Envolée de la dette française : à quel point est-ce vraiment un problème ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon s'inquiète de l'envolée de la dette française.
François Fillon s'inquiète de l'envolée de la dette française.
©Reuters

Le marronnier des politiques

"Derrière la Grèce, il y a l'ombre d'un défaut de paiement de la France. Personne ne pourrait aider la France", a déclaré François Fillon mercredi 1er juillet sur France Info. Pourtant la dette publique n'est pas toujours synonyme de catastrophe pour les Etats, loin de là.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Mercredi matin, sur France Info, François Fillon a mis en garde le pays concernant la dette. Pourtant, d'après un rapport récent du FMI, la limite de l'endettement français est encore loin d'être atteinte. Qui croire ?

Mathieu Plane : Le FMI est peut être plus compétent sur cette question que l'ancien Premier ministre... C'est une question politique qui est traitée de manière économique. Bien gérer les finances publiques n'est pas se donner un niveau de dette. Il faut prendre en compte les composantes de la croissance et quelles sont les contre parties à cette dette. Il y a des pays avec une dette très faible qui pourraient faire défaut car il n'y aucune garantie sur les paiements. Et à l'inverse le Japon a 250% de PIB de dette et il n'est pas du tout en situation de défaut de paiement.
Le problème est que les 30 points de PIB qu'on a pris en matière de dette n'ont pas de contre partie d'actifs. C'est ce qu'on appelle de la dette blanche pour éponger la crise. La question est : que fait-on de la dette et comment la gère-t-on ? Il faut sortir de la logique comptable.
La particularité dans cette crise est que les dettes publiques ont explosé un peu partout, et pas seulement en France. L'augmentation moyenne est de l'ordre de 30 points du PIB environ, dans la zone euro aussi et l'OCDE. Cela est lié à une crise du système financier ayant entrainé une crise économique majeure. Beaucoup de pays n'ont pas retrouvé le niveau de productivité d'avant 2008, avec des conséquences en terme de recettes fiscales et sociales, des dépenses publiques, d'amortisseurs sociaux etc. très fortes, et ce, malgré les politiques d'ajustement budgétaires extrêmement violentes que l'on n'a jamais connu depuis la Seconde guerre mondiale. Dans la zone euro, on n'a jamais fait autant d'efforts budgétaires en si peu de temps. Et pour autant on n'a pas réglé le problème des dettes publiques. En effet François Fillon oublie dans son analyse une composante, la dette publique n'est pas qu'un problème comptable et il y a un circuit macro économique assez complexe. Vouloir régler le problème des dettes publiques trop vite peut conduire à ne pas le régler et à entrer dans une déflation qui elle-même va creuser cette dette. Le cas du Japon en est assez proche.
Les taux d'intérêts n'ont jamais été aussi bas pour les principaux pays développés qu'aujourd'hui, et malgré les dettes publiques depuis. Donc le lien entre coût du financement des dettes et niveau des dettes n'est pas évident.
Face à un système économique vacillant et une fragilité du système financier, les investisseurs vont investir d'abord dans la dette publique. Quand le système financier va mal, la plus grande sécurité dans les investissements est le fait d'acheter des obligations publiques. Et puis le niveau de dette que l'on peut atteindre n'est pas le même si vous avez une banque centrale qui est préteur en dernier ressort ou si ce n'est pas le cas. Si la banque centrale vous garanti votre dette, les investisseurs ne vont pas spéculer contre cette dette. En 2012 on était au bord de l'implosion de la zone euro, c'est à ce moment que les taux d'intérêts sur la dette italienne ou espagnole avaient dépassé les 7%. Mario Draghi a alors expliqué qu'il ferait tout pour sauver l'euro est donc les pays présents. Il s'agit du fameux OMT permettant de racheter de la dette.

Bien gérer les finances publiques n'est pas se donner un niveau de dette. Il faut prendre en compte les composantes de la croissance et quelles sont les contre parties à cette dette. Il y a des pays avec une dette très faible qui pourraient faire défaut car il n'y aucune garantie sur les paiements. Et à l'inverse le Japon a 250% de PIB de dette et il n'est pas du tout en situation de défaut de paiement. Le problème est que les 30 points de PIB qu'on a pris en matière de dette n'ont pas de contre partie d'actifs. C'est ce qu'on appelle de la dette blanche pour éponger la crise. La question est : que fait-on de la dette et comment la gère-t-on ? Il faut sortir de la logique comptable.

