Emmanuel Macron / Mario Draghi : le match des visions pour l’Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Mario Draghi et Emmanuel Macron lors d'un sommet européen.
Mario Draghi et Emmanuel Macron lors d'un sommet européen.
©JOHN THYS / AFP

Projet européen

Alors qu'Ursula von der Leyen est de plus en plus critiquée, Emmanuel Macron souhaiterait voir Mario Draghi prendre la tête de la Commission européenne. Quelles sont les visions d'Emmanuel Macron et de Mario Draghi pour l'Europe ?

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : En quoi la vision d’Emmanuel Macron de l'Europe est-elle si différente de celle de Mario Draghi sur le plan politique et institutionnel ? Les deux hommes ont-ils des visions différentes vis-à-vis de l’Europe fédéraliste, confédérale ou supranationale ?

Florent Parmentier : Le Président français et l'ancien Président du conseil italien ont pu exprimer leurs idées à une cinquantaine de jours des élections européennes. Ces prises de position sont importantes dans une campagne indécise, qui risque de favoriser une dispersion des voix, et donc aboutir à des majorités moins facilement trouvables, d'où la nécessité de définir des perspectives claires. 

Les deux politiques ne prennent pas exactement le même angle : Mario Draghi focalise son attention sur la compétitivité européenne, tandis que le second discours de la Sorbonne d'Emmanuel Macron se concentre sur la question de l'Europe puissance. Cela signifie que le Président Macron accorde plus d'importance en matière d'intégration européenne à une défense commune, une capacité à agir sur la scène internationale et à une plus grande souveraineté. 

Sur le plan politique, Mario Draghi suggère une transformation significative des structures et des politiques de l'Union européenne impliquant une coopération renforcée entre les États membres, suggérant une approche supranationale pour relever les défis communs. Il souligne également l'importance d'une approche intégrée et coordonnée au niveau de l'Union européenne pour maintenir la compétitivité. Enfin, il suggère une volonté de réforme institutionnelle sans nécessité immédiate de modifier les traités, ce qui pourrait impliquer des ajustements dans le cadre actuel de l'Union européenne. Quant à Emmanuel Macron, il propose « une structure politique » au niveau européen sur les sujets de migrations, de criminalité et de terrorisme, ainsi qu'un renforcement du Conseil Schengen, qui doit devenir "un véritable Conseil de sécurité intérieure de l'Union". 

Quelles sont les différences de vision de l’Europe entre Emmanuel Macron et Mario Draghi intellectuellement et philosophiquement ?  

Florent Parmentier : Une vision européenne est une perspective (ou un ensemble d’idées) qui guide les actions et les décisions de l'Europe en tant que communauté politique. Elle peut inclure des objectifs à long terme, des valeurs fondamentales, des priorités et des croyances sur la manière dont nos sociétés européennes devraient être organisées. 

Tout d'abord, il convient de noter que les deux hommes partagent de nombreux points communs : le Français a constamment plaidé pour une Europe plus intégrée et solidaire, tandis que l'Italien a contribué à stabiliser la zone euro pendant la crise de la dette et continue de plaider pour une Europe unie. Les deux se présentent comme des réformistes sur le plan économique et ont fait preuve de leadership en période Covid. 

Emmanuel Macron est sans doute plus confronté à des défis politiques de nature régalienne : la guerre en Ukraine doit être, avec les pays d'Europe centrale, l'occasion de réaliser véritablement cette Europe-puissance. Mario Draghi n'y fait quasiment pas référence dans son discours. Le premier tente également de montrer que des avancées politiques ont pu être réalisées ces dernières années, tandis que son ancien homologue italien est plus sévère : "Notre réponse a été limitée parce que notre organisation, notre processus décisionnel et notre financement ont été conçus pour le « monde d’avant » — avant le Covid-19, avant l’Ukraine, avant l’embrasement au Moyen-Orient, avant le retour de la rivalité entre grandes puissances." Adapter l'UE au monde actuel est leur questionnement fondamental commun. 

