Enlèvement du baron Empain et de Christophe Mérieux, séquestration du PDG de Fiat France… : les années 1980, cet ère des enlèvements violents qu’a connu la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Baron Edouard-Jean Empain lors d'une conférence de presse, le 7 septembre 1978, au Siège du Groupe Empain.
Le Baron Edouard-Jean Empain lors d'une conférence de presse, le 7 septembre 1978, au Siège du Groupe Empain.
©GABRIEL DUVAL / AFP

Bonnes feuilles

Doron Levy publie « Crises d’otages » aux éditions du Cerf. La figure de l’otage est devenue aujourd'hui un objet de convoitise que se disputent criminels, forcenés ou terroristes. Extrait 1/2.

Doron Levy

Doron Levy

Expert en sûreté et protection des entreprises mais aussi chargé de cours dans plusieurs facultés de France et de l'étranger, Doron Levy est l'auteur de Braquages, actualités, évolutions, ripostes et a participé à l'ouvrage de référence Sûreté, mode d'emploi.

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À  une époque pas si lointaine, rapts et enlèvements étaient considérés comme un véritable gagne-pain. Certaines célébrités, sans voyager dans des pays à risques, se sont ainsi retrouvées confrontées à des voyous avides de billets, parfois au péril de leur vie.

C’est le macabre kidnapping de Charles Augustus Lindbergh Jr., fils du célèbre aviateur Charles Lindbergh, qui ouvre le bal. Cet événement fut l’un des crimes les plus médiatisés du XXe  siècle. Âgé de 20 mois, le nourrisson du couple fut enlevé de la maison familiale à East Amwell, dans le New Jersey, le 1er  mars 1932. Plus de deux mois plus tard, son corps fut retrouvé non loin de là ; un traumatisme à l’époque, sachant qu’une rançon de 50 000 dollars avait été versée, sans que l’enfant ne soit rendu à ses parents. Après une longue enquête, un certain Bruno Hauptmann fut arrêté, reconnu coupable du meurtre et condamné à mort, bien qu’il ait clamé son innocence jusqu’à la dernière seconde. À  la suite de ce crime, le congrès vota le Federal Kidnapping Act, communément appelée la « loi Lindbergh », qui fait du kidnapping un crime fédéral.

En 1933, une autre affaire, celle dite du « dernier lynchage de Californie », marqua durablement l’opinion américaine : l’enlèvement du malheureux Brooke Hart, assassiné par ses deux ravisseurs avant même le verse‑ ment de la rançon. Les deux hommes avaient conduit le jeune homme sur un pont et lui avaient fracassé le crâne d’un coup de brique avant de le jeter à l’eau. Ils avaient ensuite appelé la famille pour extorquer une rançon. Les deux hommes furent rapidement arrêtés et placés en détention à la prison de San José. L’affaire ayant fortement ému l’opinion, une foule chauffée à blanc d’environ 6 000  personnes se rassembla quelques jours plus tard autour de la prison et la prit d’assaut, extirpant de leur cellule les deux hommes, qui furent lynchés à mort et pendus. Ce meurtre collectif par une foule déchaînée fut largement médiatisé, et suscita en son temps un vaste débat politique.

Il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir réapparaître le phénomène. En 1960, la firme automobile Peugeot était en plein essor quand la famille, une des plus riches du pays, fut victime d’un fait divers inédit à l’époque en France  : l’enlèvement du petit Éric Peugeot, 4 ans, alors qu’il jouait dans un jardin d’enfants. Une lettre adressée à son père réclamait une rançon de 50 millions de francs. La rançon fut rapidement réunie et l’industriel la déposa, deux jours plus tard, dans une galerie marchande de Paris. Quelques heures plus tard, l’enfant fut retrouvé dans une brasserie. Après onze mois d’en‑ quête, les preneurs d’otages furent arrêtés en mars 1961 : les deux compères « flambaient » un peu trop l’argent de la rançon et s’étaient fait repérer par Interpol…

Le fils du célèbre crooner Frank Sinatra fut lui aussi kidnappé en décembre  1963. Le jeune homme fut ligoté par deux hommes puis jeté à l’arrière d’une voiture dans laquelle attendait un troisième compère. Les malfaiteurs réussirent à déjouer les barrages policiers et contactèrent d’eux-mêmes les autorités pour exiger une rançon de 240 000 dollars ! La somme fut déposée dans une valise sur un parking, et l’adolescent fut libéré. Après quelques kilomètres, il rencontra un agent de police, qui le cacha dans le coffre d’une voiture pour éviter la presse survoltée. Décidément ! Revirement improbable : trois jours plus tard, son libérateur, tenaillé par les remords, se rendit de lui-même, permettant de faire arrêter le reste de la bande et de récupérer la quasi-totalité de la rançon.

