Éric Zemmour ou l’homme qui refusait catégoriquement de jouer sur la corde sensible<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Eric Zemmour, sur le plateau de l'émission de France 2, "Elysée 2022".
Eric Zemmour, sur le plateau de l'émission de France 2, "Elysée 2022".
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

"Elysée 2022"

Pour sa première grande émission politique depuis l'annonce de sa candidature à l'élection présidentielle, Eric Zemmour a débattu avec Bruno Le Maire et Samia Ghali. L'émission de France 2, "Elysée 2022", a été suivie par 2,84 millions de téléspectateurs jeudi soir. La mue de l’écrivain et du débatteur télévisé en candidat est-elle achevée ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Que nous dit l’émission politique d’hier de la manière dont Éric Zemmour envisage la politique ?

Christophe Boutin : Éric Zemmour reste fidèle à ce qu'il a toujours dit, se plaçant ici dans la lignée d’hommes d’État comme Richelieu : la raison d'État implique de faire parfois des choix qui se sauraient reposer sur l'émotionnel. Plusieurs fois au cours de la soirée il a ainsi assumé une certaine dureté de ses propos, comme par exemple lorsqu’il évoque avec un journaliste économique la question du renvoi des étrangers après six mois de chômage. À chaque fois que l’on tentera de faire jouer la corde sensible, ici en évoquant telle situation douloureuse, comme avec les dessins d’enfants présentés par Samia Ghali, Éric Zemmour restera ferme. Selon lui, s’il faut prendre compte des situations individuelles difficiles, cela ne saurait permettre d’oublier le contexte général dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi, face à une jeune femme d'origine étrangère et de religion musulmane, dont il a estimé qu'elle était très sympathique, il a rappelé que la véritable question était celle des conséquences de la multiplication de ce type de profil en France.

Selon lui, et il a employé le terme face à Bruno Le Maire, les politiques actuels ne sont plus que des « gestionnaires », incapables comme tels de faire de la grande politique, n’ayant plus de véritable vision d'État. Or le rôle du Président, et il l’a rappelé, lui semble d’être capable d’avoir cette vision large, y compris par exemple en matière de relations internationales : il a ainsi considéré que la France se devait d'entretenir des relations avec tout le monde, y compris avec une Arabie Saoudite dont il déjà critiqué le régime, ou que la Russie était à bon droit inquiète de l'arrivée des troupes de l'OTAN à ses frontières.

À Lire Aussi

Victoire de Lisnard, trou d’air de Zemmour : LR retrouve un (petit) peu d'oxygène

La mue de l’écrivain ou plus encore du débatteur télévisé en candidat est-elle achevée ?

Visiblement pas totalement. Face aux chiffres avancés par Bruno Lemaire, ou à d’autres arguments venus des journalistes, Éric Zemmour s'est en effet parfois contenté de répondre que c’était faux, sans vraiment argumenter, et c’est sans doute un peu juste pour justifier des choix ou un programme. Était-il nécessaire par ailleurs de traiter Bruno Le Maire de « cancre », ou d'évoquer « l'employé de Bruxelles » ? Quand il résume ensuite le mouvement MeToo à une volonté d'éradication des hommes, le débatteur acéré, amateur de piques et de pointes, est sans doute par trop présent. Enfin, Éric Zemmour a tenu, dans la droite ligne de son discours de Villepinte, à mettre sa candidature en perspective en expliquant qu’il n'était finalement candidat que par défaut ou presque, parce qu’aucun politique n’avait repris les éléments qu’il développait, ce qui peut nuire à sa légitimation.

Il est vrai que le candidat de 2012 a été souvent renvoyé à l’écrivain qu’il était. À tort ou à raison ? À partir du moment où l'élection présidentielle est bien la rencontre d'un homme et d'un peuple, il n'est pas illogique que l'on cherche à savoir qui est vraiment Éric Zemmour, quels sont les ressorts de sa personnalité, quelle est sa manière d'être, quelle est pourrait-on dire sa vision du monde. Répondre que ces écrits ou déclarations anciens relèvent d’une autre vie, et que le seul Zemmour qui existe maintenant est le candidat est en ce sens assez peu satisfaisant.

