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Enquête sur la sexualité des Français : comment l’absence de relations sexuelles est devenu l’un derniers tabous (et ce que ça dit de notre société)
©PATRIK STOLLARZ / AFP

Vie de couple

La société et les injections de bonheur dans la vie de couple ou dans le culte de la performance poussent notamment à mettre sur le côté les personnes n'ayant pas de relations sexuelles.

Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Elle est diplômée de l’IEP de Paris et docteure en science politique (1969). Elle travaille notamment sur le genre et la  politique et sur les politiques de santé et de sexualité.

 

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Atlantico : Dans votre nouvel ouvrage "Le processus de libération se poursuit", contrairement à ce que vous appelez des "penseurs en surplomb" dans un entretien consacré au Monde, vous ne constatez pas de retour à l'ordre moral, mais bien une poursuite de la libération sexuelle entamée dans les années 60. Tout d'abord, qui sont ces "penseurs" auxquels vous faites allusion ? 

Janine Mossuz-Lavau : Je ne les nommerai pas mais il s’agit de penseurs, de journalistes qui se saisissent de petits événements anecdotiques pour annoncer un retour à l’ordre moral. 
Ce que je leur reproche, c’est de ne pas être sur le terrain. Ils n’ont pas connaissance de la “vie réelle” des gens. Ils énoncent des vérités générales qui sont en décalage avec le quotidien des individus, avec leur vie réelle, celle que l’on prend le temps de découvrir en discutant vraiment avec avec eux. 
Ces “penseurs en surplombs” sont présents dans bien des domaines. Il peut s’agir de ceux qui décrètent le retour de l’ordre moral, comme de ceux qui se désolent de l’ultra laxisme de la société actuelle. Leur point commun étant que leurs analyses sont basées sur leurs vies personnelles et non pas sur la réalité du terrain. 

Dans une société aussi libéralisée sur la chose sexuelle, un inversement s'est illustré. Si, il y a encore quelques années, une sexualité libérée, curieuse, ou encore homosexuelle ou bisexuelle pouvait paraître tabou, c'est aujourd'hui ceux qui n'ont pas de relation sexuelle qui semblent être mis sur le côté. Pouvez-vous développer cela ? Ne pas avoir de relation sexuelle, est-ce l'ultime tabou dans ce domaine aujourd'hui ? 

Il y a aujourd’hui une séries de tabous qui tombent, ou sont en train de tomber. A titre d’exemple, l’homosexualité -même si il y a encore parfois des cas d’homosexuels s’étant fait tabasser parce qu’ils étaient simplement en train de s’embrasser- est, dans notre société, très largement acceptée. Elle l’est notamment du point de vue de la loi, puisque la possibilité du mariage entre deux personnes du même sexe a rendu normal et acceptable quelque chose qui était encore considéré comme une maladie qu’il fallait soigner dans les années 60. 
De même, la bisexualité est bien plus acceptée qu’elle ne l’était il y a de cela dix ans. Lors d’une précédente enquête il y a 18 ans, il m’avait été difficile de rencontrer des personnes bisexuelles qui acceptaient de témoigner, aujourd’hui c’est bien plus facile : les gens l’assument. La bisexualité est bien plus fréquente, et acceptée même si parfois elle étonne encore.
A l’opposé, les couples qui vivent ensemble, s’entendent bien et termineront probablement leur vie ensemble mais ceux qui n’ont plus de rapport sexuels, sont vus comme étant tabous. Dans une société hyper sexualisée, où il existe une injonction du plaisir, de la jouissance, du bonheur, le fait de ne pas avoir de rapports sexuels réguliers apparaît comme étant en décalage, non conforme aux moeurs. C’est cela que j’appelle “le dernier tabou”, car il y a une omerta sur le sujet.
Ces couples n’en parlent pas, ni entre eux, ni à leurs proches. On ne pose pas de questions sur ce genre de choses. Et si jamais, ils en discutent avec un ami intime, ils ont tendance à le faire seul à seul, en lui disant bien “tu ne dis rien”. 
Le seul cadre dans lequel ils sont amenés à en parler réellement, c’est avec un psychologue ou un sexologue. Mais cela ne concerne que les  couples de jeunes, les personnes plus âgées, elles, restent dans un silence total. 
Pour les personnes célibataires c’est différent. Certaines seront amenées à en parler haut et fort, mais plutôt dans le cadre d’un acte militant. 

N'y a-t-il pas une forme de pression qui accompagne ce processus de libération ? Celle du bonheur ou de la performance ? 

Comme je le disais précédemment, il y a une injonction au plaisir, au bonheur. Cette injonction se fait ressentir, par exemple, chez les couples qui, passé un certain cap, n’ont plus de rapports sexuels. Elle est pesante, c’est une sorte d’omerta, pour les couples ou les individus qui ne “rentrent pas dans les clous”. 
A contrario, je ne pense pas qu’il y ait réellement une injonction à la performance. Globalement, je ne l’ai pas vu au cours de mon enquête. Il peut y avoir certains codes, diktats sociaux, mais une fois chez eux, dans leur intimité, les gens n’en ont que faire. Ils ne chercheront pas à se conformer à la norme telle qu’elle est définit par des experts ou des journaux.
Les seuls cas, dans lesquels il peut exister une certaine pression à “performer” c’est par exemple sur les sites de rencontres. Les femmes s’en plaignent parfois, elles ont l’impression que les hommes -sur ces sites-  ne recherchent que cette performance, alors qu’elles, sont plus dans l’émotion. 

Qu’est-ce que ça dit de notre société et de ses injonctions ?

Tout cela signifie que notre société tendrait vers quelque chose de plus libre, de plus heureux, de plus permissif et qui permettrait aux individus de vivre mieux. En ce sens, cela met également en lumière le fait que tout le monde n’y parvient pas, et que tous les individus ne se conforment pas à ce schéma vu comme une norme.
Heureusement, la société va vers plus de liberté, les interdit sont de moins en moins nombreux et une vraie séparation s’est effectuée entre vie amoureuse et vie sexuelle. C’est un mouvement continue. Si l’on compare la société post seconde guerre mondiale à celle qui survient après 68, l’évolution est énorme. Non seulement les gens sont plus libres, plus autonomes, mais on accorde également de l’importance à l”individu en tant que tel et non en fonction du groupe auquel il appartient. 
Cet individualisme que l’on aime tant critiquer a permis de libérer les gens des carcans constitués par les micro sociétés dans lesquelles ils évoluaient (la familles, le village, …). On est dans un société qui libéralise et heureusement.

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