Le phénomène continua à s’amplifier en France, si bien qu’en 1975, on ne comptait pas moins de douze affaires de ce genre. Devant cette explosion, les autorités ordonnèrent de cesser de payer les rançons. Le résultat de cette stratégie fut immédiat et le nombre d’affaires diminua progressive ment, avec toutefois une reprise dans les années 1980. Il semble qu’ensuite le grand banditisme ait plus ou moins renoncé à ce genre d’action trop risqué et compliqué à gérer. Il est vrai que rares sont ceux qui réussissent à dis‑ paraître avec la rançon sans être inquiétés. Ces affaires macabres finissent souvent mal et dévoilent au grand jour la vie privée de victimes déjà mal en point.

L’enlèvement du baron Édouard Empain, de la dynastie Schneider, le 23  janvier 1978, en est un exemple frappant. Son groupe Empain-Schneider pesait des milliards, employait 150 000 personnes et regroupait 300 sociétés dont des fleurons de l’industrie. Le baron fut capturé devant son domicile parisien, avenue Foch, en pleine journée. Il fut rapidement neutralisé, menotté, bâillonné, puis emmené dans son propre véhicule. En tout, l’opération prit à peine cinq minutes. Commença alors une véritable course contre la montre. Le lendemain de l’enlèvement, le groupe radio‑ phonique RTL reçut un coup de téléphone revendiquant le rapt  : « Nous, Noyaux armés pour l’autonomie populaire, revendiquons l’enlèvement du baron Empain. Nous exigeons la libération de nos camarades, sinon nous tuerons le baron. D’autres patrons suivront… » Les NAPAP* étaient une organisation française de lutte armée d’extrême gauche et généralement considérée comme terroriste. Cette fausse piste, volontairement distillée par les ravisseurs, accrédita temporairement la thèse politique dont la presse se fit l’écho. Mais la police privilégiait une autre hypothèse. En effet, trente-six  heures après l’enlèvement, les proches de l’otage reçurent un appel téléphonique anonyme qu’ils relayèrent aux autorités  : les mystérieux ravisseurs exigeaient qu’une personne récupère un paquet laissé dans la consigne de la gare de Lyon  : la police y découvrit une carte d’identité, une lettre des ravisseurs, dans laquelle ils réclamaient une rançon de quatre-vingts millions de francs, quelques mots du baron, et un flacon de formol contenant une phalange de son auriculaire. La lettre stipulait que d’autres morceaux du corps du baron suivraient si la rançon n’était pas payée  : « Aujourd’hui, vous avez reçu un doigt, mais par la suite, nous n’hésiterons pas à vous envoyer un pied ou un œil. » Suivant plu‑ sieurs pistes à la fois, la police décida d’élargir son enquête à la sphère privée de la victime. La passion du baron pour le poker, auquel il s’adonna plusieurs soirs par semaine et pour des sommes importantes, indiquait une possible piste mafieuse, mais qui fut rapidement abandonnée. L’hypo‑ thèse qu’il ait pu organiser son propre enlèvement pour payer ses dettes de jeu fut logiquement évoquée, sans plus de succès. La presse se fit aussi rapidement l’écho de certaines difficultés financières du baron. Cependant, c’est sa vie sexuelle extraconjugale qui cristallisa l’essentiel des discussions. Néanmoins, l’enquête écarta aussi cette piste. Après 63 jours de séquestration, l’enfer du baron prit fin le 28 mars 1978. Lors d’un échange de fausse rançon planifié par la police, un ravisseur fut tué, un autre arrêté : Alain Caillol, qui publia des années plus tard un ouvrage relatant sa version des faits. Les révélations de la presse sur la vie privée du baron laissèrent des traces dans son couple, auprès de sa famille et affectèrent son image à jamais. Il vendit ses parts et se reconvertit dans l’immobilier.

L’affaire du baron Empain fut exceptionnelle par sa durée, mais ce ne fut pourtant pas la plus longue : en 1977, la séquestration de Luchino Revelli-Beaumont, P.-D.G. de la firme automobile Fiat France, dura 89 jours. L’industriel fut enlevé par le Comité pour l’Unité socialiste révolutionnaire un groupuscule révolutionnaire argentin qui réclama une rançon de 300 millions de francs pour sa libération. Plus de 600 policiers furent mobilisés pour retrouver le patron, qui fut relâché en plein Paris après le versement d’une rançon de 2 millions de dollars. L’affaire ne fut résolue que partiellement huit ans plus tard, avec le jugement de deux des sept exécutants. À ce jour, plusieurs zones d’ombre demeurent sur cette affaire hors norme, notamment concernant le véritable commanditaire de l’enlèvement.

Cette « mode » de criminalité violente, préparée, complexe et fortement médiatisée, semble avoir véritablement commencé vers 1975. Ainsi, entre 1975 et 1980, on comptait une quarantaine d’enlèvements avec demande de rançon. Au début des années 1980, l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB) disséqua plusieurs affaires pour tenter de mieux appréhender le phénomène. L’Office retint neuf enlèvements avec demande de rançon comme étant les plus représentatifs, tous perpétrés par des « professionnels » du banditisme. Dans ces affaires, la rançon fut versée cinq fois. Huit se terminèrent par la libération de l’otage et l’arrestation des auteurs, après une enquête plus ou moins longue. Et, lorsque les rançons furent versées, elles furent récupérées en grande partie.

