Énergie : ce que la vague de froid actuelle nous apprend sur l’ampleur de nos faiblesses <!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme passe devant les stands d'un marché dans une rue couverte de neige à Lyon, le 13 décembre 2022.
Une femme passe devant les stands d'un marché dans une rue couverte de neige à Lyon, le 13 décembre 2022.
©JEFF PACHOUD / AFP

Ça va passer… ou pas

Le froid fait son retour en France. Des pics de consommation d'électricité dépassant les 80 GW sont attendus cette semaine. Le réseau électrique va être très sollicité.

Jean-François  Raux

Jean-François Raux

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et titulaire d’un DESS de Droit Public Européen, Jean-François Raux a effectué la majeure partie de sa carrière au sein d’Electricité de France et de Gaz de France.

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Atlantico : La vague de froid que nous vivons actuellement en France révèle de fortes failles dans notre système d’approvisionnement en électricité, quelles sont ces problématiques qui surgissent avec la venue de l’hiver ?

Jean-François Raux : La journée du 12 décembre est exemplaire pour poser le problème du risque sur la sécurité d’approvisionnement. La pointe a été de 78GW : le record de 2012 est de 102GW.

Le nucléaire a fourni un peu plus de 40GW, sur les 60 installés. On attend 55 en janvier, annoncés par EDF, ce qui serait pas mal.

L’éolien est passé dans la même journée de 1,5 GW à 6,3 GW (sur un peu plus de 20 installés), instable donc avec une nécessité de backup (remplacement).

L’hydraulique de puissance (barrage) a mis en ligne plus de 13 GW de puissance en quelques instants, ce qui est impressionnant.

Les importations sont passées de 13GW à moins de 6GW au moment de la pointe de 19H. C’est soit un arbitrage commercial, soit un manque de puissance parce que la situation était tendue dans les pays exportateurs.

Pour compenser notre manque de production et d’import, la France puise dans les réserves de l’hydraulique, est-ce une bonne chose et combien de temps pourrions-nous survivre dans ces conditions ?

Je n’ai pas les éléments pour dire s’il s’agit d’un arbitrage commercial ou d’une tension généralisée en Europe.

L’hydraulique de puissance est évidemment un stock que l’on valorise avec une valeur d’usage élevée : il sert à faire face aux situations tendues en pointe ou extrême pointe.

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On a tiré plus d’hydraulique le 12 décembre 2022 que le 8 février 2012 : dans un cas la pointe était à 103 GW, dans l’autre à 79 ! C’est donc que l’on en avait besoin, alors que la sécheresse de cette année ne laisse pas penser que les barrages sont pleins à ras bord, donc que la valeur du stock d’eau est moins élevée ! Au contraire elle doit être plus élevée, car plus rare.

La grosse variation des imports est côté Allemagne et Angleterre. On peut penser à des tensions dans leur équilibre offre / demande.

Il y a une incohérence évidente qu’il faudrait creuser.

Pouvons-nous espérer du soutien de nos voisins européens, quelle est la situation de leur côté ?

Personne n’a intérêt à ce que le système s’effondre. Ce qui, à mon sens, est une erreur lourde de la France (RTE) c’est d’avoir cassé en 2012 la règle de calculer la puissance nécessaire à la sécurité d’approvisionnement avec un solde import/export/nul. Cela ne veut pas dire que l’on n’importe pas, cela veut dire que quand on raisonne en matière de sécurité d’approvisionnement, on raisonne toujours en prenant le pire des cas. Car l’électricité ne se stocke pas, donc l’impasse c’est la rupture, la nécessité de délester.

Or RTE compte dans ses calculs sur 7GW d’imports à la pointe, sans que cette puissance soit garantie, c’est-à-dire que l’on sache qu’il y a de la production disponible de manière certaine si on en a besoin.

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Cela a permis de réduire la puissance installée en pilotable : fioul, charbon… Sur le plan écologique, cela fait bien, mais sur le plan sécurité d’approvisionnement ce n’est pas top. En gros, c’est 8GW de moins.

C’est la situation de l’Allemagne qui a été le plus impactée par la crise du gaz russe. Rappelons que le nucléaire allemand qui a été fermé aurait permis de se passer du gaz notamment russe pour la production d’électricité. Les Allemands ont retardé la fermeture de deux centrales nucléaires, rouverts des centrales à charbon et lignite, mais restent avec le problème de la variabilité de l’éolien qui hier, par exemple, produisait très peu. C’est un peu la roulette russe sans jeu de mots !

N'oublions pas quand même l’hostilité sourde de l’Allemagne contre le nucléaire français, car c’était un avantage compétitif. Les déclarations d’Agora-Energiewende, reprise par son partenaire français, l’IDDRI sont limpides. Je les ai rappelées sur Twitter.

Quelles politiques nous ont menés à cette problématique et quelles seraient (si elles existent) les méthodes pour se sortir de cette mésaventure ?

J’ai expliqué ci-dessus l’essentiel de la problématique : on a trop fait l’impasse sur les marges nécessaires en matière de production pilotable en France, on a trop compté sur les importations qui restent, en cas de crise (froid majeur) incertaine.

Il est aussi évident que la mauvaise exploitation du parc nucléaire par EDF est aussi en cause, que la fermeture de Fessenheim est une énorme bévue, tout comme la fermeture des usines de production fioul et charbon qui servaient en pointe quelques dizaines d’heures par an, le retard scandaleux dans la mise en service de l'EPR de Flamanville (Fla3) etc. Même avec un parc retapé, le facteur de charge du nucléaire français reste de 5 à 10 points inférieurs à celui de pays comme les Etats-Unis ou… la Belgique !

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Il faut arrêter de raconter des carabistouilles (foisonnement, etc..) sur l’éolien et le solaire. A 19h, le solaire en hiver, c’est zéro et le facteur de charge de l’éolien peut être de 2GW sur les 20 installés. Tant que l’on n’a pas de stockage de masse, il faut du back-up. Ce n’est pas être contre les ENR, c’est simplement être rationnel.

Tout ceci est aggravé par le fait que le système de marché de l’électricité actuel ne permet pas de rémunérer correctement des centrales assurant la sécurité d’approvisionnement, donc fonctionnant très peu. Il ne permet pas non plus de rémunérer une politique efficace d’effacement de la puissance en cas de tensions, voir même de gestion efficace de la puissance, permettant de la diminuer, donc d’économiser sur le dimensionnement en puissance du système, comme cela se faisait avant 2000 dans les tarifs verts d’EDF pour les industriels. On a probablement perdu entre 4et 8 GW de ce côté-là.

Bâtie sur l’idée qu’il y avait des surcapacités de production, aveuglée par le gaz russe, abondant et pas cher, l’Europe de l’électricité a ignoré la problématique sécurité d’approvisionnement, alors même que sa politique ENR accroissait mécaniquement les tensions. Elle va le payer cher.

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