Emmanuel Macron ou la furieuse tendance aux post-rationalisations... irrationnelles<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Interrogé pour la télévision grecque, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois les ratés de l'Europe sur le développement des vaccins contre la Covid-19. Hubris quand tu nous tiens.
Interrogé pour la télévision grecque, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois les ratés de l'Europe sur le développement des vaccins contre la Covid-19. Hubris quand tu nous tiens.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Hubris quand tu nous tiens

Interrogé pour la télévision grecque, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois les ratés de l'Europe sur le développement des vaccins contre la Covid-19. Ses déclarations permettent d'en apprendre plus sur la perception d’Emmanuel Macron de la rationalité. Le chef de l'Etat ne confond-il pas l'hubris et la raison ?

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

Voir la bio »

Atlantico : A la télévision grecque, Emmanuel Macron a esquissé un mea culpa en reconnaissant que l’Europe n’était pas allée "assez vite, assez fort" pour commander des stocks de vaccins. Il a ajouté : "On a eu tort de manquer d’ambition, j’allais dire de folie, de dire : "c’est possible et on y va". On est trop rationnel peut-être". Qu’est-ce que ces mots révèlent de la perception d’Emmanuel Macron de la rationalité ?

Frédéric Mas :  Commençons par noter qu’en matière de mea culpa, celui du président français jure un peu avec celui de son homologue allemand Angela Merkel. Celle-ci s’est excusée pour avoir fait l’erreur d’un reconfinement pour le week-end de Pâques. On croit rêver ! toute la presse française est sidérée par un geste inconnu de notre nomenklatura politique nationale : un responsable politique reconnaît ses erreurs de gestion, erreurs de gestion qui en France passeraient totalement inaperçues tant elles sont devenues monnaie courante depuis le début d’une crise sanitaire gérée de manière chaotique, semaine après semaine.

Emmanuel Macron oppose la folie et l’ambition à la rationalité. C’est cet excès de « rationalité » qui aurait aveuglé les élites européennes et les aurait rendus incapables de mener à bien la campagne vaccinale. Il est à craindre que la « rationalité » invoquée ne soit pas très raisonnable, et désigne celle minimale des organisations bureaucratiques. Ici, la rationalité devient synonyme de respect des règles en vigueur et attachement aux procédures routinières plus que l’exercice indépendant de la raison.

À Lire Aussi

Covid-19 : Emmanuel Macron annonce enfin (et sans en avoir l’air) un changement de stratégie

Mais peut-être que faut-il aller plus loin dans l’analyse. On peut voir dans le propos de Macron une illustration du « constructivisme rationaliste » dont parlait l’économiste Friedrich Hayek. Pour Hayek, le rationalisme se transforme en préjugé quand il nie les limites permanentes de nos connaissances pour comprendre le monde qui nous entoure. Le constructiviste « rationaliste » imagine que par sa seule intelligence, il est capable de comprendre le monde et d’agir sur lui. C’est faire abstraction de la somme colossale de connaissances que nous utilisons en pratique mais que nous ne verbalisons pas. En d’autres termes, l’homme s’illusionne sur sa propre rationalité et ne voit pas qu’elle n’est qu’une carte qui cache le territoire.

Emmanuel Macron va jusqu’à parler de "folie". Est-ce vraiment ainsi qu’on peut qualifier le fait pour les Américains ou les Britanniques d’avoir su anticiper ?

Est-il vraiment « rationnel » de n’avoir pas su anticiper la manière dont la compétition pour la vaccination allait se tenir ? La « folie » dont parle Emmanuel Macron correspond à la prise de risque que rencontre tout entrepreneur sur le marché. Cette culture du capitalisme entrepreneuriale fait totalement défaut à nos élites politiques, qui pour la plupart sont issues de la haute administration, après être passés par la case ENA. La culture bureaucratique dans laquelle ils prennent leur marque est profondément averse au risque, et faire du risque une « folie » en dit long sur le courage politique d’une classe politico-administrative qui empile les mêmes solutions collectivistes depuis des décennies.

Maintenant, ne serait-il pas plus raisonnable de parler de « folie » pour désigner la manière dont l’Union européenne a géré et négocié l’achat des vaccins, pour aboutir au résultat qu’on connaît ?  

À Lire Aussi

Mauvaise gestion de la pandémie : quelle part de responsabilité pour le management d’Emmanuel Macron face au Covid-19 ?

En quittant le gouvernement, Gérard Collomb soulignait le manque d'humilité et l'hubris d'Emmanuel Macron. La vision d'Emmanuel Macron sur la question de la gestion des vaccins est-elle une nouvelle manifestation de cette tendance du président ?

Je pense qu’en accédant au pouvoir, Emmanuel Macron a rapidement découvert qu’il n’était pas Jupiter, et que sa place centrale au sein de l’exécutif ne lui donnait pas beaucoup de marge de manœuvre pour réformer le pays. Peut-être a-t-il eu l’illusion narcissique, pendant quelques mois, de croire que par son talent, son intelligence et son appartenance à la caste de la haute fonction publique, il allait pouvoir faire dérailler le train bien huilé de la routine bureaucratique de l’Etat.

La crise sanitaire, puis l’échec de la campagne vaccinale, nous a révélé où se trouvaient les vrais lieux de pouvoir au sein du modèle social et politique français, à savoir ses administrations. Classiquement, comme le fait par exemple Michel Crozier, on fait de l’administration l’instrument du pouvoir politique élu. Elle n’a pas de volonté ou de revendications propres, et se contente d’appliquer les directives du gouvernement. Seulement il est vraisemblable de penser qu’il ne s’agit que d’un stade de développement de l’Etat. A un moment donné, le poids des administrations au sein de l’Etat finit par inverser le rapport de force entre politiques et bureaucrates. L’efficacité de la décision politique devient totalement conditionnée au bon vouloir d’une administration toute puissante, complexe et beaucoup moins volatile que l’autorité directoriale du Politique qui change à intervalles réguliers.

En pratique, ça donne un décalage tragi-comique entre la rhétorique guerrière du président de la république, et la « guerre contre le virus » de sa bureaucratie. D’un côté, nous avons l’urgence et la panique, de l’autre, une guerre qui finit à 17h, fait des pauses le week-end et prend des congés comme si de rien n’était. Le fonctionnement routinier de l’administration devait être le premier ennemi à abattre dans la campagne vaccinale, comme dans la crise sanitaire. Rien n’a été fait, bien entendu.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !