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Emmanuel Macron France diplomatie international Turquie Biélorussie
Emmanuel Macron France diplomatie international Turquie Biélorussie
©LUDOVIC MARIN / AFP

La France a-t-elle les moyens de ses ambitions (à lui)...?

Après de mauvaises sénatoriales et avec des régionales et départementales catastrophiques en vue, quelle stratégie peut encore sauver Emmanuel Macron... sans affaiblir plus encore la démocratie française ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Après de mauvaises sénatoriales ainsi que des régionales et départementales catastrophiques, Emmanuel Macron pourrait être tenté d’injecter une dose de proportionnelle pour construire une coalition. Cette solution lui permettra-t-elle de pallier un manque d’idéologie de son parti ?

Christophe Boutin : Effectivement, le moins que l’on puisse dire est qu’Emmanuel Macron n'a pour l'instant pas réussi à constituer derrière lui un parti cohérent. Écartons ici la légende urbaine selon laquelle son échec tiendrait à ce qu’en 2017 il aurait attiré à lui et fait élire des gens qui, jusque-là, n'avaient pas fait de politique et n’auraient pas compris le fonctionnement nos institutions. Une fois essuyés les plâtres, au bout de six mois, n'importe qui est capable de saisir à peu près correctement le fonctionnement de l'Assemblée nationale ou de toute autre institution. Le problème vient sans doute de la trop grande adaptation des élus macroniens – dont beaucoup étaient en fait des ralliés venus d’autres partis – au pire de la politique moderne. Avec, au choix, affairisme, népotisme, arrogance envers leurs opposants comme envers ce peuple dont ils étaient censés être plus proches, oubli des règles démocratiques les plus évidentes, et jusqu’à cet arrivisme qui les conduit volontiers maintenant à jouer leur carte en se séparant du parti qui les a fait élire – tout en restant prudemment dans la majorité de gouvernement.

La faiblesse idéologique du macronisme, que vous signalez, explique aussi cette facilité de fragmentation. Ce progressisme qui doit beaucoup au saint-simonisme, comme l'analysait Frédéric Rouvillois dont vous avez présenté les bonnes pages de Liquidation, est assez divers pour séduire autant à gauche qu'à droite : à gauche par les réformes sociétales et le laxisme judiciaire envers les minorités visibles de la République ; à droite par des concessions économiques à une super classe financière, et en faisant passer le matraquage d’une France périphérique laissée pour compte pour une opération de maintien de l'ordre. Mais derrière ces jeux politiciens, il n’y a d’autre idéologie que celle de la fuite en avant dans la dissolution de ce qui a fait notre monde.

Devant l'émiettement de son parti, qui ne cesse de se diviser et de produire des petits groupes, on en arrive ainsi, à l'Assemblée nationale, à une situation de fragmentation qui n'est pas sans rappeler la IVe République. Dans ces conditions, on comprend qu'Emmanuel Macron pense à injecter une dose de proportionnelle. Elle ne porterait en effet que peu de coups à un parti présidentiel déjà fragmenté, mais pourrait fragiliser des partis qui font encore, à eux seuls, sans alliés, des scores importants. Les partis qui ne sont que des coalitions d’intérêts éclateraient alors – mais ils le sont déjà, il n’est que de jeter un oeil sur les guerres intestines de la droite française -, et tous les petits chefs ouvriraient leur propre boutique – et, là encore, derrière la façade, sous des formes diverses, c’est déjà le cas pour contrôler les sommes versées par l’État.

En 2020 en France, il n’est plus nécessaire pour gouverner d’avoir derrière soi une formation groupée autour d'une idéologie, mais simplement de disposer d'un nombre de voix suffisants pour faire passer ses projets. Et ce sera en fait l’effet d’entraînement de l’élection présidentielle - dont on sait que son résultat peut dépendre plus d’un vote « contre » que d'un vote « pour », en ajoutant l'aléa de l'abstention - qui déterminera la forme de la coalition qui, ralliée au nouveau chef de l’État, validera ses choix pendant cinq années.