S'il est indéniable qu'Emmanuel Macron et Mario Draghi partagent la même doctrine dans les grandes lignes, ne peut-on pas dire du second qu'il est plus lucide que le premier en matière de politiques monétaires et budgétaires ? Qu'est-ce que cela implique sur l'avenir de l'Union, s'il prenait effectivement la tête de la Commission ?

Don Diego De La Vega : Mario Draghi et Emmanuel Macron ne sont pas réputés pour avoir une doctrine. Le président français est un politicien qui change d'avis très souvent et Mario Draghi est un technocrate qui, au regard de ses déclarations et de ses actes des vingt dernières années, a été quand même relativement souple, pour ne pas dire pragmatique.

Dans les deux cas, ce ne sont ni des économistes appartenant à une école de pensée référencée, ni des gens qui véritablement se réfèrent à un manuel de macroéconomie classique. La différence se fait dans le champ monétaire. Mario Draghi est plus un technicien de la chose en comparaison avec Emmanuel Macron. Le chef d’Etat français fait partie de tous les politiciens français qui pensent que, finalement, le fait d'avoir confié toutes les règles monétaires à la BCE est une bonne idée. Il ne prend pas le risque de se questionner l’esprit, de challenger la BCE et de se comporter en actionnaire de la BCE. Par conséquent, comme cela est hors de son champ depuis ses études à Sciences Po, Emmanuel Macron s'en occupe très peu. Les questions monétaires, pour lui, sont un peu stratosphériques. Au contraire, Mario Draghi, a eu à gérer la BCE pendant huit ans. Donc, même s'il n'a jamais été un spécialiste des questions monétaires, même s’il n'est pas un économiste ou un doctrinaire, Mario Draghi a déjà été confronté et a dû gérer les questions monétaires durant plusieurs années. Il est plus lucide sur les avantages et les inconvénients de l'euro, de la BCE et de l'arbre monétaire. Il peut aller plus loin en matière de compréhension des points d'intérêt, des points de change.

Emmanuel Macron a des intérêts pour l'institution plus que pour l'intérêt général. Il est un praticien de la chose et non pas véritablement un doctrinaire en matière de politique monétaire.

Si Mario Draghi accédait à la tête de la Commission, cela n'affecterait pas forcément la dynamique politique de l'Union européenne. Il aurait très peu de légitimité à parler des questions politiques ou géopolitiques. Mario Draghi est plutôt un technocrate. Les élections européennes ne vont pas du tout envoyer ce message-là. Elles sont plutôt parties pour nous envoyer un message souverainiste, dégagiste ou populiste. Il n’y aura certainement pas un message de renforcement de la technocratie représentée par Mario Draghi. Ce dernier devrait donc gérer les questions budgétaires, les affaires de la Commission européenne en bon technocrate. Mais cela ne marquerait pas une rupture de lignes, ni un pas vers l'union politique, ni un pas vers l'Europe de la défense. Ce ne serait pas du tout un pas vers une Europe plus souveraine qui conteste le contexte économique ou politique. Mario Draghi a déclaré qu'il voulait un État européen, et pour cela, il faudrait un impôt européen. Il faudrait aussi probablement des élections véritablement européennes avec des mécanismes de contrôle et des contreparties démocratiques. Or, tout cela, il n'en veut pas. La Commission actuelle, celle de Thierry Breton, celle de Ursula von der Leyen, est une coalition qui commence à tourner au protectionnisme avec de plus en plus des relents d’attaques violentes contre la Chine.

Mario Draghi s’inscrit dans une tradition de libre-échange. Il a été relativement bien formé dans sa jeunesse. Mais malheureusement, il est comme toutes les élites européennes et comme Macron. Cela s’inscrit dans la dérive américaine, cette dérive néo-peroniste, de plus en plus mercantiliste, voire protectionniste.