Parmi ces affaires figure le triste cas de Christophe Mérieux, qui le 9 décembre 1975 l’âge de 9 ans, fut enlevé sur le chemin de l’école. Il était le fils d’Alain Mérieux, président de l’institut pharmaceutique BioMérieux et petit-fils du fondateur du groupe. Une cible idéale pour le milieu lyonnais, qui voyait en ce kidnapping un moyen de s’enrichir rapidement et osa exiger une rançon de 20 millions de francs, la somme la plus importante jamais demandée en France pour un kidnapping. Très rapidement, Jacques Chirac, le Premier ministre de l’époque et proche d’Alain Mérieux, fut alerté de l’enlèvement. Alors que Michel Poniatowski, le ministère de l’Intérieur, refusait de céder aux ravisseurs, le président français n’empêcha pas Alain Mérieux de verser la rançon. Ce dernier se rendit seul dans une ferme dans l’Ain, au volant de sa voiture, avec les sacs contenant l’argent de la rançon. Mais dans la précipitation, les ravisseurs oublièrent de prendre un des sacs qui contenait le quart de la somme réclamée… C’est seule‑ ment le lendemain que la famille retrouva l’enfant : abandonné dans une poubelle du 7e arrondissement de Lyon, le jeune garçon s’extirpa du sac et demanda à un chauffeur de poids lourd de le ramener chez lui. Arrivé en bas de son immeuble, il se contenta de sonner à l’interphone en disant simplement : « C’est moi ! »

La seule affaire à avoir été un échec pour les policiers est l’enlèvement du banquier Bernard Galle. Son beau-père, Louis Chaine, notaire à Lyon et conseiller général du Rhône, décidé de payer la rançon contre l’avis des enquêteurs. On n’a jamais retrouvé ni l’argent ni l’otage. Le 22  septembre 1980, Bernard Galle quitta son domicile dans sa voiture, tôt le matin, pour se rendre à son travail. Dès 9  heures, un premier coup de fil anonyme annonça l’enlèvement, suivi d’un deuxième qui fixa le montant de la rançon  : 5  millions de francs. Une première tentative de  versement de rançon tourna court, peut-être en raison  de la présence policière. Le 17  octobre 1980, la rançon fut versée aux ravisseurs par l’intermédiaire de l’associé de Me Chaine. Mais malgré ce versement et de nombreux appels publics aux ravisseurs, Bernard Galle ne fut jamais retrouvé. De nombreuses pistes se révélèrent des impasses pour les enquêteurs, y compris celle d’un faux enlèvement orchestré par Bernard Galle lui-même. En 1981, deux billets venant de la rançon furent retrouvés dans le département de la Loire, mais il fut impossible de remonter à la source. Aucun corps ne fut jamais retrouvé, et l’énigme à ce jour reste entière.

Les attentats ratés d’Orly des 13 et 19  janvier 1975, réalisés en deux temps avec la participation du terroriste Carlos, constituent un épisode important de la mutation du terrorisme des années 1970, qui commença à utiliser la prise d’otages comme moyen central de ses opérations. Le commando tenta initialement de détruire un Boeing 707 de la compagnie El Al, mais l’attaque se transforma en prise d’otages improvisée. Au bout de vingt heures de tractation, les dix otages furent libérés et les terroristes réussirent à s’enfuir en avion à Bagdad. Le gouvernement français, qui prit très au sérieux les intentions de Carlos, renforça immédiatement la présence policière à Orly. Pourtant, le 19 janvier, les trois terroristes étaient de retour. Mieux préparés, ils récupèrent du matériel caché dans les toilettes de l’aéroport. Bazooka à l’épaule, ils accédèrent cette fois à la terrasse du terminal, pour tenter d’atteindre leur cible de plus près que la semaine précédente. Repérés par la police, ils tirèrent sans hésiter une grenade dans la foule puis prirent la fuite. Acculés, ils prirent des passagers en otage. Craignant un bain de sang, le ministre de l’Intérieur les laissa à nouveau repartir. Ils montèrent dans un avion avec le projet d’atterrir quelque part au Moyen-Orient, mais aucun pays, sauf l’Irak, ne voulut les accueillir.

Ces affaires ont passionné la France des années durant, avant que le grand banditisme ne se recentre sur des activités plus lucratives et faciles à mettre en place, comme le trafic de stupéfiants, la prostitution, les braquages ou encore les cambriolages. Les affaires de kidnapping rentables sont finalement rarissimes. Aux yeux des gangsters, les résultats sont aléatoires et la pratique réputée très risquée. 

Extrait du livre de Doron Levy, « Crises d’otages », publié aux éditions du Cerf

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