Emmanuel Macron / Marine Le Pen : le vrai faux clivage politique qui n’expliquait rien <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Emmanuel Macron posent avant le début d'un débat télévisé le 3 mai 2017 dans le cadre de l'élection présidentielle.
Marine Le Pen et Emmanuel Macron posent avant le début d'un débat télévisé le 3 mai 2017 dans le cadre de l'élection présidentielle.
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Imposture intellectuelle

Affirmer qu’il y aurait d’un côté des tenants d’une vision pro européenne, ouverte sur le monde et progressiste et de l’autre une vision souverainiste et « conservatrice » ne reflète que tellement imparfaitement la manière dont se structurent les débats politiques français que ce clivage en devient faux.

Joseph-Macé Scaron

Joseph Macé-Scaron

Joseph Macé-Scaron est consultant et écrivain. Ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine et de Marianne, il est, notamment, l'auteur de La surprise du chef (2021) et Eloge du libéralisme (2020), aux éditions de L'Observatoire. 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : La présidente du Rassemblement National était en campagne ce jeudi au contact des Français tandis que le président de la République achevait son déplacement dans le Lot. Emmanuel Macron a effectué une visite de deux jours dans le département du Lot. Marine Le Pen s'est quant à elle rendue ce jeudi à Saint-Chamond dans la Loire. Emmanuel Macron, qui désire plus que tout se retrouver au second tour face à Marine Le Pen, n’a de cesse de parler d’un clivage entre « nationalistes » (souverainistes, populistes) et « progressistes » (européens). Si ce clivage peut effectivement exister, n’est-il pas dangereux démocratiquement de réduire le débat à cette opposition binaire ? Cela ne revient-il pas à nier qu’il existe d’infinies nuances possibles à l’intérieur même de chaque camp ?

Maxime Tandonnet : Le 1er novembre 2018, le président Macron annonçait la couleur en se présentant comme un bouclier contre « la lèpre nationaliste ». La scène des présidentielles qui se prépare est celle d’un duel à grand spectacle entre le « héros » progressiste et « l’épouvantail » populiste. Tout va dans ce sens. Les escarmouches entre M. Darmanin, M. Dupond-Moretti et Mme le Pen visent de toute évidence à conforter cette dernière dans son rôle d’opposante attitrée. Les provocations élyséennes tendent à attiser les haines et encourager le vote lepéniste, par exemple les paroles de repentance exacerbée sur la culpabilité de la France. Les régionales de PACA illustrent cette stratégie : formation d’une liste commune LR et LREM contre le RN. L’objectif est d’anéantir toute forme de troisième voie entre macronistes et lepénistes. Il repose sur le pari d’un second tour des présidentielles de 2022 qui débouchera sur la victoire du supposé « bien » contre le « mal ». Tout ceci revient à étrangler la démocratie en privant la nation de tout autre choix.

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Emmanuel Macron pourra-t-il survivre à une éventuelle accumulation de sondages le donnant en grand danger face à Marine Le Pen ?

Joseph Macé-Scaron : Passons sur cette présentation simplificatrice, caricaturale, de ce que devrait être un débat d’idées. Passons sur cette logique binaire, cette « malédiction du chiffre deux » comme le dit Finkielkraut, logique qui veut faire marcher les citoyens au pas « une-deux, une-deux ». Et rappelons que ce clivage est un tissu idéologique usé. Cette astuce réthorique a trop servi durant les dernières élections européennes faisant passer du coup les enjeux européens à la trappe. (Nous en payons aujourd’hui les conséquences). Ce clivage est non seulement débilitant mais aussi discriminant puisqu’il ne s’agit que de déligitimer l’Autre quand il veut s’exprimer dans l’espace public en imaginant le présenter sous un jour infamant. 

Si on peut avoir effectivement sur la scène politique une impression de « populistes » contre « progressistes », cela reflète-t-il vraiment l’opinion du peuple ? Les Français ont-ils définitivement laissé tomber le clivage gauche-droite ?

