Environnement, climat et agriculture : la désobéissance civile en boomerang…<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agriculteurs français bloquent l’autoroute A9 lors d’une manifestation, le 25 janvier 2024.
Des agriculteurs français bloquent l’autoroute A9 lors d’une manifestation, le 25 janvier 2024.
©Sylvain THOMAS / AFP

Désobéissance civile

Les militants écologistes découvrent que les blocages et la désobéissance civile pouvaient être utilisés par d'autres.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : La militante écologiste Camille Étienne note un "deux poids, deux mesures" dans la répression des actions des agriculteurs et celles des activistes écologistes. Les militants écologistes découvrent que les blocages et la désobéissance civile pouvaient être utilisés par d'autres. Or, il y a le droit. Pourquoi est-ce que les militants écologistes se trompent-ils en évoquant un deux poids deux mesures ?

Philippe d’Iribarne : L’efficacité, depuis très longtemps et sur de nombreux domaines, de la capacité de nuisance est avérée. Depuis longtemps, les conducteurs de la SNCF, de la RATP ont un pouvoir de nuisance en faisant grève, ce qui leur permet d'obtenir une satisfaction de leurs revendications qu’ils n’obtiendraient pas sans cela. Pensons aussi aux dockers. Ce pouvoir de nuisance intervient même quand il s’agit de la rigueur dans l’application de la loi. Plus il est fort, plus l’Etat est incité à accepter des compromis en évitant d’initier des poursuites. La popularité de la cause auprès de l'opinion joue.de même.

Les agriculteurs bénéficient d’un fort pouvoir de nuisance, du fait de leur capacité de blocage des routes avec leurs engins et ils bénéficient en plus d’un fort soutien de l’opinion, 83% selon un récent sondage. Le sentiment d’une pression déraisonnable des normes qu’ils mettent en avant est largement partagé. Ils sont dans une situation unique pour que la loi ne leur soit appliquée qu’avec des gants. A contrario, les cheminots, par exemple, ont une capacité de nuisance extrêmement importante, mais ils ne bénéficient pas du tout du même soutien auprès de l’opinion. Les médecins hospitaliers doivent avoir le même soutien de l'opinion mais ils n’ont pas du tout la même capacité de nuisance puisque, même s'ils sont mécontents, ils continuent à travailler pour le bien-être des patients.

De plus les agriculteurs n’ont pas été violents envers les forces de l’ordre alors que les militants écologistes à Sainte-Soline l’ont été.

Au total, les agriculteurs sont dans une situation très particulière et privilégiée. Le pouvoir est de fait dans l’obligation de les traiter avec beaucoup d’aménité, plus que les militants écologistes et les défenseurs de l’environnement qui n’ont pas les mêmes atouts.

Quand les écologistes évoquent un deux poids, deux mesures, ils n’ont pas tort mais à condition de se situer sur le terrain du respect de la loi. Or, ils quittent ce terrain lors de leurs propres actions de désobéissance civile, se situant dès lors sur un terrain de rapport de force où les agriculteurs ont nettement plus d’atouts qu’eux.

Est-ce que le droit n'est pas du côté des agriculteurs ? Pour l’instant, les manifestations et les mobilisations des agriculteurs restent pacifiques, sans violence et sans réels troubles à l’ordre public. Le gouvernement est-il dans l’impossibilité d’intervenir car, d'un point de vue légal, il n'y aurait pas vraiment d'infraction pour le moment ?

Il y a effectivement des degrés dans le cadre du trouble à l’ordre public et dans le respect du droit. Les agriculteurs ne commettent pas de violence, ne s’en prennent pas aux forces de l’ordre. Ils se contentent de bloquer certains lieux ou certains axes routiers. Cela s'apparente aux mouvements des grandes grèves des routiers. Mais la frontière est ténue concernant le respect de la loi ou d’éventuels débordements.

La désobéissance civile ne revient-elle pas en boomerang au visage des écologistes avec la crise des agriculteurs ?

Il est clair que sur le terrain de la désobéissance civile, les écologistes ne sont pas les mieux placés pour se faire entendre et bénéficier d’une certaine mollesse dans la réponse de l’Etat. Ils sont beaucoup moins bien placés que les agriculteurs. Il n’est pas sûr que se placer sur ce terrain soit pour eux un choix judicieux.

Selon le sénateur écologiste Yannick Jadot, les écologistes seraient « en prison » s’ils en faisaient autant que les agriculteurs. Yannick Jadot dénonce lui aussi un deux poids deux mesures entre le traitement des agriculteurs et des militants pour l’environnement. En quoi se trompe-t-il ?

En réalité, les condamnations à des peines de prison pour des actions de désobéissance civile sont à la fois fort rares et pas toujours effectives ou appliquées. Même lors des émeutes en juin dernier, qui allaient bien au-delà de la désobéissance civile, il n’y a guère eu de condamnations à des peines de prison ferme.

De manière générale, nous ne sommes pas face à un Etat très répressif par rapport aux manifestations, même pour celles qui excèdent la stricte limite de la légalité. Nous ne sommes pas en Chine.

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