L’émiettement continu des partis où LREM et Macron seraient les derniers des émiettés ne constitue pas un risque qui pourrait déstabiliser le système français et se retourner contre l’objectif d’une meilleure représentation ?

Tout dépend bien sûr de ce que vous appelez une « meilleure représentation ». Rappelons les données classiques du problème : le scrutin proportionnel permet d'obtenir une représentation qui respecte mieux les différents aspects du spectre politique, avec le risque de se trouver dans l'impossibilité de mener une politique sur le long terme avec des coalitions qui se font et se défont en permanence. En face, le mode de scrutin uninominal, réduisant la diversité politique des représentants en accentuant les majorités, permettrait, et ce plus encore depuis l’inversion du calendrier qui fait que l'élection présidentielle précède les législatives - qui donnent alors systématiquement une majorité au président nouvellement élu -, de dégager une majorité de gouvernement à même de durer pendant un quinquennat.

Mais il est faux de dire que l’introduction en 2020 de la proportionnelle – ou plus vraisemblablement d’une « dose » de proportionnelle - nous renverrait à ce que nous avons connu (largement mythifié) sous la IVe république, et ce pour la raison bien simple… que nous sommes sous la V! Autrement dit, qu’il faudra tenir compte du rôle particulier du Président et de l'effacement du parlement.

À partir du moment où le chef de l'État a les pouvoirs politiques que lui confère la constitution de 1958, l’effet de la fragmentation n’est en effet sans doute que très temporaire et ne menace pas la stabilité globale. Sur le plan individuel d’abord, les mesures de rétorsion dont il dispose sont assez importantes pour que l'on hésite à deux fois avant de l’affronter : qui a envie de se retrouver devant les juges pour une bête affaire de costume quand ceux qui restent dans la coalition sont si généreusement récompensés ?

Sur le plan collectif ensuite, la vraie question est de savoir si l'opposition se risque à renverser la table, c'est-à-dire à voter une motion de censure contre le gouvernement, et, éventuellement contre les gouvernements successifs, de manière à déstabiliser le Président et à le pousser, soit au départ, soit à être réduit à un rôle secondaire. Pour autant, chacun se souvient de ce qui suivit la chute du gouvernement Pompidou succombant à une motion de censure : la dissolution de l’Assemblée nationale. Or, on a cru remarquer, chez nombre de parlementaires, même d'opposition, et même « farouchement » d’opposition, comme un désir de ne pas aller importuner trop souvent leurs électeurs. Non qu'ils n'aiment pas ce contact direct, dont il ne cessent de nous dire combien il leur apporte, combien il les vivifie, mais il semble que sa répétition quinquennale leur soit tout à fait suffisante.

Vous comprenez que dans ce cadre on puisse relativiser la « déstabilisation » liée à l’émiettement partisan, que ce dernier résulte ou non de la proportionnelle.

Liban, Turquie, Biélorussie, Emmanuel Macron monte au créneau sur toutes les crises internationales. La France a-t-elle les moyens de ses ambitions et d’être une sorte de gendarme du monde ?

Voilà une question délicate. « Gendarme du monde », on répondrait volontiers non. D’abord parce que de nos jours un tel « gendarme » n'agit plus seul, mais en liaison avec l'ONU, sous mandat onusien, et souvent dans une coalition. Ensuite parce qu’il faut en avoir les moyens et que l’on peut se demander si la France les a. Si elle a les moyens militaires, quand le chef d'état-major des armées, avec une franchise certaine et une certaine liberté de ton, rappelle régulièrement aux parlementaires ses réserves sur les moyens dont il dispose. Si elle a les moyens diplomatiques, quand notre soft power est critiqué et notre légitimité contestée.