Maxime Tandonnet : L’impression qui domine est celle d’un immense désarroi des Français, mêlé à une indifférence et un scepticisme croissant envers la chose publique. Un sondage pour Marianne en février 2020 estimait à 80% la part des Français refusant un nouveau duel Macron le Pen. Cependant, depuis quatre ans, les sondages donnent ces deux personnalités largement en tête d’un premier tour des présidentielles. Ce gel de la vie politique française est sans précédent. Il est le fruit d’une formidable manipulation. D’une part l’occupant de l’Elysée accapare quotidiennement l’actualité dans sa vertigineuse boulimie de communication. Face à lui Mme le Pen bénéficie d’une couverture télé/radio digne d’un chef de l’Etat. Selon une enquête « projet Arcadie » de 2018 à 2020 sur l’exposition médiatique des parlementaires, son temps de parole médiatique (197 heures) pulvérise celui de tous ses adversaires. Aucun député LR n’apparaît dans les dix premiers... Le manichéisme – bien progressiste contre mal populiste – s’incarnant dans deux personnalités surmédiatisées étouffe le débat démocratique sur les grands sujets de préoccupation des Français : l’explosion  vertigineuse du chômage, de la pauvreté, de l’insécurité tout comme l’effarant déclin du niveau scolaire. Pour l’instant le pays est comme écrasé par cette logique infernale.

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Macron, VRP du RN ?

Joseph Macé-Scaron : Le nationalisme est la doctrine qui affirme la prééminence de la nation et le progressisme défend le principe de réformes sociales avancées. Si les deux notions ne se recouvrent pas, en quoi sont elles antagonistes? Allez expliquer cela aux Écossais du SNP...Les Français quant à eux recherchent avec une lanterne le progressisme d’Emmanuel Macron. Où sont les réformes sociales qui s’inspireraient de cette doctrine? Il n’y en a pas. Voilà pourquoi à tout prendre, le clivage gauche-droite demeure et on le verra bien toujours aussi présent dans le paysage politique avec le résultat des régionales. 

Depuis quelques années et avec la crise sanitaire, les discours semblent converger sur de nombreux sujets (made in France, le soutien à l’économie, l’islamisme, l’immigration, l’insécurité) Sur l’islamisme, on a même vu Gérald Darmanin accuser Marine Le Pen de « mollesse ». Et sur les questions sociétales type PMA, il n’y a pas clivage clair entre RN et LREM. Quand Emmanuel Macron invoque ce clivage progressistes/nationalistes, n’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie ou alors une incapacité à déterminer ce qui le sépare vraiment de Marine Le Pen ?

Maxime Tandonnet : La fuite dans un double culte de la personnalité et la caricature idéologique (progressisme contre populisme) réduit à néant le débat d’idées sur ces sujets. Les questions de fond n’intéressent plus personne dans une atmosphère d’hystérie et de matraquage permanent. D’ailleurs, sur l’Europe et sur les sujets économique et sociétaux la course de Mme le Pen à la respectabilité a eu pour effet de neutraliser son discours. Quant à la « PMA sans père », le RN semble rallié au positionnement dit progressiste. Il n’est même plus possible de reprocher à ce parti sa démagogie et son laxisme dépensier quand la gestion macronienne du pays débouche sur un déficit public et une dette de 10% et de 120% du PIB ! Le macronisme et le lepénisme se ressemblent par bien des aspects, en particulier l’exacerbation de l’ego narcissique et le goût outrancier des provocations destinées à capter l’attention médiatique. Chez l’un comme chez l’autre, la sublimation du « chef », se traduit par le mépris et la négation du monde des réalités. Leur affrontement mortel, dans un climat d’indifférence et d’anesthésie de l’opinion, est l’une des plus grandes impostures de l’histoire politique récente. Nous sommes face à une question dramatique : le pays conserve-t-il une capacité de rébellion face à ce naufrage dans la médiocrité stérile ou bien a-t-il définitivement baissé les bras ?

Joseph Macé-Scaron : Les deux rivaux sur lesquels on nous oblige à nous prononcer sont moins dans le duel que dans le duo. Emmanuel Macron partage avec Marine Le Pen le même souci : celui de rejouer indéfiniment la partition identique. Leur France d’après ressemble furieusement à la France d’hier. Il est clair que, pour eux, la pandémie était une parenthèse. Or, cela ne l’était pas pour des millions de nos concitoyens. Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont contre, tout-contre tels deux vieux danseurs de tango...  

Joseph Macé-Scaron vient de publier "La surprise du chef, Présidentielle 2022 : tout est possible..." aux éditions de l'Observatoire

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