Macron/ Pécresse/ Zemmour ou Le Pen ? La grande hésitation des électeurs de droite <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon les sondages, les électeurs de droite hésitent entre différents candidats pour l'élection présidentielle de 2022 
Selon les sondages, les électeurs de droite hésitent entre différents candidats pour l'élection présidentielle de 2022
©Eric Feferberg

Dilemme cornélien

Alors qu’Eric Woerth a indiqué son soutien au chef de l’Etat plutôt qu’à la candidate de LR, les sondages indiquent des oscillations entre candidats de vagues en vagues. Mais sur quels critères les électeurs se décident-ils vraiment ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Les enquêtes d’opinion indiquent des oscillations d’intention de vote entre candidats à la présidentielle de sondage en sondage. C’est plus marquant chez les électeurs de droite, entre Macron, Pécresse, Zemmour et Le Pen. Si une part est évidemment à attribuer aux biais des différentes enquêtes, dans quelle mesure l’hésitation transparaît chez les électeurs ? Quelles sont les raisons de ces fluctuations ? Et sait-on identifier qui sont les électeurs qui hésitent ?

Christophe Boutin : Où en est-on ? Le Figaro publie une moyenne des différents sondages, qui est la suivante : Emmanuel Macron est toujours autour de 24 %, et ne semble pas décidé à bouger. Immédiatement derrière, nous trouvons Marine Le Pen, avec une moyenne dans les derniers sondages à 17,2 %, impactée d’abord par l’arrivée d’Éric Zemmour, puis par celle de Valérie Pécresse, mais qui maintient sa position mieux que certains ne l’auraient pensé. Viennent ensuite, très regroupés, Valérie Pécresse, avec une moyenne de 16,4 %, et Éric Zemmour avec une moyenne de 13,4 %. Plus loin, ou trouve Jean-Luc Mélenchon à 9,5 %, et, bien plus loin encore une gauche en morceaux (Yannick Jadot à 5,3 %, Christine Taubira à 4,5%, Fabien Roussel à 3,1%, Anne Hidalgo à 2,9%), et Nicolas Dupont-Aignan qui clôt la liste à 1,7%.

Premier élément, pourquoi ces différences entre les instituts de sondage, ce qui pousse d’ailleurs Le Figaro à faire cette moyenne ? Elle est peut-être due à des panels qui ne sont pas exactement les mêmes, ni en qualité ni en nombre, mais aussi et surtout aux réévaluations des résultats faites par les instituts. On avait en effet constaté il y a une dizaine d’année une systématique distorsion entre les prévisions des sondages et les réalités des votes, notamment pour ceux touchant aux extrêmes, et plus précisément encore pour ceux concernant la droite radicale. Manifestement, certains électeurs étaient peu soucieux de communiquer sur des choix stigmatisés, et les instituts ont dû appliquer des correctifs. Mais ces derniers temps les choses ont un peu évolué, une certaine parole semble en quelque sorte s’être libérée, ce qui conduit à revoir ces correctifs. Reste sans doute une certaine difficulté à évaluer les intentions de vote pour Éric Zemmour, le plus ostracisé des candidats dans les médias mainstream.

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De toute manière, un sondage à quelques mois des élections ne sera jamais, ni un  sondage « sortie des urnes », ni, à plus forte raison, le résultat du vote, et l’on admet communément une marge d’erreur allant de un point à deux points en plus ou en moins au chiffre obtenu – soit une marge totale de deux à quatre points. Dans ce cadre, on constate qu’entre les trois candidats de droite les jeux sont loin d’être faits, comme d’ailleurs entre les candidats de gauche, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon, qui conserve une réelle avance sur ses rivaux.

Si l’on prend les trois candidats de droite, deux d’entre eux, Marine Le Pen et Valérie Pécresse, sont censés avoir un socle électoral, une base « fixe », puisque ce n’est pas la première fois qu’elles se présentent à une élection, et qu’elles disposent pour soutenir leur candidature de la force de frappe d’organisations partisanes aguerries. De fait, une fois digéré l’arrivée de Zemmour pour les deux, et réglé la question des primaires LR pour Valérie Pécresse, nous avons une relative stabilité. Au contraire, et cela explique en partie les fluctuations plus importantes qui le concernent, Éric Zemmour, nouvel arrivant, tire principalement son électorat du stock des deux autres - et de moindre manière, à la marge, d’électeurs s’étant abstenus lors des consultations précédentes. Mais l’effondrement que certains prédisaient de sa candidature au fil du temps ne se produit pas, et il a visiblement maintenant lui aussi un socle.

Qui hésite ? Une fois que l'on aura exclu les militants, qui sont fidèles, identifier les électeurs qui hésitent, pour pouvoir s'adresser à eux, demande un très fin travail d'analyse. C’est ce qui se fait actuellement à l’aide du Big data, en utilisant une énorme compilation de données variées, largement traitées ensuite par des intelligences artificielles qui permettent de trouver des points communs et de faire émerger des catégories. Cela permet ensuite d'offrir à ces dernières une information ciblée dont on espère qu’elle  va les convaincre, et en terminer avec leurs hésitations.

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Lorsqu’on analyse les précédentes élections, quelles explications les électeurs ont-ils avancé après le vote pour expliquer leur choix ? Comment cela peut-il nous éclairer sur les déterminants du vote actuel ?