Le dernier rapport sur la compétitivité de Mario Draghi montre qu'il tend vers cette perspective. Il propose de l'agressivité vis-à-vis de la Chine pour préserver l’unité des Européens. Ces personnalités qui fondent leur légitimité sur une certaine compétence et le libre-échange vont contribuer au renforcement du protectionnisme.

Mario Draghi n’est-il pas plus lucide qu’Emmanuel Macron en matière de politiques européennes ? Si Mario Draghi prenait la tête de la Commission, qu'est-ce que cela impliquerait sur l'avenir et sur la dynamique politique de l'Union européenne ?

Florent Parmentier : L'Italie a souvent envoyé des personnalités de premier plan dans les institutions européennes, que l'on pense à Romano Prodi (ancien Président de la Commission européenne), Mario Monti ou Mario Draghi. On peut penser qu'un Mario Draghi, par son expérience, serait mieux à même de répondre à tous les défis auxquels l'UE fait face qu'Ursula von der Leyen, dont la gestion des différentes crises n'a pas fait l'unanimité. 

Pour autant, il ne faut pas oublier qu'un Président de la Commission européenne doit agir au nom de l'intérêt général, dans le cadre d'un organe collégial, marqué par l'équilibre des pouvoirs tout en étant responsable devant le Parlement. La vision politique se confronte ainsi à des limites internes autant qu'à une complexité toujours plus grande des dossiers. 

Est-ce que la réalité économique ou les politiques économiques ou monétaires de l'UE et de la BCE donnent-elles raisons à la vision de Mario Draghi ou d’Emmanuel Macron sur l’Europe ?

Don Diego De La Vega : Si Mario Draghi arrivait à la Commission, ce serait le changement dans la continuité. Ce mouvement de fonds est à l’œuvre depuis vingt ans. La BCE a récupéré le magistère pour les taux de change, pour la résolution des crises bancaires, pour le suivi des réformes structurelles des différents pays et pour le suivi budgétaire des différents pays à travers un certain nombre de chantages.

La Commission européenne va être dominée par des membres de la BCE, des personnalités de Francfort.

Il y aura toujours une veine technocratique, sans grand relief, avec toujours des propos grandiloquents sur le fédéralisme. Si l’Europe souhaitait emprunter une voie fédérale, plus de décisions politiques devraient être prises. Des contre-pouvoirs devraient être instaurés à Bruxelles de façon à avoir des leviers supplémentaires. Il faudrait envoyer à Bruxelles des responsables qui ont envie d'en découdre en matière d'Europe de la dépense, par exemple, et non pas en termes d'Europe de la monnaie.

Finalement le programme de Draghi et de Macron revient à flécher les pannes d'investissement vers leurs amis politiques. Cela ne ressemble pas à l'union de marché de capitaux. Cela s’apparente à un projet plutôt clientéliste et technocratique. Il ne s’agit pas véritablement de la grande Europe. Si vraiment le projet était de bâtir une logique de construction européenne ambitieuse et fédéraliste, Macron et Draghi parleraient aujourd'hui d'une armée européenne et de plans beaucoup plus concrets.

Mais cela ne se fera pas avec la logique de Mario Draghi. Nous allons donc assister à un changement dans la continuité. C'est la domination de l'Europe des banques sur une Europe qui aurait été éventuellement plus politique.

Il y a un match des visions et des intérêts pour l'Europe entre Emmanuel Macron et Mario Draghi. Quelles sont les deux visions de ces deux figures politiques pour l'Europe  ?

