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Espionnage, incursions dans l’espace aérien et les eaux territoriales : ces pressions que la Russie exerce sur la Suède pour la dissuader de rejoindre l’OTAN
©Reuters

Tensions

Alors que la coopération entre la Suède et l'OTAN sera débattue au Parlement suédois le 25 mai, la Russie multiplie les manœuvres d'intimidation pour tester la souveraineté nationale et la résistance suédoise.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : D'après des fuites dans la presse suédoise, le service de renseignement du pays s'inquiète de la hausse des activités d'espionnage de la Russie sur son territoire. Ces dernières seraient liées à une volonté russe d'empêcher tout renforcement de la coopération entre la Suède et l'Otan, alors que s'ouvre le 25 mai prochain un débat parlementaire sur la facilitation du stationnement des troupes atlantistes dans le pays. A quelles pratiques d'espionnage se livrent les services de renseignement russes en Suède ? Quelle est leur dimension réelle ? 

Florent Parmentier : La Suède a été autrefois une grande puissance militaire européenne, qui rivalisait à l’Est avec la Moscovie, notamment du temps de l’opposition entre et Pierre le Grand (XVIIIe siècle). Är contraste, depuis la guerre menée contre la Norvège en 1814, la Suède a su préserver sa neutralité y compris pendant les deux Guerres mondiales, puis la Guerre froide.

Ce goût pour la neutralité ne signifie pas pour autant que la Suède n’était pas capable d’initiative diplomatique : l’une des dernières en date est bien ce Partenariat oriental, qui cherche à transformer des pays situés entre l’UE et la Russie (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine), et qui a été mal accueilli à Moscou.

De fait, l’implication de la Russie en matière de renseignement en Suède semble grandissante si l’on en croit les sources locales. Cela fait suite à des violations d’espace maritime ou aérien depuis 2014, qui ont le don d’agacer profondément les acteurs de sécurité suédois. Dans ce contexte, l’activisme russe pour éviter un rapprochement entre la Suède et l’OTAN se fait de plus en plus agressif, comme en témoigne l’action de différentes personnes présentées comme diplomates, et chargées en pratique de repérer des infrastructures militaires et civiles.

La présence russe en Suède semble ainsi plus évidente que précédemment, et ne peut rester inaperçue. Toutefois, il ne faudrait naturellement pas non plus tomber dans l’excès inverse qui consisterait à penser que la Russie est le seul pays désirant influencer la Suède, ou le seul pays y envoyant des espions…

Par quels autres moyens la Russie essaie-t-elle d'empêcher le rapprochement Suède-Otan ? 

Florent Parmentier : Face à la perspective de rapprochement entre la Suède et l’OTAN, les autorités russes tentent différentes mesures, les rétorsions économiques fonctionnant moins bien du fait des sanctions en cours.

Au-delà des pratiques classiques d’espionnage, les autoritésrusses sont devenues des expertes en matière de cyber-sécurité, n’hésitant pas à faire pirater certains sites d’information en mars dernier. En outre, Moscou tente d’entretenir des relations plus nourries avec l’extrême-droite suédoise, comme elle l’a fait avec d’autres pays, afin de faire porter certains de ses thèmes au niveau du grand public, essayant ainsi de déstabiliser le consensus atlantique porté par des forces pro-américaines. 

Comment a évolué l'attitude de la Russie à l'égard de la Suède au cours des dernières années ? 

Cyrille Bret : Les relations entre la Russie et la Suède sont passées d'une neutralité et d'une non-agression à une phase de test des souverainetés nationales. En effet, la Russie a testé les souverainetés suédoises dans plusieurs domaines : tout d'abord dans le domaine des eaux territoriales avec des exercices autour du Gotland et des patrouilles sous-marines non loin de Stockholm ; dans le domaine aérien également, notamment dans l'extrême nord du pays et dans la zone proche des pays baltiques ; et enfin dans le domaine du cyberespace en déclenchant plusieurs types de tests sur les administrations et les médias suédois.

Toutes ces opérations visent à tester la résistance suédoise aux attaques russes.

Dans quelle mesure peut-on comparer l'action de la Russie en Suède à son attitude vis-à-vis de l'est de l'Ukraine ? 

Cyrille Bret : La comparaison ne se limite pas à l'est ukrainien et peut être élargie à d'autres pays. Depuis les années 2000, la Russie utilise des moyens conventionnels et non conventionnels pour tester les capacités de résistance de ses voisins. Que ce soit en Estonie en 2008 avec une cyberattaque massive, en Géorgie avec des opérations militaires en réponse à une agression géorgienne ou encore dans l'est de l'Ukraine. 

Toutefois, à la différence des pays que je viens de mentionner, la Suède est un état extrêmement stable dont l'appareil d'état civil fonctionne très bien et dont l'appareil militaire est entraîné et conséquent, ce qui n'est le cas ni des pays baltes, ni de la Géorgie ni de l'Ukraine. Dans ces anciennes républiques soviétiques, l'appareil étatique est bien moins organisé et bien moins bien stabilisé. Ce sont des Etats naissants avec des appareils militaires très rudimentaires, tandis que la Suède a une tradition militaire depuis le XVIe siècle et était la grande puissance militaire de l'Europe du nord au XVIIe siècle (dont l'armée a défait la Prusse et la Russie).

Si l'action russe et les moyens de l'action russe peuvent être tout à fait comparés à ce qui est fait dans ces zones, la Suède se distingue donc par sa grande résistance et la solidité de son appareil d'Etat. 

Par ailleurs, l'autre différence tient au fait qu'il n'y a pas d'empiétement territorial massif de la Russie sur le territoire suédois alors que dans le Donbass ukrainien, il y a des ressortissants et des mercenaires russes (si ce n'est des troupes officielles) qui opèrent. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle dans le cas de l'Ukraine, l'attitude de la Russie est assimilée à des actes de guerre tandis que dans le cas de la Suède, cela est plutôt perçu comme des manœuvres d'intimidation. 

Pensez-vous que l'attitude russe en Suède s'apparente à une "guerre hybride" ? Comment cette dernière pourrait-elle évoluer ? 

Cyrille Bret : Les moyens utilisés et les buts poursuivis par la Russie en Suède échappent aux traditionnelles distinctions entre guerre et paix, entre conflit armé et paix armée. Des concepts tels que "guerre hybride" ou "tensions" sont donc plus appropriés que le terme de conflit.

Se tiendra le 25 mai un débat au sein du Parlement suédois sur l'adhésion à l'OTAN. Il me semble que l'option de l'adhésion est majoritairement exclue en Suède car la tradition de neutralité y est ancienne. 

En revanche, l'attitude de la Russie poussera très certainement la Suède à renforcer ses capacités militaires. La Suède est d'ailleurs en train d'augmenter ses crédits militaires - certes à sa mesure, car c'est un Etat relativement modeste dont l'appareil militaire est essentiellement défensif et repose sur des forces spéciales et des réserves très fortes -. En outre, cette "guerre hybride" conduira certainement la Suède à renforcer sa vigilance sur les opérations russes dans l'espace baltique et à renforcer sa solidarité avec les Etats baltes et la Finlande. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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