Macron sauvé par Sarkozy ? Les (dangereuses) illusions d’un scénario « d’union nationale »<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et l'ancien président français Nicolas Sarkozy à l'Elysée après une réunion sur la guerre en Ukraine, le 25 février 2022.
Emmanuel Macron et l'ancien président français Nicolas Sarkozy à l'Elysée après une réunion sur la guerre en Ukraine, le 25 février 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Soutien ou alliance ?

Beaucoup chez LR anticipent et/ou redoutent que l’absence de soutien de Nicolas Sarkozy à Valérie Pécresse préfigure une alliance avec Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours en vue de redresser le pays face à un contexte dangereux.

Julie Graziani

Julie Graziani

Julie Graziani est éditorialiste et essayiste. Elle analyse l'actualité politique pour BFM TV et l'émission 28 Minutes sur Arte. Elle a publié "Tout le monde peut s'en sortir" aux Editions de l'Observatoire, un essai consacré à la mobilité sociale. 

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Lucas Jakubowicz

Lucas Jakubowicz est journaliste politique et rédacteur en chef de Décideurs Magazine.

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Atlantico : Beaucoup chez LR anticipent et/ou redoutent que l’absence de soutien de Nicolas Sarkozy à Valérie Pécresse préfigure une alliance avec Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours en vue de redresser le pays face à un contexte dangereux. Qu’est-ce qui explique que la question se pose ?

Lucas Jakubowicz : Nicolas Sarkozy est le dernier président élu de LR, parti où il est, je crois, toujours encarté. Il est le fondateur de l’UMP, et pourtant il ne soutient toujours pas la candidate officielle. Cela pose des questions. Par ailleurs, lorsqu’on lit les biographies de Nicolas Sarkozy ou qu’on observe ses comportements, on réalise rapidement qu’il est très fidèle en amitié et fonctionne beaucoup à l’affect. Or, il a beaucoup de protégés, d’amis, qui sont chez LR, mais aussi en Macronie. C’est le cas de Jean Castex, qui a été membre de son cabinet, ou de Gérald Darmanin, qui d’ailleurs, se réclame de lui.

Emmanuel Macron a-t-il vraiment besoin de Nicolas Sarkozy pour se sauver face à Marine Le Pen puis pour avoir une majorité ? 

Julie Graziani : Il y a des similitudes entre le projet que Nicolas Sarkozy avait voulu porter en 2007 et celui qu'Emmanuel Macron est parvenu à transformer en force politique. Nicolas Sarkozy avait été le premier à vouloir rassembler des talents de droite et de gauche, via ce qu'il avait alors appelé l'ouverture et dont on disait alors, à juste titre qu'il s'agissait d'une innovation politique audacieuse et habile. L'ouverture modernisait la droite tout en déstabilisant la gauche. On peut citer aussi leur aisance dans les crises internationales, le parler cash, l'hyperprésidentialisation de Nicolas Sarkozy qui a préparé les esprits à la présidence "jupitérienne" d'Emmanuel Macron ou encore la promotion de la réussite sociale, et la mise en valeur de l'argent comme vecteur d'émancipation. Les deux présidents ont l'un comme l'autre, pour ces raisons, suscité la détestation d'une bonne partie de la population. D'une certaine manière, Emmanuel Macron a réussi là où Nicolas Sarkozy a fini par échouer. On peut donc postuler qu'une éventuelle alliance serait d'abord le fruit de ces affinités. Nicolas Sarkozy, à la place où il est aujourd'hui, peut s'offrir le luxe de laisser parler ses préférences personnelles et de ne pas se sentir un devoir de fidélité par principe à l'égard des Républicains dont une bonne partie avait aussi contribué à sa défaite en 2012 en s'inquiétant à haute voix de ce que la campagne était "trop à droite". Quant à Emmanuel Macron, s'il n'est pas déterminant, a minima la neutralité bienveillante d'un ancien chef de l'Etat renforce sa propre stature : elle consolide l'affirmation selon laquelle le vote en faveur d'Emmanuel Macron reçoit l'approbation des gens raisonnables et compétents, qui savent ce que c'est que d'être aux affaires.