Don Diego De La Vega : Les intérêts de Mario Draghi et d’Emmanuel Macron se rejoignent. Le dirigeant français veut se débarrasser d'Ursula von der Leyen. Il a besoin de quelqu'un de mainstream pour la remplacer. Macron a fait alliance avec l'Italie et plusieurs autres pays pour essayer de pousser la candidature de l’Italien. Mario Draghi, ancien chef de la Fed, pourrait devenir le chef de la Commission européenne. Tel est l'intérêt de Macron. Mario Draghi ne rechigne pas à prendre les postes les plus élevés à chaque étape. Il y a donc une convergence d'intérêts entre Emmanuel Macron et Mario Draghi. Il y a une guerre pour les places ces deux centristes mainstream partagent les mêmes idées. Le pré rapport de Mario Draghi sur la compétitivité aurait pu être signé par Macron il y a quatre ans ou même il y a dix ans. Cela va conduire à toujours plus de solutions fédérales et de développement fédéraliste, même si en réalité les peuples n'en veulent pas. Il y aura toujours une impunité pour la BCE également. La Commission européenne n'est même plus capable de passer des accords commerciaux avec d'autres zones. Elle n'est même plus capable d'impulser quoi que ce soit puisque son budget est limité et préempté par rapport à la BCE. Tous les missiles sont à Francfort et les pacifistes sont à Bruxelles.

Ce ne serait donc pas un hasard si effectivement Draghi arrivait à la tête de la Commission mais pour y faire quoi ? Ce ne sera pas pour défendre des idées et des intérêts qui sont ceux de Macron, notamment l'union des marchés de capitaux, une idée assez dirigiste. La dernière fois que des vraies réformes structurelles ont été menées en Europe cela concernait l’Allemagne, sous Schröder. Cela s’était très mal passé. Le personnel politique européen a compris qu'il fallait parler de réformes structurelles mais ne pas vraiment les appliquer. Avec Draghi et Macron, cela s'accompagne d'un discours très protectionniste. Comme ils ne veulent pas céder sur l'euro trop cher, ils ne veulent pas dévaluer. Il ne reste plus maintenant qu'à pousser du menton contre la concurrence déloyale des Chinois.

Le rêve de ces dirigeants est de créer une sorte de super État, soit Bruxelles, soit Francfort. La question étant de savoir où est-ce que se situe le centre de cet Etat. Cela aboutirait à  une super Belgique. Il faudrait un vrai appareillage et une véritable architecture démocratique derrière. Or, ils préfèrent continuer à faire des transferts vers Bruxelles et Francfort. Ils ne veulent pas de référendums à l'échelle européenne. Ils ne veulent pas de mécanismes de contrôle véritable. Ils ne veulent pas en fait de contre-pouvoirs. Ils ne veulent pas de mécanismes de responsabilisation. Ils veulent des institutions toujours très indépendantes, plus autonomes, qui régentent un espace de plus en plus vaste, organisé effectivement comme une sorte de proto état, mais sans les contreparties démocratiques et de transparence associées. Tel est le rêve de la technocratie : avoir les avantages du pouvoir mais sans les inconvénients.

Comment les relations bilatérales entre la France et l'Italie pourraient-elles être influencées par la nomination de Mario Draghi à la tête de la Commission européenne, étant donné la position de leadership d'Emmanuel Macron en France ?

Florent Parmentier : Les relations bilatérales franco-italiennes ont connu des tensions ces dernières années, notamment au niveau du leadership. Malgré tout, le traité du Quirinal, signé le 26 novembre 2021 entre les deux pays, s'est donné pour ambition de renforcer la relation bilatérale dans divers domaines (coopération en matière d’affaires étrangères et européennes, de sécurité et de défense, de politiques migratoires, de justice, d’économie, d’innovation, de culture, de jeunesse et de société civile). Ce n'est pas conçu comme une alternative au moteur franco-allemand, mais c'est un moyen pour l'Italie de retrouver une place plus centrale dans le concert européen.

Si l'on s'attache aux gouvernements en place, Giorgia Meloni et Emmanuel Macron s'entendent très mal, mais un travail a été mené au niveau des Ministères avec beaucoup plus d'efficacité. Mario Draghi permettrait à la fois au Président Macron de pousser plus loin sa vision européenne, mais également de faciliter les relations avec les exécutifs français et italien. 

On peut donc s'attendre à ce que les relations bilatérales s'améliorent dans ces conditions.  

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