Emmanuel Macron, l’homme qui aimait "prendre son risque" politique sans toujours mesurer ceux qu’il fait courir à la France <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron est prêt à dissoudre l'Assemblée nationale pour provoquer de nouvelles élections législatives si les débats sur la réforme des retraites au Parlement n'aboutissent pas et en cas de motion de censure.
Emmanuel Macron est prêt à dissoudre l'Assemblée nationale pour provoquer de nouvelles élections législatives si les débats sur la réforme des retraites au Parlement n'aboutissent pas et en cas de motion de censure.
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Calendrier des réformes

Emmanuel Macron a réuni les responsables de la majorité lors d’un dîner de travail sur la réforme des retraites, le mercredi 28 septembre. En cas de motion de censure, le chef de l’Etat a confirmé son choix de dissoudre l’Assemblée nationale. En jouant la carte du rapport de force, ne risque-t-il pas de contribuer au pourrissement du climat politique ?

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Face à l’idée d’une potentielle motion de censure, Emmanuel Macron a déclaré en privé que si celle-ci passait, il dissoudrait l’Assemblée nationale “tout de suite", une façon de mettre la pression sur les oppositions. À quel point jouer la carte du rapport de force risque-t-il de contribuer au pourrissement du climat politique ?

Benjamin Morel : D’abord, il me semble important de relativiser la portée de cette annonce. Sous la Vem République, une seule motion de censure a été adoptée, celle qui a conduit à la chute du gouvernement Pompidou. Elle a été immédiatement suivie d’une dissolution. Une motion de censure dans la situation actuelle induirait forcément que l’acceptation tacite par les oppositions d’un gouvernement minoritaire sous-contrôle a pris fin, et que donc la capacité d’un nouveau gouvernement à tenir son rôle serait pour le moins obéré. Par ailleurs, il semble évident qu’aucune majorité d’union entre les oppositions ne peut se dessiner. Aussi, il n’est douteux pour personne qu’une motion de censure adoptée implique une dissolution. Il faut noter que cette motion de censure est très improbable, puisqu’il faudrait pour la voter une majorité absolue des membres de l’Assemblée ; soit le vote d’un même texte de défiance par LR, la NUPES et le RN. Évidemment, outre qu’ils n’ont pas envie de mélanger leurs voix, entre LR qui trouvera que la réforme ne va pas assez loin, et la NUPES qu’elle est antisociale, on voit mal de motion de synthèse. En bref, Emmanuel Macron a appris aux parlementaires ce qu’ils savaient déjà à propos d’une situation qui demeure aujourd’hui très improbable.

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Cela étant dit, pourquoi dès lors l’avoir fait ? C’est sans doute pour donner quelques sueurs froides à sa majorité, mais les députés Ensemble ne sont pas plus naïfs que les autres. C’est peut-être et surtout à destination des journalistes qui ont dès lors tourné en boucle sur la détermination d’Emmanuel Macron, pour la condamner ou la louer. Emmanuel Macron a parfaitement compris le fonctionnement des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux. Il connaît le degré de provocation qui lui permet d’apparaître comme un réformateur sans peur sans prendre en réalité de vrais risques parlementaires. Le message est passé. Il sera réformateur jusqu’au bout, contre vents et marées… même si la marée est une vaguelette et que ses fanfaronnades n’empêchent de dormir ni Jean-Luc Mélenchon, ni Olivier Marleix ni Marine Le Pen.

Emmanuel Macron semble faire le pari qu’aucune opposition ne tient vraiment la route. Dans quelle mesure a-t-il raison ou tort (sur le plan des partis et celui de la population) ? 

Si dissolution il devait y avoir elle ne serait pas forcément à l’avantage de l’exécutif, et ce pour plusieurs raisons. La première est que le phénomène de tripolarisation et de non-reports des votes sur le centre qui a eu lieu aux dernières législatives, et qui a surpris nombre de commentateurs, n’a aucune raison de ne pas se reproduire. Le RN a très, très bien géré son entrée à l’Assemblée. Le second est qu’Ensemble a peu de réserves de voix dans l’abstention, alors que le RN notamment, peut compter sur une forte armée de réserve. Le vote NUPES, très concentré géographiquement, rend par ailleurs très difficile la conquête de circonscription de gauche. Enfin, la dernière et principale raison, est liée au fait que, si dissolution il devait y avoir, celle-ci tournerait probablement au référendum sur la réforme des retraites. Or les enquêtes montrent une défiance très forte vis-à-vis de celle-ci sur laquelle surferait sans aucun doute le RN et la NUPES. LR pourrait de son côté parier sur un ralliement de l’électorat de droite peu friand de la méthode et des tâtonnements de l’exécutif et effrayé par le chaos s’instaurant dans le pays… Cela également, Emmanuel Macron en est conscient. Il joue avec la dissolution aujourd’hui comme avec le référendum hier ; sachant très bien que la première vertu du fait de les évoquer est de mieux les faire exister politiquement sans les déclencher dans la pratique. 

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Dans quelle mesure le risque politique de ce rapport de force est-il plus important que celui de la dissolution elle-même ?

Le risque est important, car si l’opinion à l’impression que l’opposition parlementaire est incapable de s’opposer à un projet de loi très impopulaire alors même qu’il n’y a pas de majorité absolue au Parlement et que la campagne présidentielle n’a pas permis d’aborder les grands sujets pour cause de guerre en Ukraine, elle risque de considérer que la seule voie d’action possible est la rue, voir la subversion. On n’est alors pas à l’abri d’une rupture de légitimité qui conduirait à des épisodes aussi, voire plus violents, que les manifestations des gilets jaunes. À l’époque, l’instabilité politique n’était pas devenue une instabilité parlementaire, car la majorité était pléthorique et qu’il n’existait pas de contre-pouvoir au sein de la majorité parlementaire. Il n’en va pas de même aujourd’hui. Face à la colère de la rue, il ne deviendrait alors plus improbable que les oppositions se retrouvent sur une motion de censure, voire que certaines parties de la majorité (le Modem, le centre gauche de Renaissance) rompent les amarres avec le gouvernement pour tenter de sauver leur siège et leur tête. La dissolution s’imposerait alors au chef de l’État qui en sortirait fondamentalement fragilisé. Le parallèle avec 68 ne pourrait être que malheureux, car il ne pourrait pas compter sur une majorité silencieuse.

Emmanuel Macron aime « prendre son risque » et l’assumer, mais a-t-il conscience des risques qu’il fait prendre au pays par les décisions qu’il prend ?

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C’est difficile de répondre à cette question, car la réponse relève plus de la psychologie que de la science politique. Il est certain qu’Emmanuel Macron a jusqu’à présent réussi à se sortir de toutes les mauvaises passes dans lesquelles il s’était lui-même fourré ; la crise des Gilets jaunes en est une. En même temps, on pourrait penser qu’il est en mesure d’apprendre de ses erreurs. Or, il ne semble pas outre mesure inquiet de voir réémerger les crises connues. Loin de construire un second mandat apaisé, il semble se complaire dans le rôle du président de crise, quitte à lui-même les provoquer. Je ne suis pas sûr que ce que nous percevons comme un risque pour le pays soit perçu comme un problème pour l’Élysée, c’est une méthode de gouvernement devenue en réalité la norme depuis 2018.

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