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Lucas Jakubowicz : Non, il n’en a pas besoin. Le rolling Ifop montre qu’Emmanuel Macron arrive, pour l’instant, à faire du « en même temps ». Il a gardé 77 % de ses électeurs du premier tour de 2017 mais il compte aussi 21% des électeurs de Benoît Hamon et 25% des électeurs de Valérie Pécresse. Il a déjà siphonné une partie de LR. Si Nicolas Sarkozy le soutient, il aura plus de mal à être dans le « en même temps » et pourrait risquer de perdre son aile gauche. Il n’apas intérêt à ce que l’ancien président apporte son soutien à Valérie Pécresse. Pour Emmanuel Macron, le meilleur scénario est que Nicolas Sarkozy reste silencieux. Ce qu’il fait jusqu’à présent.

Pour les législatives, si Emmanuel Macron gagne la présidentielle et est en position de force alors que LR est sous les 10%, ce qui se profile actuellement, le parti risque d’exploser. Sans doute que beaucoup d’élus LR, qui jusqu’ici ont été fidèles, rejoindrons Horizons, le parti d’Edouard Philippe, et in fine la Macronie. Il est ainsi probable que Macron n’ait pas besoin de faire un accord d’appareil avec LR, puisque les députés viendront d’eux-mêmes. La meilleure stratégie d’Emmanuel Macron, c’est le statu quo. Il pourra ensuite faire son marché comme il le veut chez LR mais aussi au PS. La seule chance pour LR de ne pas se désintégrer, c’est d’être présent au second tour. Or ce ne sera probablement pas le cas.

Nicolas Sarkozy est-il en outre toujours le leader de la droite qu’il pense être ? De quel poids politique réel dispose-t-il encore chez les élus comme chez les électeurs ? Si ses proches assurent qu’il ne fait qu’écouter ses interlocuteurs sans jamais rien dévoiler de ses intentions, et nient l’existence d’un plan précis, d’autres rapportent des propos moins ambigus. « J’ai posé mes conditions à Macron, a affirmé Nicolas Sarkozy devant un élu LR, selon des informations du Monde. Je veux choisir le premier ministre et je veux un groupe de 50 députés. » Manière pour ce faux retraité de la politique, qui se rêve toujours en « faiseur de roi », de tenter de rester au centre du jeu, tout en se posant comme le seul à même de préserver l’avenir de sa famille politique.

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Julie Graziani : Dans la population générale, d'abord, sa cote de popularité s'était stabilisée à environ 52 % d'opinion favorable dans l'année précédant sa condamnation dans l'affaire des écoutes. Elle a chuté ensuite significativement, y compris auprès des sympathisants de droite, ce qui signifie qu'une condamnation pénale, même vigoureusement contestée, impacte négativement la perception de l'électorat, a fortiori quand elle n'est pas contrebalancée par un activisme politique actuel qui lui permettrait d'associer son nom à d'autres sujets. Au-delà du caractère infamant, ces déboires judiciaires ressemblent surtout à un solde de tout compte des années d'activité politique et révèlent donc en creux que son temps est passé. En outre, les jeunes électeurs le connaissent de moins en moins. C'était déjà la catégorie de la population auprès de laquelle il était le moins populaire à l'époque et on peut dire aujourd'hui qu'il les laisse indifférents, plus de 10 ans après la fin de sa présidence. Le fait que les candidats à la primaire et aujourd'hui Valérie Pécresse éprouvent le besoin de recueillir son approbation est davantage le signe de leur propre fragilité que de son influence réelle.

Lucas Jakubowicz : Les opinions sont contrastées. Il demeure apprécié des militants et du peuple de droite, il a un poids. Mais il est aussi détesté par une partie de l’opinion, notamment à gauche et au centre. L’avoir en soutien pourrait n’être qu’un jeu à somme nulle, voire négatif puisque les électeurs de centre-droit sont déjà chez Macron.

Une « Union Nationale » est-elle vraiment ce dont la France a besoin ? Le pays a certes besoin de se redresser sur bien des plans mais un programme de consensus peut-il fonctionner pour cela ? Y-a-t-il des convergences suffisantes ?

