En planque dans les cités : vis ma vie de flic marseillais<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les dealers sont très astucieux".
"Les dealers sont très astucieux".
©Reuters

Bonnes feuilles

En arrivant à la BAC Nord de Marseille, Sébastien Bennardo découvre un monde policier bien loin de sa conception, marqué par la corruption. Extrait de "Brigade anti-criminalité" (2/2).

Pour planquer dans les cités, il faut faire preuve d’énormément d’imagination et toujours trouver de nouvelles astuces. On sait par exemple que les Antillais sont debout de bonne heure. Alors, sur les boîtes aux lettres, on cherche les noms de vieilles dames antillaises pour rentrer chez elles vers 6 heures, 6 h 30 du matin et surveiller les dealers directement dans les étages. Il faut de la tchatche pour persuader une mamie de nous laisser entrer et de rester cachés chez elle. Souvent, les vendeurs font leur business au premier ou deuxième étage, et montent, en cas de problème, se planquer au quatrième chez la « nourrice », dans un squat ou un appartement refuge. Donc nous, flics de la BAC, avons intérêt à dénicher une cache au huitième pendant que des collègues arrivent par le rez-de-chaussée. On prend ainsi les trafiquants en tenaille.

Et les plans stups s’enchaînent. Avec toujours cette montée d’adrénaline, cette sensation que je suis fait pour ça. Le 14 février 2008, jour de la Saint-Valentin, je commence ma vacation à 12 heures et, au lieu de finir à 20 heures, je la poursuis jusqu’à minuit. Avec Davy, Pierro et Rodolphe, à 19 heures, « on passe au bureau ». Dans notre jargon, le « bureau », c’est la cité de la Busserine. Là, on repère le dealer, mais pas de guetteur. Mon chef me dit : « Tu te sens d’y aller ? » OK. Je mets ma capuche, je baisse le nez et je me mets dans la queue des acheteurs. Surtout, ne regarder personne dans les yeux et faire mine de chercher son argent. Mon portable est allumé dans ma poche, et tant que je suis dans la file, je marmonne : « Attente, attente… » Puis c’est mon tour. À la hauteur du vendeur, je le regarde et je le serre. Je crie : « Top, top, top ! » dans le haut-parleur pour que mes collègues arrivent le plus vite possible. Je plaque au sol le dealer et j’attends le chef. Les acheteurs de shit et les guetteurs se barrent comme des voleurs en hurlant : « Arah, Arah, Arah », ce qui signifie en arabe : « V’là les flics ! » Je relève le vendeur et je suis estomaqué. Je le reconnais : c’est un adjoint de sécurité de Paris – un policier, quoi ! – qu’on avait emmené au commissariat la veille pour qu’il dépose plainte pour détérioration de son véhicule. Et je le retrouve en train de vendre du cannabis à la Busserine… Il m’a expliqué qu’il n’avait plus d’argent pour rentrer à Paris, et qu’il avait dealé pour s’en procurer…

Avec mon pote Roro, on est devenus les meilleurs de la BAC. On s’est pris au jeu. On cherche des astuces pour monter des plans stups, car les dealers en face sont très astucieux et nous, de plus en plus ambitieux. On s’est fixé un nouveau challenge : le point de deal de Campagne-Picon, bâtiment H3, à la Busserine, réputé impénétrable. Il y a des guetteurs-fouilleurs à toutes les entrées et une clientèle énorme. Un jour, en passant devant le bâtiment, j’ai eu une illumination. J’ai dit au chef Rodolphe : « Comment font les cambrioleurs pour pénétrer chez les gens ? Ils escaladent les balcons. Est-ce qu’on ne pourrait pas escalader le bâtiment H3 jusqu’au deuxième étage, par le mur de derrière ? »

Reste à convaincre la vieille dame qui habite à cet endroit. Et on l’a fait. On a monté un dispositif. Nos collègues nous ont déposés à l’extérieur, vers Chez Abed, Snack Pizzas où certains du groupe B mangent gratuit… On se faufile entre les BMW et autres Tigouan 4x4 stationnés en bas – il y a même deux bateaux entreposés là. J’indique à chaque membre du groupe d’intervention les emplacements de chacun. Le chef Rodolphe supervise comme toujours, pour éviter les dérives.

On escalade l’arrière du bâtiment, jusqu’à une fenêtre ouverte au deuxième étage. On tape au carreau de l’occupante. On dit : « Police », on montre nos brassards. On rentre chez elle et on lui demande de ne pas parler fort. On reste cachés. On appelle nos collègues à l’extérieur qui ont interrogé deux acheteurs, histoire de connaître la description du vendeur du H3. C’est un homme à forte corpulence avec les cheveux longs. Un dénommé Sofiane qu’on connaît bien, son cousin est gardien de la paix au SISTC. On leur dit de se rapprocher. Dès qu’ils seront à proximité du bâtiment, on ouvrira la porte de l’appartement et on sortira dans le hall. On est au deuxième étage et ça vend au premier. On se place derrière la porte et on attend. Le chef donne le top. C’est parti. On ouvre la porte et on se retrouve nez à nez avec le type aux cheveux longs qui monte se réfugier chez la mamie du deuxième. En réalité, on est tombé sur la nourrice. Étranglement, menottes. Sur lui, Sofiane a une sacoche avec 3 kilos de shit et 2 000 à 3 000 euros en espèces.

Pour moi, c’est très valorisant de rapporter au service 3, 4 ou 5 kilos de résine de cannabis et 10 000 euros. Pour d’autres, c’est de les voler. C’est ainsi qu’on franchit la ligne blanche. Certains du groupe B de la BAC nord n’hésitent pas à le faire et vont même jusqu’à nous reprocher d’être réglo : « Vous faites les ronflants, les malins. » De notre côté, on les remet à leur place : « Évidemment, nous, on ramène 4 kilos, alors que vous, vous les gardez. » Parfois, en allant à mon vestiaire, je surprends des mecs du groupe B qui planquent du shit dans les casiers ou les faux plafonds. Je ne sais pas trop faire dans ces instants-là, désemparé.

Sur le livre de comptes des saisies de stupéfiants, la différence de prises entre les groupes est d’ailleurs hallucinante. Le nôtre, le groupe A, inscrit régulièrement 2 ou 3 kilos. Le groupe B, en revanche, note 100 ou 200 grammes. Le groupe C, sur les mêmes points de deal que nous à Font-Vert, Bassens ou la Busserine, ne trouve bizarrement jamais 1 kilo. Ce sont ces registres que l’IGPN a saisis pour son enquête sur les ripoux.

En ce printemps 2008, Roro et moi roulons les mécaniques au commissariat, parce qu’on interpelle beaucoup de vendeurs de drogue et de voleurs en tous genres. On a une idée toutes les trente secondes pour entrer dans les caves ou par les toits, les balcons ou les fenêtres… On développe notre tactique. C’est une minorité qui tient la cité, et les gens qui y vivent ont peur. Ils sont habitués à voir les policiers ne rien faire, c’est pourquoi la population n’a plus confiance dans la police. Les habitants sont contents et nous remercient d’être intervenus. Pour moi, c’est le vrai travail du flic et c’est une de mes raisons de vivre.

Extrait de "Brigade anti-criminalité, un flic marsellais brise l'omerta", Bennardo Sébastien et Tourancheau Patricia, (Flammarion Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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