Environnement et climat : ce que la vague de Dust Bowl dans les années 1930 nous avait vraiment appris sur la hausse des températures<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Olivier Postel-Vinay publie « Sapiens et le climat » aux éditions Presses de la Cité.
Olivier Postel-Vinay publie « Sapiens et le climat » aux éditions Presses de la Cité.
© Handout / Courtesy of Marcia Macmillan / AFP

Bonnes feuilles

Olivier Postel-Vinay publie « Sapiens et le climat » aux éditions Presses de la Cité. Cet essai bouleverse notre vision du climat comme élément constitutif de l'évolution de l'homme. Les catastrophes ont conduit de tous temps l'humanité à se réinventer. Extrait 2/2.

Olivier Postel-Vinay

Olivier Postel-Vinay

Olivier Postel-Vinay a été longtemps rédacteur en chef du magazine scientifique La Recherche ; il est le fondateur et directeur du magazine Books, et par ailleurs membre du comité scientifique du magazine L'Histoire. Il a publié La Comédie du climat - comment se fâcher en famille sur le réchauffement climatique (JC Lattès, 2015).

Voir la bio »

L’expression Dust Bowl (cuvette ou bassin de poussière) a été inventée par un journaliste témoin du fameux « dimanche noir ». Le 14 avril 1935, dans l’Oklahoma, les oiseaux fuient mais sont rattrapés par un mur de poussière qui avance à 90  kilomètres/heure. Et soudain il fait nuit noire en plein jour. Les « blizzards noirs » ont commencé en 1932 et ont sévi jusqu’en 1941. Le pire s’est produit dans les années  1934-1938. La zone la plus sévèrement touchée, à répétition, se situe à la jonction de cinq États  : Oklahoma, Kansas, Colorado, Nouveau-Mexique et Texas. Mais le Dust Bowl a en réalité concerné (avec une moindre sévérité) une vaste étendue, allant de la frontière mexicaine, au sud du Texas, jusqu’aux plaines canadiennes de l’Alberta, du Saskatchewan et du Manitoba : 400 000 kilomètres carrés au total, soit plus que l’Allemagne actuelle. Ce territoire formait à l’origine une immense « prairie » semi-aride, couverte d’herbe, à peu près sans arbres, traversée par les troupeaux de bisons. À vrai dire, le Dust Bowl s’est même fait sentir au-delà des Grandes Plaines. Le 11  mai 1934, un tsunami de sable d’une hauteur de 3 kilomètres s’est propagé jusqu’à la côte est, couvrant de cendres le Capitole et la statue de la Liberté.

Une thèse toujours débattue veut que le Dust Bowl fut principalement dû à la fragilisation des sols labourés par des agriculteurs venus s’installer en masse avec l’aide de l’État fédéral. Elle a été popularisée par un documentaire en quatre épisodes produit en 2012 par Ken Burns. La réalité est complexe. Un quart ou un tiers seulement des Grandes Plaines était cultivé en 1930, le reste étant largement consacré à l’élevage. Il est vrai qu’une fraction des derniers nouveaux venus, poussés par la Grande Dépression, était composée d’urbains n’ayant aucune compétence agricole. Mais cela ne suffit pas à expliquer la catastrophe. Nous savons aujourd’hui que les Grandes Plaines ont été le théâtre de tsunamis de particules terreuses dès la première moitié du siècle précédent, avant toute implantation agricole. Le Dust Bowl a sans nul doute été favorisé par des pratiques agricoles inconséquentes, mais l’événement est clairement lié à plusieurs années d’une sécheresse aussi sévère qu’étendue, accompagnée par une forte hausse des températures.

La sécheresse débute à l’été 1930, l’année suivant le krach. Le déficit de précipitations est de 15 % à 25 % en moyenne pendant toute la décennie. En 1934, la région la plus touchée par le Dust Bowl connaît un déficit de 53 %. Et il fait chaud, très chaud, au point que plusieurs records de température dans les Grandes Plaines n’ont pas été battus par les plus grosses chaleurs de ces dernières années (49 °C dans l’Oklahoma et le Kansas en 1936). Les pluies reviennent en 1942 mais l’impact sur les cultures est tel que les États-Unis doivent importer du blé.

Il s’agit d’une sécheresse sans précédent dans l’histoire des États-Unis, mais pas dans celle de l’Amérique du Nord, qui avant l’installation des Européens en a connu de plus sévères encore. Pris entre les influences du Pacifique et de l’Atlantique, cet immense pays a connu des sécheresses à répétition, dont certaines se sont étalées sur des décennies. La mieux étudiée est celle qui a conduit à la dispersion des Pueblos, à la fin du XIIIe   siècle. Les Pueblos sont une civilisation extraordinaire, dont on peut visiter les restes dans le parc national de Mesa Verde (Colorado). Dès l’époque de Charlemagne ils ont construit des maisons dans des cavernes à flanc de falaise. Il en reste environ 600 aujourd’hui, dont un immense « palais » construit à partir de la fin du XIIe  siècle. Les Pueblos étaient des chasseurs-cueilleurs mais vivaient aussi d’une agriculture de subsistance fondée sur le maïs, les haricots et les courges. Victimes d’une sécheresse terrible qui s’est étalée sur deux décennies, entre 1276 et 1297, ils ont complètement déserté leur habitat. Aujourd’hui même le Sud-Ouest américain éprouve une sécheresse dont la durée est déjà le double de celle du Dust Bowl.

