Epidémie d’opulenciolite ? Les super riches de ce monde adoptent des trains de vie de plus en plus obscènes<!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré la crise, les riches sont toujours plus riches
Malgré la crise, les riches sont toujours plus riches
©Reuters

Le fric, c'est chic !

Malgré la crise, les riches sont toujours plus riches. Et certains en profitent, à plus ou moins bon escient. Explication de ces comportements qui, entre fascination et désapprobation, ne laissent pas indifférent.

Anthony  Mahé

Anthony Mahé

Anthony Mahé est sociologue à l'ObSoCo (Observatoire Société et Consommation). Il est spécialisé dans les domaines de l'imaginaire de la consommation et de la sociologie du quotidien. Il a réalisé une thèse de doctorat sur le recours à l’endettement bancaire à l'Université Paris-Descartes.

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Atlantico : Flambée des achats immobiliers, luxueuses chambres d'hôtels, voitures hors de prix et objets de luxe en tout genre, le train de vie des super riches, du moins aux Etats-Unis (voir ici), semble encore faire un pas vers plus d’opulence. Comment expliquer que, dans une situation de tensions économiques dans les pays développés, le comportement de consommation des riches ne s'orientent pas vers plus de modération ?

Anthony Mahé : En fait, on a tendance à regarder les dépenses somptueuses des super riches sous l’angle de la morale. Selon un article récent du Nouvel Observateur, 1 % des humains les plus riches détiennent 50 % des richesses mondiales et, de surcroît,  s’exhibent en nageant dans l’opulence. Cela a de quoi choquer l’opinion publique. Pour comprendre ce qui est en jeu, il y a un auteur, un peu oublié, qui revient à la mode aujourd’hui chez quelques économistes. Il s’agit de Georges Bataille[1]. Ce dernier oppose l’économie classique, qui se pense comme un système autonome, et ce qu’il appelle l’économie générale. L’économie classique explique l’origine de l’échange dans le besoin d’acquérir. Or, il y aurait aussi un besoin de destruction et de perte qui servirait à réguler les échanges, c’est ce que Bataille appelle la « part maudite ». L’économie serait en fait une articulation permanente entre la possession et la perte. Pour l’exemple qui nous intéresse,  le rang social est lié à la possession d’une fortune mais il faut qu’une partie de cette fortune soit dilapidée, sacrifiée à des dépenses sociales improductives comme les fêtes, les spectacles, les jeux, le luxe, etc. Cette conception de la dépense était parfaitement assumée dans l’aristocratie par exemple. L’idée de restreindre les dépenses (la rationalisation des dépenses) en tant que concept économique est une idée bourgeoise qui s’est construite dans l’ombre de la noblesse dont la puissance politique et sociale résidait précisément dans la dépense somptuaire.

Il faut bien comprendre que posséder une fortune n’est pas suffisant pour être riche socialement. Il y a des codes à adopter. La dépense improductive d’un Yacht paré de bois précieux ou d’une chambre d’hôtel à 15 000 euros la nuit fait partie de ces codes. Pour être riche, il faut savoir se débarrasser de la « part maudite ». C’est un rituel qui crée de manière assez surprenante un équilibre. Pour la question morale, nous devront nous contenter de la philanthropie de ces super riches encore prospère, particulièrement aux Etats-Unis. 

Les vendeurs de voitures ou d'objets de luxe notent l'accroissement du nombre de super riches venant des pays émergents, ces derniers ayant en outre un comportement d'achat encore plus ostentatoire. Comment l'expliquer ?

Les super riches ne sont pas tellement différents des autres consommateurs lambda. Bien sûr leur capital économique est incomparable mais la fonction psychosociale de leur consommation n’est pas si différente. Ces riches venant des pays émergents doivent se créer une place au sein de cette catégorie restreinte des super riches. Ils poursuivent, comme l’acheteur de l’iPhone, une quête identitaire. Pour se distinguer des autres riches, une sorte de compétition malsaine s’organise et un jeu de surenchère se met en place. Ainsi, on n’achète plus seulement une Lamborghini, on achète une Lamborghini parée d’une carrosserie incrustée d’or qui vaut 10 ou 15 fois le prix du modèle standard.  La dépense de ces nouveaux riches a une fonction agonistique, elle sert à écraser les autres et conforter leur position sociale dominante. Encore une fois, l’Histoire n’est pas avare d’exemples d’aristocrates se servant de l’opulence pour signifier leur suprématie, ce n’est pas très nouveau.

De nombreux programmes télé proposent de suivre la vie et les habitudes de consommation de super riches, malgré la désapprobation générale que leur comportement suscite. Comment expliquer cette fascination ?

Ce n’est pas si contradictoire que cela. L’obscénité signifie se mettre sur le devant de la scène. Les dépenses extravagantes des super riches sont un spectacle, qui trouve tout son sens justement parce qu’il y a des spectateurs. A ce titre, il faut bien être conscient que nous sommes tous spectateurs. Chacun est pris dans une ambivalence entre le plaisir et l’écœurement. Le luxe des dépenses extravagantes ne nous laisse pas indifférents et cela a d’énormes conséquences. L’historien Fernand Braudel l’avait bien compris. Selon lui, « si le luxe n’est pas un bon moyen de soutenir, ou de promouvoir une économie, c’est un moyen de tenir, de fasciner une société. »[2] Autre manière de dire que c'est moins le luxe en soi qui compte que son imaginaire. Il a cette capacité à relier un peuple autour des puissants. Les riches exhibent le luxe quand les autres se contentent de le vivre au travers d’un fantasme. Ce fantasme est alimenté par une série d’illusions d’accessibilité : pouvoir s’acheter un sac Hermès lors des soldes, voir ces jeunes footballers de banlieue devenir subitement riches en passant professionnel ou ces jeunes chanteurs de la télé-réalité devenir des stars, sans compter les gagnants du loto bien sûr. C’est peut-être de ce fantasme collectif, entretenu par les médias, dont découle l’extraordinaire faculté du luxe à se propager et s’exacerber dans un espace social alors même qu’il est entre les mains d’une minorité. Cette fascination pour le luxe est une constante. Juste ou non, cela contribue à créer un ordre social depuis des siècles. Même si des révolutions sont toujours possibles, soyons sûr que ce schéma se répétera comme un éternel recommencement.  


[1] Bataille, G.  (1967), La part maudite, précédé de la Notion de dépense, Paris, Les éditions de Minuit.

[2] Braudel, F. (1979), Civilisation matérielle, Economie et capitalisme XV ème – XVIII ème siècle, Tome 1, Paris, Armand Colin, p. 290.

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