Épidémie mondiale d’obésité : ce qu’on en comprend, ce qui reste mystérieux<!-- --> | Atlantico.fr
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La souris à droite de la photo est victime du gène "ob" qui la rend obèse.
La souris à droite de la photo est victime du gène "ob" qui la rend obèse.
©Reuters

Obésité morbide

La revue médicale Lancet a communiqué les résultats de sa dernière étude sur l'obésité : près de 2.1 milliards de personnes sont concernées par cette pathologie, soit presque un tiers (30%) de la population mondiale. Un constat qui a de quoi alerter.

Gérard Dine

Gérard Dine

Gérard Dine est professeur de biotechnologies à l’École Centrale de Paris, président de l'Institut Biotechnologique de Troyes et chef du service d'Hématologie et d'Immunologie de l'Hôpital des Hauts-Clos de Troyes.

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Atlantico : L'obésité touche aujourd'hui près de 2.1 milliards de personnes, soit 30% de la population mondiale d'après une étude (voir ici) publiée par la revue médicale Lancet. Aujourd'hui, quels sont les aspects de l'obésité que la science peut expliquer mais également ceux sur lesquels persistent des zones d'ombre ? 

Gérard Dine : La première chose qu'il est important de dire, c'est qu'il s'agit d'un chiffre effrayant. D'un chiffre effrayant, mais également d'un chiffre particulièrement douloureux pour les médecins. En un siècle, nous sommes passés d'une période de disette – au sens originel du terme – généralisée et durant laquelle une grande partie de la population était confrontée à un manque à une véritable épidémie d'obésité.

Concernant ce que la science est aujourd'hui capable de dire vis-à-vis de cette dite épidémie, c'est parfois plus compliqué. On sait que, génétiquement parlant, l'homme est un chasseur-cueilleur. Il y a 15 000 ans, l'essentiel de notre alimentation provenait de ces deux activités, ce qui résultait sur un manque en termes d'apport de protéines, tandis qu'on mangeait énormément de végétaux. Bien évidemment, l'arrivée de l'agriculture et de l'élevage ont provoqué quelques évolutions, mais globalement nous avons conservé un code génétique relativement similaire aujourd'hui. A ceci près que l'on mange beaucoup plus. D'une manière nettement moins équilibrée. Les protéines, qui nous sont indispensables et dont on a cruellement manqué jadis, sont devenues beaucoup plus accessibles, de même que les glucides et les lipides – soit les sucres et les graisses.

La situation a fondamentalement changé en un siècle : on mange trop, aujourd'hui, par rapport à la résistance que notre génétique a mise en place contre l'insuffisance. Cette inadéquation entre l'offre de nourriture tant en qualité qu'en quantité et nos besoins génétiques fait partie des facteurs que la science sait expliquer. Sachant qu'on progresse dans le séquençage du génome, on a de plus en plus de précisions sur ce genre d'aspects, y compris les prédispositions à des troubles métaboliques de cet ordre là. Parce que, oui, il existe évidemment des inégalités entre individus face à l'obésité, quand bien même tout cela ne peut pas expliquer ni légitimer cette épidémie. Certes, la génétique joue son rôle dans cette maladie, cependant, c'est d'abord et avant tout un processus comportemental. C'est là qu'il faut agir.

Cela va sans doute de soi, mais la science ne saurait pas tout expliquer : nous sommes toujours très épatés que certaines populations – comme les inuits ou les amérindiens – qui suivaient des régimes spécifiques ont pu, en 2 ou 3 générations, changer aussi radicalement morphologiquement. Il n'a fallu que quelques générations et un changement d'environnement alimentaire (les inuits, par exemple, avaient une alimentation exclusivement lipidique, pour lutter contre le froid) pour provoquer des conséquences catastrophique. Comment l'expliquer ? Cela fait parti des points qui restent incompréhensibles. Selon les différences ethniques ou raciales, il reste des choses que nous ne maitrisons pas.

La quantité de nourriture que l'on consomme peut-elle à elle seule expliquer l'augmentation de l'obésité ?

Il serait idiot de dire qu'elle ne peut pas fournir d'explication en tout cas. Plus la quantité alimentaire prise chaque jour est riche, et moins elle est dépensée, plus on créé les conditions d'une surcharge pondérale. L'être humain est ce qu'on appelle un mammifère supérieur, ce qui sous-entend qu'il est fait pour bouger. Je le disais tout à l'heure, mais nous avons la génétique de gens qui bougent beaucoup, tout en étant quotidiennement confrontés à un manque de protéines. Aujourd'hui, on tend à supprimer la dépense énergétique, tout en augmentant l'accès à ces protéines et aux grausses. Ca n'est évidemment pas bon. 