À Lire Aussi

Présidentielle 2022 : ce vague à l’âme des électeurs de droite qui pourrait bien ne pas se dissiper malgré la clarification des candidatures

Par contre, inversement, Éric Zemmour a raison de se plaindre de ce traitement, car il est vraisemblable que les autres candidats à la présidentielle ne seront pas interrogés sur ce qu'ils ont pu dire, écrire ou penser il y a dix, quinze ou vingt ans. Va-t-on par exemple demander à Valérie Pécresse si elle souhaite toujours « une France métissée », mettra-t-on Jean-Luc Mélenchon en face d'un certain nombre de ses contradictions, ou Emanuel Macron, si celui-ci finit par se déclarer candidat ? En ce sens donc Éric Zemmour a raison : on ne peut pas passer une part non négligeable d'une émission de télévision consacrée à un candidat à l'élection présidentielle à ressasser en boucle, par exemple, sa supposée misogynie.

Que dire de la passe d’armes avec Bruno Le Maire ?

Que deux approches inconciliables se sont affrontées sur bien des points, sans pour autant que les Français aient eu finalement une vision claire des choses. En économie, Bruno le Maire parle de « grand redressement », Éric Zemmour de « grand déclassement ». Sur l’énergie, le premier vante le tarif régulé, le second attaque les diktats de l’Union européenne. Sur le droit, le ministre rappelle l’importance de la hiérarchie des normes dans l’État de droit, le candidat s’inquiète des interprétations des juges. Et sur l’immigration, quand Bruno Le Maire veut croire à l’intégration républicaine, Éric Zemmour lui oppose la réalité des quartiers.

Dans tous les cas donc, on a eu l’impression, soit, si l’on a été convaincu par Bruno Le Maire, qui a été très cohérent dans ses propos, de la victoire certaine demain des grands « principes républicains », soit, si on l’a été par un Éric Zemmour qui ne s’est pas laissé démonté, de leur défaite au quotidien.

À Lire Aussi

Bruno Le Maire affronte Éric Zemmour en oubliant de prendre une assez longue cuillère

Et avec Samia Ghali ?

On se demande pourquoi ce choix comme invitée surprise de l'ancienne sénatrice et maintenant maire-adjointe de Marseille. S’agissait-il de pousser Éric Zemmour à la faute ? Quoi qu’il en soit, il est resté de marbre, on l’a dit, sur la « séquence émotion » des jolis dessins. Et il est même permis de penser que la prestation Madame Ghali a renforcé les  partisans d’Éric Zemmour : visiblement incapable de choisir ses références ailleurs que dans un monde culturel étranger - citant l'exemple de la Kahina, la reine berbère qui a combattu l'invasion arabe au Maghreb, ce que Éric Zemmour ne manqua pas de relever avec humour -, jouant sur un registre limité qui n’était pas sans rappeler certaines émissions de téléréalité,  résumant Marseille à « Soprano et Jul », décrivant une ville ressemblant plus aux feuilletons bien pensants qu’à ce pourquoi elle demandait en 2012 l’intervention de l’armée, elle a conclu en mettant en garde le candidat contre un discours qui  allait « mettre en danger la France ». Un discours qui allait inéluctablement entraîner selon elle une guerre civile et que l’on n’aurait donc plus le droit de tenir en France, ce qui est une curieuse manière d’envisager la liberté d’expression et les rapports de force. Pas certain donc que ce choix n’ait pas été contreproductif.

A lire aussi : Bruno Le Maire affronte Éric Zemmour en oubliant de prendre une assez longue cuillère

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

LR : un seul atout vous manque et tout est dépeuplé…La droite macronienne face à l’inversion de la charge de la preuve

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !