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Escape game : quand les fans de jeux vidéo retournent aux bases du jeu de rôle
©Pixabay

Un petit tour dans la vie réelle

La nouvelle tendance, qui séduit bien au-delà de le sphère geek, illustre en fait le lien toujours existant entre réalité virtuelle et réalité matérielle dans la pratique ludique geek. Pour quelques euros, l'escape game permet de s'ouvrir à une nouvelle activité ludique, interactive et sociale.

David Peyron

David Peyron

David Peyron est Docteur en sciences de l’information et de la communication à l'université Lyon 3 et titulaire d’un master en sociologie. Il travaille sur la culture geek, les fans, la culture populaire et en particulier sur les liens entre identité et fiction.

Il est l’auteur d’une thèse puis d’un livre portant sur l’émergence d'un mouvement geek revendiqué et ses enjeux identitaires : Culture Geek, aux éditions FYP.

Son éditeur: http://www.fypeditions.com/culture-geek/

 

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Atlantico : Les "escape rooms" ou "escape games" se multiplient en France depuis quelques temps au point de devenir un phénomène de mode. Pouvez-vous, pour commencer, nous expliquer en quoi consistent ces jeux et à quels univers ils font référence ?

David Peyron : Ces jeux reposent sur un mécanisme d'énigme ou plutôt de succession d'énigmes à résoudre de manière collective afin de sortir d'une pièce décorée. C'est une forme ludique finalement assez classique dont on peut trouver des traces dans toute la culture ludique, et notamment dans les jeux vidéo où il est souvent question de résolution d'énigmes de logique afin de progresser, d'entrer ou de sortir d'une pièce ou de passer un niveau. Les fans de Point & Click une forme de jeu classique, mais aussi de Lara Croft, ou encore de la série des Professeur Layton ne seront pas dépaysés.

On peut ajouter qu'un genre de jeux vidéo en soi déjà très populaire sur Internet ces dernières années se nomme escape room : il s'agit justement de trouver comment quitter une pièce le plus vite possible. Comme dans les jeux vidéo, il ne s'agit pas de résoudre une énigme "pure", c'est à dire sortie de son contexte ; elle est insérée dans un scénario et un univers qui viennent se calquer sur les mécaniques ludiques et les épreuves de logique. La différence est que cela se passe de manière collective ce qui peut arriver dans les jeux vidéo mais pas toujours, et qu'il s'agit d'épreuves dans un cadre matériel qui renvoie alors à des pratiques comme le jeu de rôle grandeur nature qui connaît lui aussi un succès grandissant, mais aussi les livres d'énigmes et autres chasses aux trésors. Concernant le cadre, il s'agit le plus souvent de se référer à des univers génériques bien établis, c'est-à-dire à ce que l'on nomme les œuvres "de genre" (science-fiction, horreur, policier, fantastique). Cela s'explique par le fait que ces genres sont déjà très présents dans la culture ludique, et aussi qu'ils sont très codifiés. Ces codes sont connus des passionnés ce qui permet une immersion rapide sans avoir à apprendre beaucoup du contexte. Une salle tâchée de sang, et immédiatement on pense à certains films d'horreurs célèbres ; un bureau et un téléphone de style années 1950 et des dizaines de films noirs viennent en tête. Ainsi, le coût d'accès à l'univers est facilité, ce qui permet de se concentrer sur les énigmes, l'histoire et la collaboration.

Pourquoi le joueur tient-il à s'enfermer avec des amis dans une pièce pour s'échapper ? Quel est le plaisir et l’interaction recherchés ?

Le plaisir de la résolution d'une énigme complexe est bien connu ; c'est le même qui, à une autre échelle, apparaît lorsqu'on termine une grille de Sudoku ou une partie de démineur : le fait d'avoir accompli une tâche difficile mais dans un contexte ludique qui lui donne des enjeux moins angoissants que ceux du quotidien. Cela donne le sentiment d'une capacité d'agir, ce qui est toujours plaisant dans un contexte contemporain incertain. Un jeu est une parenthèse, mais pas une abstraction ; les talents et capacités de chacun sont toujours là et les liens sociaux aussi, et tout est concentré dans le but de résoudre un problème. Dans ce contexte, l'interaction avec les autres est très importante : c'est la dimension humaine qui fait la richesse de ces jeux et qui fait que chaque partie sera différente, et que même l'échec peut être plaisant, alors que dans le même temps, la tension liée au temps limité est grisante. Même si on peut questionner la dimension de récupération utilitariste de la pratique, cela n'est pas étonnant que beaucoup d’entreprises se servent de ces jeux pour resserrer les liens entre employés, car résoudre ensemble un tel ensemble d'énigmes correspond à mener à bien un projet collectif.

En quoi ce phénomène, typique du jeu de rôle, s'inscrit-il dans une légitimation sociale de la culture geek dans notre société ?

Légitimation je ne sais pas, en revanche acceptation oui. Il devient de plus en plus normal d'avoir ce type de loisir et de passer un samedi après-midi à faire un jeu dans un univers imaginaire avec des amis, quand on sait que c'est ce pour quoi les joueurs de jeux de rôle ou de jeux vidéo sont décriés depuis plus de 30 ans. De ce fait, il est clair que les choses ont changé pour des raisons générationnelles, sociales et culturelles.

Alors que nous vivons les premiers pas de la réalité virtuelle, ce retour à la réalité, à l'IRL (In Real Life), est-il un phénomène social profond ou la marque d'un retour d'une culture rétro issue, par exemple, des jeux de plateaux ?

En fait, l'idée de la culture ludique, de la culture geek ou de la culture populaire comme tendant vers un tout virtuel, est fausse depuis les origines et est plutôt le fruit d'un ensemble de représentations parfois poussées par les promoteurs de certaines technologies. Quand on observe les jeunes passionnés aujourd'hui, cette distinction n'a pas de sens et il est aussi absurde de penser qu'ils vont se perdre dans les limbes du cyberspace que de penser qu'ils vont en rester à des manière classiques de jouer ou de consommer de la fiction. Les joueurs de jeux en ligne passent aussi beaucoup de temps à discuter de leurs parties avec leurs amis au quotidien ; ils vont ensuite imprimer en 3D leur avatar du jeu, puis décider d'en faire un costume pour une convention en se renseignant sur les techniques de fabrication sur Youtube ou sur des forums pour ensuite faire leur marché dans une mercerie bien réelle. La matérialité n'a jamais disparu et de l'autre côté, le numérique est un énorme apport pour fluidifier les projets de chacun.

Le succès des escape games, mais aussi des jeux de plateau et de rôles, rappellent que personne ne souhaite une disparition totale des objets et du matériel. La tendance est plutôt à une hybridation complexe dont on est loin d'avoir vu toutes les conséquences ; les objets et les décors concrets ont une force indépassable (on le voit au cinéma avec un retour à des effets moins purement numériques) et dans le même temps, la culture numérique et des réseaux sociaux permet d'apporter énormément à ces objets en multipliant leurs possibilités ludiques et participatives. On peut jouer à des jeux de plateau avec son smartphone et on peut dessiner avec un logiciel spécialisé la carte de sa prochaine chasse au trésor entre amis, à quoi s'ajoute comme un outil supplémentaire la réalité virtuelle. Tout est possible et rien n'est séparé.

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