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Julie Graziani : Mais ce ne sera pas une Union Nationale ! C'est le triomphe du centre, autrement dit une simple recomposition des rapports de force politique avec le cercle de la raison au milieu et les extrêmes, ou désignés comme tels, à la périphérie. L'Union Nationale est une chimère dangereuse : c'est cette tentation récurrente de dépasser les divisions politiques. Plus de débats, plus de divisions, et la soigneuse mise à l'écart des voix dissonantes, illégitimes puisqu'elles ont le mauvais goût de venir contester l'harmonieux accord des gens raisonnables et compétents. C'est le kitsch moralisant qui vient étouffer la politique. La raison d'être du politique, c'est précisément que les opinions sont désaccordées. Une Union Nationale stricto sensu, comme en 14-18, ne se conçoit que face à un péril mortel et pour une durée limitée car c'est la mise en sommeil de la vie politique et des institutions. Vouloir reproduire le même concept au motif qu'il y aurait, non un péril mortel imminent venant de l'extérieur, mais des enjeux importants, c'est en fait essayer de justifier un pouvoir autoritaire et de surcroît désigner un ennemi de l'intérieur (pas d'Union nationale sans ennemi) avec toutes les dérives que cela induit.

Lucas Jakubowicz : Il y a déjà des convergences qui existent. LREM a mis en place des réformes que la droite voulait faire depuis 20 ans : les statuts spéciaux de la SNCF, l’assouplissement du code du travail, la fin de l’ISF, etc. Mais les appareils, eux, n’ont pas d’intérêt à une alliance. C’est la base de la politique, on ne s’allie pas lorsqu’on est faible, sinon on disparaît. C’est pour cette raison que le PCF se présente sans LFI après deux élections ensemble. Quand on s’allie en étant faible, c’est car on sait que le fort peut nous offrir quelque chose en échange. Or Emmanuel Macron n’a aucun intérêt à donner des gages à LR. 

Dans quelle mesure une alliance LR/LREM risque-t-elle d’accentuer le sentiment d’un système bloqué, dominé par la France qui va bien au détriment de celle qui s’angoisse sur son quotidien comme sur son avenir ?

Julie Graziani : Tout dépend de la clarté avec laquelle cette alliance serait présentée. S'il s'agit de dire honnêtement : "voilà, on a fait le constat qu'on pensait la même chose sur presque tous les sujets, d'ailleurs vous vous en êtes rendus compte avant nous, donc maintenant on assume et on se regroupe vraiment", c'est sain et cela rebat les cartes du jeu et de la concurrence loyale entre les formations politiques, en dégageant des espaces au sein de l'échiquier. Si au contraire, il s'agit de parer cette alliance des beaux atours de l'Union Nationale, alors on versera effectivement dans une forme d'oligarchie : ceux qui savent mieux que les autres et qui regardent de haut tous ces gens déraisonnables qui persistent à ne pas vouloir être convaincus par la pertinence de leurs décisions. Il n'y a pas non plus deux Frances en réalité : tout le monde a des raisons de s'inquiéter mais ce ne sont pas les mêmes. Dans les catégories aisées, on ne s'inquiète pas pour la fin du mois mais pour le climat ou la biodiversité. On peut aussi s'inquiéter pour les autres d'ailleurs, même si on est soi-même à l'abri. Cette manière de poser le débat montre que l'on se résigne à une société polarisée où chacun se détermine en fonction de ses intérêts catégoriels. Là encore, il faut rappeler inlassablement que le coeur de la démocratie représentative, c'est pour un député de porter la voix de ceux qui ne lui ressemblent pas forcément et pour l'électeur de donner sa confiance à quelqu'un qui ne partage pas son quotidien mais dont il pense qu'il a une bonne vision des choses néanmoins.

Lucas Jakubowicz : A titre personnel, je ne pense pas qu’il y ait besoin d’Union nationale. Je ne pense d’ailleurs pas que LR en veuille. S’ils s’allient à LREM, c’est la mort du parti. Mais si tous les partis « modérés » sont dans un immense bloc, la seule opposition qui restera sera l’extrême droite ou l’extrême gauche. Dans un pays, il y a forcément de l’alternance et si la seule alternance ce sont les extrêmes, cela risque d’être dangereux.

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