Pour autant, rien ne serait plus ridicule que de se complaire dans le misérabilisme et la repentance, et on aurait envie de dire que la France a encore les moyens de jouer un grand rôle. Membre du conseil de sécurité de l'ONU, elle a participé et participe encore à de nombreuses missions de maintien de la paix sous couvert onusien, et joue pleinement son rôle. Sur le plan militaire ensuite, elle a une armée de qualité, aux hommes profondément investis dans leur mission et dans le service de l'État. Sur le plan diplomatique enfin, la qualité est tout aussi présente, avec une administration héritière d'une longue tradition, et à même de faire sur les problèmes internationaux des analyses tout à fait pertinentes.

Mais le problème, et il est tout entier contenu dans votre question, vient la place particulière tenue par les politiques en général, et par le chef d'État en particulier, dans la politique étrangère de la France. On le sait, ses aspects diplomatiques et militaires relèveraient de ce que certains ont nommé le « domaine réservé » du chef de l'État. Ce peut être pour le mieux : on se souvient des analyses gaulliennes faites lors de ses conférences de presse. Mais force est de reconnaître que nous en sommes loin.

Les expertises de nos diplomates ou de nos militaires sont mises à mal par des choix mais aussi simplement par une manière d’intervenir. Fussent-ils au plus bas politiquement ou économiquement que les dirigeants des autres nations n’aiment guère à se faire tancer comme des gamins… Ils le supportent mal lorsque cela vient de l'État militairement le plus puissant du globe, alors à plus forte raison lorsqu'il s'agit des rodomontades de quelqu’un qui est incapable d'assurer la sécurité de ses concitoyens sur son territoire national. Et les ingérences par trop affirmées dans tel ou tel pays restent profondément choquantes pour nombre d’autres.

Si l’on prend les trois exemples que vous évoquez, on trouve en fait trois approches différentes. En Biélorussie, Emmanuel Macron, nous annonçant que son président doit partir, sans que l'on comprenne bien au nom de quoi, fait une bien inutile ingérence. Il n’est pas sans rappeler un Laurent Fabius déclarant que le Syrien Assad « ne méritait pas d'être sur terre » et allait très bientôt quitter le pouvoir. On sait ce qu’il en est advenu. Face à une situation complexe, la réponse est rarement dans la distribution des bons et mauvais points ou l’anathémisation de telle ou telle force.

Emmanuel Macron souhaite ensuite intervenir au Liban, ce qui est effectivement souhaitable au vu de la situation de l’État libanais, et légitime au regard des liens historiques d’amitié que la France entretient avec ce pays qui souffre. Notre chef de l'État n'a ensuite pas tort lorsqu'il met en cause la qualité d’une partie au moins de la classe politique libanaise – ce que fait aussi la rue libanaise. Mais on peut lui reprocher d’inutiles déclarations publiques stigmatisant cette classe politique, fort peu « diplomatiques », et ce d’autant plus quand, dans son propre pays, la légitimité de la classe politique et là aussi sérieusement amoindrie.

Enfin, c'est très certainement face à la Turquie qu’Emmanuel Macron est le plus légitime, en rappelant de manière très juste les faiblesses de l'Union européenne à l’égard du régime d'Erdogan, quand celui-ci, en dehors du droit international, accumule provocation sur provocation – et se montre le plus outrancier dans ses déclarations. Reste à savoir ce qu’en pense le partenaire privilégié de notre chef de l’État, l'Allemagne d’Angela Merkel qui, sur le dossier, se montre d’une discrétion exemplaire.

Ultime question, celle de la cause de cette agitation internationale de notre Président. Pense-t-il vraiment, acteur perdu dans son rêve, que sa parole personnelle a un poids, ou tente-t-il, politicien cynique, de cueillir à l’international les lauriers qui lui manquent sur la scène nationale ? Il devrait en tout cas méditer les choix de ses prédécesseurs : abattre le régime de Kadhafi n’a pas profité - en voix - à Nicolas Sarkozy ; bloquer l’offensive djihadiste au Mali n’a rien rapporté - comme soutien politique - à François Hollande. C’est que ce n’est pas Beyrouth que les Français veulent voir reconstruire, c’est leur pays ; et que ce ne sont pas les manifestations de Minsk qui les inquiètent, mais celles de Seine Saint-Denis. « La Corrèze avant le Zambèze »…

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