Emmanuel Macron rattrapé par la communautarisation de la société française<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a pris la parole depuis l'Élysée jeudi soir, exprimant sa solidarité avec Israël et rappelant la nature "terroriste" du Hamas.
Emmanuel Macron a pris la parole depuis l'Élysée jeudi soir, exprimant sa solidarité avec Israël et rappelant la nature "terroriste" du Hamas.
©Ludovic MARIN / AFP

Désunis ?

Lors de son allocution hier soir, le président de la République a demandé aux Français de rester "unis". Mais n'est-ce pas déjà trop tard ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : « N’ajoutons pas par illusion ou par calcul des fractures nationales aux fractures internationales et ne cédons rien face à toute forme de haine », a déclaré le président de la République dans son allocution. N’est-ce pas justement illusoire que nous pouvons échapper au conflit ici même après les attaques terroristes du Hamas ?

Christophe Boutin : Cela semble d’autant plus illusoire que près de la moitié de l’allocution du président de la République a été consacrée aux répercussions nationales de cette crise internationale. C’est d’ailleurs, je crois, le premier élément qu’il faut retenir, avant tous les autres.

D’autres chefs d’État sont certes intervenus pour exprimer leur sentiment sur les évènements survenus au Proche-Orient. Ils ont dit leur rejet absolu d’un terrorisme aveugle et barbare, ils ont ensuite assuré - pour certains - Israël d’un soutien, y compris militaire, qui lui permette d’assurer sa sécurité. Mais aucun n’a évoqué les divisions, les « fractures », pour reprendre le mot utilisé par Emmanuel Macron - et il a son poids de radicalité - qui pouvaient se faire jour au sein de leurs communautés nationales respectives en réaction à un acte qui ne concernait pas leur territoire. Certes, deux jours avant Emmanuel Macron, Joe Biden, dans son allocution, a bien évoqué très brièvement une « haine » qui « n’a pas sa place en Amérique – ni contre les juifs, ni contre les musulmans, ni contre personne ». Mais Emmanuel Macron, dans une allocution qui dure environ onze minutes, est passé à l’analyse de la politique nationale à 6’40 (site de l’Élysée). C’est dire que cette allocution, dans l’esprit du chef de l’État, répondait au moins autant, sinon plus, à des inquiétudes de politique nationale qu’internationale. Ce que vient d’acter Emmanuel Macron, c’est la communautarisation de la société française, une communautarisation qu’il a axée sur une approche confessionnelle lorsqu’il a évoqué « nos compatriotes de confession juive » puis « nos compatriotes de confession musulmane ».

On dit parfois que lorsqu’on utilise trop un mot dans un discours c’est que l’on a besoin de prouver l’existence de quelque chose qui, dans les faits, n’existe plus. Il n’est donc pas anodin de constater que le mot clé employé par Emmanuel Macron dans cette allocution aura sans doute été le mot « union » et ses dérivés, « unité » ou « unis », employés huit fois au sujet de la situation française. Il a en effet appelé les Français à « rester unis comme Nation, et comme République », une « unité républicaine » autour de « nos valeurs, de fraternité et de laïcité » - à 9’38 de l’allocution, et non, comme écrit dans le script rendu public sur le site de l’Élysée, les « valeurs fraternelles ». Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, ce sont ces deux valeurs, fraternité et laïcité, qui devraient permettre de dépasser les divisions confessionnelles et les craintes de « résurgence » de la « violence antisémite » pour les uns, « que les amalgames l’emportent sur la raison » pour les autres.

Le danger pour tous ? La haine - un terme lui aussi suremployé par le Président, avec 7 occurrences, dont 6 pour la seule situation français -, évoquant par exemple les « expressions de haine sur les réseaux sociaux », dont on sait que le gouvernement aimerait les contrôler. Ainsi, selon lui, « l’antisémitisme a toujours été le prélude à d’autres formes de haine : un jour envers les Juifs, le lendemain envers les chrétiens, puis les musulmans [avec ici un lapsus, le Président ayant commencé par dire ‘les imm…’ avant de se reprendre (9’04)], puis toutes celles et ceux qui sont encore l’objet de haine, en raison de leur culture, leur origine, leur genre ».

Une haine ici portée ou au moins renforcée par l’importation sur notre sol des luttes proche-orientales « aventures idéologiques par imitation, par projection » et dont seul pourrait nous garder le « bouclier de l’unité ».

Le chef de l’État a rappelé que la France prônait une solution à deux États. Cette déclaration intervient-elle afin de calmer les tensions qui pourraient survenir en France ?

Écoutant le président évoquer hier soir la crise proche-orientale, j’avais comme une impression de « déjà vu », ce qui m’a conduit à réécouter l’allocution du président des USA deux jours auparavant. On ne peut que noter des similitudes dans l’approche de la situation internationale, ce qui est d’ailleurs logique entre alliés partageant la même vision du monde.