Fonte des glaciers

Ce dernier est aussi l’occasion d’introduire un sujet sensible. L’événement s’insère en effet dans plusieurs décennies d’un réchauffement à certains égards comparable au réchauffement actuel, alors que l’influence des émissions de gaz à effet de serre était encore faible. Pour rester aux États-Unis, le physicien Steven Koonin a constaté que selon les rapports officiels la température moyenne la plus haute calculée à partir des relevés des stations sur les 48 États continentaux a non seulement fortement augmenté entre 1920 et 1940 mais s’est établie à un niveau supérieur à celui de ces dernières années. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’analyse des stations américaines depuis 1895 montre que la tendance générale est plutôt à la baisse des températures estivales maximales. C’est dire que la période du Dust Bowl fait rétrospectivement figure d’exception.

Il s’agit d’une exception dans le temps mais non dans l’espace, car la hausse des températures moyennes entre 1920 et 1940 concerne l’ensemble de l’hémisphère Nord. Elle est attestée au Groenland. Elle explique qu’un brise-glaces soviétique, le A.  Sibiryakov, ait pu pour la première fois en 1932, sans devoir s’arrêter pour hiberner, naviguer depuis Mourmansk, près de la Finlande, jusqu’à Vladivostok en passant par le détroit de Béring. À l’aéroport du Svalbard, un archipel situé entre la Norvège et le pôle Nord, l’hiver est alors moins froid que lors de la forte poussée de chaleur de la fin du XXe  siècle. Et comme l’Atlantique nord se réchauffe, les populations de morues se déplacent vers les mers arctiques. Le rythme d’augmentation du niveau des mers s’accélère, dopé par la fonte des marges de la calotte glaciaire groenlandaise et celle des glaciers continentaux.

Le plateau tibétain (2,5 millions de km2) se réchauffe, que ce soit au nord-est, côté chinois, à plus de 2 200 mètres d’altitude, ou à Lhassa, dans la partie centrale, à 3 650  mètres. Un réchauffement abrupt est relevé dans une station soviétique au nord-ouest du plateau entre 1935 et 1940, à plus de 2 000 mètres d’altitude. La hausse est nette dans les relevés de températures chinois, un peu moins nette au Japon, où cependant deux années de cette période sont marquées par une floraison exceptionnellement précoce des cerisiers. L’URSS connaît dans les années 1930 une série de sécheresses catastrophiques qui affectent tout l’ouest de la fédération, de l’Ukraine à l’Oural. C’est l’époque du sinistre Holodomor, la famine ukrainienne en partie imputable aux décisions de Staline. En France la période s’inaugure par des relevés exceptionnels en 1921 dans l’est du pays : plus de 40 °C à Besançon et Moulins, plus de 41 °C à Chaumont et Vesoul, près de 45 °C à Bourg-en-Bresse. Dans le massif du Mont-Blanc, le glacier des Bossons, connu pour sa réactivité, montre une forte régression vers 1950, témoin du réchauffement précédent. En Europe, la hausse est dans l’ensemble plus marquée pour les températures d’été que celles d’hiver.

La fin du Petit Âge glaciaire est souvent présentée comme ayant eu lieu vers le milieu du XIXe  siècle, car c’est le moment où les glaciers alpins commencent à décroître. Mais l’évolution des glaciers est parfois davantage liée à celle de la pluviosité qu’à celle des températures, et en l’occurrence la césure des années  1850 peut s’interpréter comme le passage de décennies de forte pluviosité à des décennies de moindre pluviosité. Et même si l’on observe des records de chaleur en Europe au cours de certains étés, comme en 1858, 1868 ou encore 1893, les températures moyennes restent fraîches jusqu’au début du XXe. En Europe, la décennie qui va d’octobre 1881 à janvier  1893 est très fraîche, observe l’historien suisse Christian Pfister. Il en va de même des années 1902 et 1903. Le régime des pluies reste aussi passablement chaotique. En 1910 la Seine connaît sa plus forte inondation depuis le cœur du Petit Âge glaciaire en 1658. Pendant la guerre des tranchées, l’hiver 1916-1917 est glacial : –15 °C à Paris. Et après le réchauffement des années 1920-1940, un nouveau refroidissement s’installe, particulièrement sensible –  au point qu’une bonne partie de la communauté scientifique sonne le tocsin  : notre interglaciaire s’achève, un nouvel âge glaciaire arrive !

Extrait du livre d’Olivier Postel-Vinay, « Sapiens et le climat Une histoire bien chahutée », publié aux éditions Presses de la Cité

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !