de la France, « jamais les Européens n’ont caché leur visage, sauf celui du bourreau ». Il en va de même pour les revendications sur l’alimentation halal ou même sur le ramadan.

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