Vincent Touzé : Le niveau de l'endettement public en France – le taux d'intérêt varie selon le marché – tourne autour, en 2013, de 1800 milliards d'euros de dette, en comptabilité nationale, c'est-à-dire les créances émis par l'Etat français. Il y a aussi  tout une dette invisible qui renvoie à la notion de hors bilan notamment. Ces dettes implicites ne sont pas négociées sur les marchés. Cela intègre les droits à la retraite des fonctionnaires par exemple qui font partie du passif social.  On estime à 3200 milliards le hors bilan. Un Etat en constante situation d'endettement avec une dette qui croît de manière régulière n'est jamais bon. La dette peut jouer un rôle amortisseur dans les cycles économiques, mais quand on s'endette pendant 30 ou 40 ans, quel sera la réserve financière pour résister à des possibles chocs sévères ? Néanmoins, si la France est capable aujourd'hui de se refinancer à des taux extrêmement bas, c'est que les investisseurs font confiance à l'état français.

L'ancien premier ministre a précisé : "Une augmentation des taux d'intérêts, dont personne ne peut dire qu'elle ne se produira pas un jour, viendrait étrangler complètement les finances publiques françaises." Quelles pourraient être les causes d'une telle hausse des taux d'intérêt ? La BCE serait-elle en mesure d''y apporter une réponse ?

Vincent Touzé : Quand les taux s'approchent du plancher, on peut imaginer qu'ils ne peuvent ensuite que remonter. Les taux restent parfois assez faibles mais les variations peuvent être importantes. Si une hausse des taux arrivait, cela passerait par 2 canaux. Quand la situation financière entraine un déficit public, tous les ans ce déficit doit être financé par une nouvelle dette. En même temps la dette accumulée a une maturité. La maturité de la dette serait en France autour de 7 ans, soit la durée moyenne des titres. Donc tous les ans un septième de la dette arrive à maturité pour faire simple et un refinancement s'impose pour la dette avec un taux d'intérêt. C'est donc conséquent.

Les causes passent par plusieurs éléments : la compétition mondiale pour les financements des pays, s'il y a une remontée des taux aux Etats-Unis, les investissements vont se faire dans le pays et du en conséquence en Europe il y aura un impact. Il y a parfois une compétition sur les taux en fonction de l'offre et la demande. Autre cause, la capacité à payer des montants, c'est la prise de risque. Le taux peut être plus élevé quand on doute de la capacité à payer.

La BCE ne peut pas acheter de dette publique de manière directe en théorie, mais elle peut donner des formes de facilités. Les banques achètent des dettes publiques et la Banque centrale peut les récupérer en pension en échange de liquidités. Il s'agit de mécanismes de soutiens.

Actuellement il n'y a pas de risque inflationniste, cela permet de soutenir. Mais avec des taux très bas, la situation reste difficile. La Banque centrale européenne a des taux extrêmement bas qu'elle ne peut plus baisser. L'économie a besoin de l'Etat. Le poids du passé ne doit pas interdire l'avenir de l'économie.

Dans quelle mesure la dette est-elle plus une question de croissance que de coupes budgétaires ? En d'autres termes, en quoi la reprise de la croissance pourrait-elle assainir la situation d'endettement du pays, comme semble le proposer le rapport du FMI ?

Mathieu Plane : Bien sûr. Les périodes où on a réduit la dette globalement était des périodes de croissance et avec un peu d'inflation. Sans croissance ni inflation, c'est compliqué. Pour réduire la dette, il faut des politiques qui ne touchent pas à la croissance. Le risque est de vouloir réduire la dette trop vite, de pratiquer des politiques d'austérité violente, cela peut entrainer une rupture en matière de croissance, une situation de déflation et la dette va augmenter. La meilleure trajectoire pour réduire la dette n'est pas forcément comptable. Cela dépend de la situation économique, tout en préservant la croissance et un minimum d'inflation. Je ne dis pas qu'on peut faire n'importe quoi avec la dette et qu'elle n'a pas un coût mais on ne peut pas dire simplement "Il y a un seuil à ne pas dépasser, sinon on se retrouvera dans le cas de la Grèce."

La zone euro est elle ici en situation défavorable par rapport à d'autres zones économiques comme les Etats Unis, le Royaume Uni ou le Japon ?

Vincent Touzé : Actuellement, hormis la question de la crise grecque, la baisse de l'euro par rapport au dollar, s'inscrit dans un contexte plutôt bon. Cette baisse de l'euro face au dollar améliore la compétitivité. Il est plus facile par exemple de vendre des Airbus avec un euro faible.
On peut se demander pourquoi la BCE ne se donne pas les moyens de développer une politique de change. Elle le fait uniquement si elle considère qu'un euro fort aurait des conséquences sur une inflation trop faible. 

Propos recueillis par Rachel Binhas

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