Ils avancent presque toujours, rassurez-vous, des explications très rationnelles. Les électeurs consultés à la sortie des urnes nous expliquent volontiers, d’abord, qu’ils savaient pour la plupart depuis très longtemps pour qui ils allaient voter ; que leur choix ne devait absolument rien à l'émotion, mais tout à la raison ; qu'ils avaient pour cela étudié les programmes dans le détail ou presque. Et seule une petite minorité admettra que le matin encore elle ne savait pas pour qui elle allait voter, et qu’elle s'est finalement résolue à mettre dans l'urne un bulletin parmi d’autres qui auraient tout aussi bien pu lui convenir.

Les études savantes ne nous éclairent pas beaucoup plus. On distingue ainsi fréquemment un modèle « sociologique », où les choix politiques sont déterminés par l’environnement familial, social, ethnique ou religieux de l’électeur. Une sorte de prédisposition donc, un déterminisme électoral bien sûr critiqué par les auteurs qui ne veulent voir dans le vote que l’expression d’un choix libre et rationnel. Notons que c’est d’ailleurs pour permettre l’expression de ce libre choix, que la Révolution française, comme le progressisme actuel, veulent affranchir l’individu de ses cercles d’appartenance.

Mais le libre choix initial peut aussi se transformer avec le temps en une excessive fidélité partisane, dans laquelle l’électeur se contente de reproduire à chaque élection le même vote, sans plus jamais s’interroger sur sa justesse. D’autres auteurs persistent cependant à croire en une théorie des choix permanents, très individualistes, l’électeur veillant à chaque élection à maximiser ses profits, choisissant sur les étagères électorales le produit qui lui convient le mieux. C’est cet électeur opportuniste qui serait le plus à même de faire ce que l’on appelle le « vote utile », en choisissant par exemple de voter au premier tour pour un candidat qui n’a pas toutes ses faveurs, mais qui, au second tour, pourrait l’emporter contre un autre candidat qu’il s’agirait d’écarter avant tout.

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On est en fait le plus souvent dans un mixte bien flou. Parmi les déterminants du vote, il y a bien sûr parfois une adhésion ancienne, une habitude de vote qui continue à prévaloir, quand bien même le charisme de celui qui défend ces idées n'est pas évident, et quand bien même a-t-il finalement peu de chances de remporter la victoire. D’autres, se voulant tacticiens et stratèges, se risquent au choix très calculé d’un « vote utile » qui se veut subtil mais l’est rarement. Et n’oublions pas aussi que si l’on vote majoritairement « pour » au premier tour, on vote souvent « contre » au second, que les motivations ne sont donc nullement les mêmes aux deux tours, et avec des effets tout autres.  

Ajoutons pour conclure que l’on a aussi remarqué dans les explications de vote données après un certain nombre de consultations l'impact qu'ont pu avoir dans les choix exprimés par les électeurs des événements de dernière minute : un fait divers que les médias montrent en boucle, un chiffre particulièrement symbolique qui tombe au dernier moment, autant d’éléments qui de changent bien sûr pas totalement la donne pour tous les électeurs, mais qui peuvent en faire bouger un nombre suffisant pour, dans une élection disputée, faire basculer le résultat dans un sens ou un autre.

Alors que la campagne avance et que l’échéance se rapproche, trois candidats sont au coude-à-coude pour la seconde place. Lorsqu’un électeur analyse ces trois candidats, qu’est ce qui est le plus susceptible de lui permettre de trancher ? Les événements de la campagne, l’état émotionnel des électeurs ?

Effectivement, quand les candidats sont à la fois proches en voix et proches en programmes, l’analyste doit rester très réservé. Tout dépendra en fait de la hiérarchisation faite par les électeurs entre des critères qui sont dans tous les programmes des candidats de droite qui se battent pour la seconde place, mais qui ne sont pas rangés dans le même ordre.

Il est évident en effet qu'il y a un certain nombre d'éléments communs aux discours de ces candidats : la question de l'immigration vue sous un angle critique, celles de l’insécurité physique, du déclassement économique ou de la faillite de l’État par exemple. Les différences viennent ensuite des priorisation des candidats et de la tonalité de leur campagne. Éric Zemmour choisit une tonalité volontiers conservatrice – quoiqu’en économie plutôt libérale, et insiste sur l’identité. Marine Le Pen choisit de lui donner un caractère plus populiste, notamment plus étatiste en économie, avec une dimension sociale prononcée. Valérie Pécresse entend elle incarner une droite de gouvernement progressiste qui a l’expérience des affaires, et son libéralisme économique rejoint une sorte de libéralisme culturel.

Les électeurs hésitants, pour nombre d’entre eux, ont tous en tête ces éléments mêlés : conservatisme sociétal et libéralisme, protection sociale et état régalien fort. Mais selon les moments, en tenant compte d'un certain nombre de circonstances, qui peuvent concerner leur vie personnelle ou la vie publique, leurs priorités évoluent. Leur choix va donc se faire quand une des thématiques prioritaires d’un des candidats va rejoindre celle qui sera devenue prioritaire chez eux, les autres passant au second plan. Ils attendent cette résonnance, ils attendent de savoir quel serait l’élément principal dont ils aimeraient que le futur président de la République s’empare avant tout les autres.

On comprend ici l’importance pour les candidats des nuances dans leurs discours, comme celle d’éviter, par une formule malheureuse, une déclaration trop rapide ou manquant de clarté, de conduire les électeurs à les retirer de leurs choix possibles. On comprend encore combien, effectivement, les évènements qui suscitent de fortes émotions collectives peuvent changer la donne. Mais puisque nous évoquons ici finalement de petits déplacements de voix, on comprend aussi que le nombre de candidats qui vont obtenir les parrainages va jouer un rôle, soit que certains candidats représentent d’utiles réserves de voix pour d’autres au second tour, soit, plus encore, qu’ils soient à même, en gelant quelques pourcentages, d’en empêcher d’autres d’y accéder.

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