Il faut aussi prendre en en compte qu'à la quantité s'ajoute une qualité souvent déséquilibrée. Jetez un œil aux apports caloriques d'un burger avec des frittes. Il y a, évidemment, les protéines dont nous parlions tout à l'heure, mais un sérieux manque de nutriments de base comme les vitamines ou les oligoéléments. Sans oublier l'apport qualitatif anormal en graisses et en sucres. Or, pour les sédentaires que nous sommes devenus, cet apport est catastrophique. Et cette rupture dans l'équilibre est sans doute aussi importante à analyser que les conséquences qu'elle peut avoir – notamment l'apport quantitativement négatif.

Quel est le rôle joué par l'industrie agro-alimentaire dans cette prise de poids à l'échelle globale ?

Les compagnies agroalimentaires, dans les pays post-industriels, ont effectivement une attitude qui tend à favoriser la prise de poids. D'une part parce que c'est sûr la consommation qu'elle vit, et qu'il est donc logique qu'elle l'encourage par différents procédés. Prenons l'exemple de Coca-Cola. Boire un Coca-Cola entraîne l'envie d'un deuxième : il y a un aspect addictif, indépendant du sucre par ailleurs. Ce qui signifie que même si l'on diminue le sucre – au travers des Coca-Cola Light et Zéro – les gens continueront d'en boire. Et finalement, même en croyant boire quelque chose de plus sain pour eux, ils continuent à se gaver de sucre.

On vit aujourd'hui dans une société de consommation. L'alimentation était un besoin, qui change relativement selon les cultures et qui est marqué par la peur d'un manque resté dans nos gênes. Aujourd'hui, c'est devenu un objet de consommation comme un autre, notamment sous l'impulsion des compagnies agroalimentaires. A partir de là, on est en train de créer un nouvel aspect, qui tient de l'ordre du comportement – presque de la culture. Depuis une vingtaine d'année, le surpoids a été identifié aux Etats-Unis. A partir de quoi, une partie des compagnies alimentaires ont cherché à réagir. Plus que pour des raisons d'éthiques, c'était pour s'assurer que les gens continuerait  de consommer leurs produits.

Dans quelle mesure des caractères d'ordre plus culturel mènent-ils vers la surcharge pondérale ?

Les caractères culturels mènent vers la surchage pondérale quand il y a une rupture complète avec les habitudes alimentaires traditionnelles. Ce fut notamment le cas des peuples amérindiens ou des Inuits. Les premiers chassaient le bison dans les grandes plaines d'Amérique. Ils avaient donc un apport en protéïne assez conséquent, jusqu'à ce qu'arrivent les blancs. Ceux-ci ont tué l'ensemble des bisons, et les améridiens se sont retrouvés sans bêtes à chasser. A ajouter que traquer la bête est une activité difficile, qui permettait de brûler les protéïnes évoquées. La même situation a frappé les Inuits, qui du jour au lendemain n'ont plus eu d'accèsn alimentaire. C'est quelque chose qui bouleverse fondamentalement la structure comportemtale d'une société. Or, dès lors qu'on change le modèle d'action collective d'une société, on touche nécessairement au processus comportemental individuel – et collectif – et donc on impact la culture de cette société.

Il aura fallu 150 ans pour trouver une solution aux problèmes alimentaires d'ordres qualitatifs et quantitatifs – avec néanmoins des défis à relever – et on a également su assurer la protection de l'espèce face aux maladies infectieuses. Grâce à la médecine, d'une part, et l'alimentation d'autre part. Et c'est pour ça que le phénomène de surconsommation, induit par le modèle qu'on connait aujourd'hui, est particulièrement regrettable. D'un côté on a su réaliser d'immenses progrès, tandis que de l'autre on met en place une épidémie qui posera nécessairement des problèmes métaboliques. Qu'il s'agisse de diabète, de surcharge lipidique – qui occasionne la surmortalité – ou de pathologies vasculaires... toutes ces maladies sont des conséquences de l'obésité.

Les sociétés post-industrielles ont davantage compris ces problèmes que les sociétés émergentes, ce qui induit également un différentiel. D'ici peu, on va connaître une explosion des pathologies métaboliques dans ces pays, alors qu'il y a 40 ans ils souffraient de la faim.

Au vu du nombre de facteurs influençant les prises de poids, comment peut-on lutter efficacement contre l'obésité ?

On peut lutter contre l'obésité avec des moyens assez basiques. Il faut manger seulement ce dont on a besoin, en se basant sur la dépense calorique. Parmi les causes de la hause de l'obésité, on retrouve le fait que jadis nous étions contraints de mener des travaux pénibles, susceptibles de jouer sur notre énergie. Aujourd'hui, ces travaux tendent à disparaître. Si la dépense n'existe plus, cela créé un déséquilibre, c'est logique.

Il faut également prendre en compte le fait que la sédentarité dès le plus jeune âge est une réalité qui, si elle n'est pas combattue dès qu'elle se manifeste, va influer sur la croissance de l'enfant, et poser des problèmes d'ordre métabolique. Il faut lutter contre, et puisqu'on ne se dépense plus en travaillant, il faut trouver une alternative. Et garder à l'esprit que la lutte contre l'obésité se fait également en amont, de façon préventive et dès le plus jeune âge.

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