Il en est ainsi par exemple de la condamnation d’un Hamas qui, groupe terroriste, pousse à des ripostes contre ceux qu’il est censé défendre. Pour Joe Biden, « le Hamas ne se bat pas pour le droit des Palestiniens à la dignité et à l’autodétermination. Il a pour vocation d’annihiler l’État d’Israël et de tuer les Juifs. Il se sert des civils palestiniens comme de boucliers humains. Le Hamas n’a rien d’autre à offrir que de la terreur et des effusions de sang, peu lui importe qui en fait les frais. » Et pour Emmanuel Macron : « Disons-le clairement. Le Hamas est un mouvement terroriste. Le Hamas cherche avant tout la destruction et la mort du peuple d’Israël. Agissant comme il le fait, il sait par ailleurs à quoi il expose de manière criminelle et cynique la population de Gaza. »

Même accord sur le droit à la riposte d’Israël, et les limites qu’elle devrait comporter. Pour Joe Biden, « comme tout autre pays au monde, Israël a le droit et même le devoir de réagir à ces attaques odieuses. Je viens de téléphoner, pour la troisième fois, au Premier ministre Nétanyahou. Je lui ai dit que si les États-Unis avaient vécu ce que les Israéliens ont vécu, notre réponse serait rapide, décisive et massive. Nous avons également discuté du fait que les démocraties comme Israël et les États-Unis sont plus fortes et plus sûres lorsqu’elles agissent dans le respect de l’État de droit. Les terroristes ciblent délibérément les civils et les tuent. Nous respectons les lois de la guerre – le droit de la guerre – c’est important, il y a une différence. » Et pour Emmanuel Macron : « Nous avons assuré Israël et son peuple de notre solidarité sans faille et de notre soutien dans sa réponse légitime aux attaques terroristes. Israël a le droit de se défendre, en éliminant les groupes terroristes dont le Hamas par des actions ciblées, mais en préservant les populations civiles car c’est le devoir des démocraties. »

Par contre, seul le président français a évoqué, comme vous le signalez, les possibilités de sortie de crise. « Nous ne pouvons pas nous résoudre à une guerre sans fin dans cette région », déclarait-il, ajoutant : « La lutte contre le terrorisme ne peut remplacer la recherche de la paix ». Cela peut sembler une pierre jetée dans le jardin des États-Unis et de leur lutte contre messianique contre le Mal, encore évoquée par Joe Biden (« Il y a des moments dans la vie, et je le dis au sens propre du mot, des moments où le mal à l’état pur s’abat sur le monde. […] Nous condamnons le mal aveugle, comme nous l’avons toujours fait »). Une approche qui, de la lutte contre l’empire du mal (Reagan) à celle contre l’axe du mal (Bush), n’a pas toujours mesuré les conséquences de ses interventions (Irak, Afghanistan…).

Mais pour Emmanuel Macron : « Les conditions d’une paix durable sont connues : ce sont des garanties indispensables pour la sécurité d’Israël et un État pour les Palestiniens. C’est la ligne que la France défend avec constance, qu’elle continue à défendre sans varier et continuera de porter. » S’agit-il ici de politique intérieure ? Sans doute moins cette fois que de positionnement diplomatique clair de la France, dans la continuité d’ailleurs des choix de nos précédents dirigeants. Et il en est de même lorsqu’il déclare que « la sécurité de l’État d’Israël, la lutte résolue pour l’éradication du terrorisme dans la région, et le respect des aspirations légitimes de chacun forment pour nous un ensemble indissociable ».

La France insoumise a-t-elle une part de responsabilité dans les tensions quotidiennes ?

La France insoumise n’est jamais nommément citée par le Président, mais on trouve en filigrane dans son discours des réponses à certaines de ses prises de position récentes – ou moins récentes. C’est le cas d’abord dans ce refus de voir importer une guerre étrangère sur notre sol : « Ne menons pas chez nous des aventures idéologiques, par imitation, par projection. N’ajoutons pas, par illusion ou par calcul, des fractures nationales aux fractures internationales. » Il est bien évident que les propos récents des dirigeants de LFI – mais aussi, nous le disions, la politique menée par nombre de ses cadres et militants dans le cadre d’une « convergence des luttes » mêlant, dans un brouet pour le moins fumeux, la déconstruction et l’antisionisme – quand ce n’est pas l’antisémitisme - font partie des « illusions » évoquées, et que la politique mélenchoniste visant à permettre par ce discours la captation d’un vote communautaire des « quartiers » relève, elle, du « calcul ».

Lorsqu’Emmanuel Macron, ensuite, déclare que, face au terrorisme, « il ne peut jamais y avoir de “oui mais“ », ou lorsqu’il ajoute : « Disons-le clairement, le Hamas est un mouvement terroriste », comment ne pas y voir une réponse aux circonvolutions oratoires des dirigeants de LFI – Mathilde Panot entre autres ? Enfin, quand il conclut que : « Ce n’est pas une guerre entre les Israéliens et les Palestiniens. C’est une guerre menée par des terroristes contre une Nation, un pays, une société, des valeurs démocratiques », c’est là aussi une réponse au discours dominant à l’antisionisme récurrent qui est de nos jours celui d’une très large partie de l’extrême gauche française.

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