Emmanuel Macron en meeting : derrière le show ultra produit, l’inquiétude du candidat<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de son meeting de campagne à la Paris La Défense Arena à Nanterre, le 2 avril 2022.
Emmanuel Macron lors de son meeting de campagne à la Paris La Défense Arena à Nanterre, le 2 avril 2022.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

LREM

Emmanuel Macron a tenu son seul et unique meeting de campagne sur la scène de La Défense Arena à Nanterre ce samedi. A sept jours du vote et alors que l'écart entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen n'a jamais été aussi faible dans les sondages pour le second tour, ce rendez-vous va-t-il permettre au président-candidat de remobiliser son électorat et de convaincre les Français ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Saveria Rojek

Saveria Rojek

Saveria Rojek est journaliste et éditorialiste politique à France Info. Elle est l'autrice de plusieurs ouvrages, dont Impitoyable sur les élections municipales à Paris. Son prochain livre, Résurrection - Les coulisses d'une reconquête (éditions Stock) sera publié le 11 mai.

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Atlantico :  Emmanuel Macron réunissait ce samedi à Nanterre ses partisans pour son premier (et probablement unique) meeting de campagne. A huit jours du premier tour et alors que l'écart entre lui et Marine Le Pen s'est largement réduit ses dernières semaines, ce rendez-vous était-il important pour remobiliser son électorat et ses sympathisants ? Ce meeting spectaculaire peut-il compenser une campagne jusqu'ici mollassonne ?

Jean Petaux : Tout le monde connait la « théorie » du « verre à moitié plein ou à moitié vide ». On peut dire que « l’écart s’est largement réduit ces dernières semaines » entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, mais ce n’est pas parce que les médias répètent cela comme un mantra depuis une semaine que cela vaut valeur de vérité. 

Sans rentrer dans trop de détails pour ne faire fuir les lecteurs d’emblée, il convient de rappeler ici la réalité de l’estimation des intentions de vote. Considérons la période allant de fin septembre 2021 à fin mars 2022. Sur ces six mois la moyenne des sondages (étude publiée par le JDD récemment) réalisée à partir des enquêtes de cinq grands instituts de sondage français donnent les résultats suivants. Emmanuel Macron, de fin septembre au 4 mars voit « sa » courbe osciller de plus ou moins 1 % autour de la barre des 25% d’intentions de vote. Ce qui correspond peu ou prou à son score du premier tour de 2017, en très légère hausse d’ailleurs. Sa stabilité est remarquable. 

Dans le même temps, Marine Le Pen voit « sa » propre courbe beaucoup plus « chahutée ». Au tout début de la période considérée (23 septembre 2021) elle est à 20% (et Macron à 24%) des intentions de vote, mais très vite elle descend entre 16 et 17%au point de se faire « tutoyer » par celle de Zemmour fin octobre pour remonter à 19% le 21 novembre et redécrocher brutalement le 9 décembre, moment où la courbe Valérie Pécresse la croise à la hausse, juste après la désignation de cette dernière par le congrès de LR. Au point que j’ai été de ceux qui ont écrit que la désignation de Pécresse par « Les Républicains » était une mauvaise nouvelle pour Macron. Marine Le Pen va continuer de descendre pour atteindre son « plus bas » (15,5%) le 31 décembre. A partir de cette date elle amorce une lente, chaotique au jour-le-jour, mais régulière remontée qui va atteindre 17,5% sur cette moyenne avant de s’arrêter brutalement le 4 mars avec les premiers effets du « flag effect » consécutivement à l’agression de l’Ukraine par la Russie. Elle chute mais finalement celle-ci est bien moindre que celle de Zemmour. Le 9 mars encore, trois courbes convergent et restent très voisines autour de 12,5% pendant une semaine, jusqu’au 16 mars : Zemmour en descente régulière depuis un « plateau » de 15% atteint entre le 22 et le 28 février ; Pécresse, en dégringolade constante depuis le 19 janvier et Mélenchon en faible tendance haussière (il dépasse la barre des 10% de moyenne le 16 février). La conséquence de la crise ukrainienne va provoquer une augmentation spectaculaire des intentions de vote en faveur de Macron en quelques jours. La moyenne des cinq grands instituts de sondages le place à 25,5% des intentions de vote le 4 mars, elle passe à 30% le 9 mars, grimpe à 31,5% le 12 mars et se tasse sur la « ligne des 30 » du 14 au 20 mars pour s’établir autour de 28% depuis le 21 mars, sans changement depuis. Marine Le Pen, dans le même temps, entre le 4 mars et la fin du mois, est parvenue à enrayer sa petite dépression liée sans doute à son alignement « poutinien » pour remonter et atteindre le seuil des 20% le 31 mars. Ce qui la place elle aussi, un peu en-dessous de son score « réel » du premier tour de 2017. 

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En tout état de cause, si on peut dire que l’écart « se ressert », on ne doit surtout pas dire qu’il « s’est largement réduit ». L’écart constaté fin septembre entre les deux candidats en tête de la course du premier tour était de 4 points il y a six mois, il est supérieur à 7 aujourd’hui, même s’il atteint jusqu’à 12 points il y a presque trois semaines. On constate ici combien la présentation des chiffres est un exercice compliqué… « Les statistiques sont des êtres sensibles, pour peu qu’on les torture un peu, on leur fait avouer exactement ce que l’on veut » disait Alfred Sauvy, qui savait de quoi il parlait. Transmis sans frais aux « quantitativistes » en sciences sociales qui dissimulent trop souvent leur idéologie derrière la feuille de vigne que constitue un tableur Excel… 

Mais il ressort du meeting d’Emmanuel Macron aujourd’hui que l’équipe du Président sortant, et le principal intéressé, craignent comme le « lait sur le feu » un processus de « démobilisation » qui tiendrait essentiellement au fait que les électeurs macronistes « pêcheraient » par excès de confiance et considéreraient que « la messe est dite » et que le premier tour, voire que le résultat du second tour, sont « joués ». Au terme de près de deux heures d’un « show » qu’il faut bien qualifier d’exceptionnel aussi bien dans « le contenant » que dans « le contenu », dans le « signifiant » quand dans le « signifié », Emmanuel Macron, a mis « les points sur les i » si tant est que cela était nécessaire : «Ce qui parait improbable peut très bien advenir… Regardez le Brexit… Je n’écoute ni les Cassandre ni ceux qui disent que c’est gagné. Je veux la mobilisation générale et la mobilisation de l’action ». Pour finir par un emprunt à peine caché au « Hollande de 2017 » (qu’il connait fort bien alors puisqu’il est dans l’équipe rapprochée du candidat socialiste) : « La mobilisation c’est maintenant, le combat c’est maintenant ». 

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C’était là une des principales fonctions affectées à cet énorme meeting (entre 25.000 et 30.000 personnes dans la plus grande salle couverte d’Europe) : électriser les supporters et les militants, les galvaniser pour qu’ils se donnent à fond avant le 10 avril prochain, écrire une page lumineuse de la « communauté macroniste » où rien n’a manqué : un show d’avant-match digne de la finale du Superbowl ; un « chauffeur de salle » très pro ; une entrée du boxeur (seul) dans « l’Arèn(a) » digne de Stallone dans les « Rocky » ; une scène au centre des tribunes où l’acteur sautait d’un pupitre à un autre jonglant avec les prompteurs et les « impros » avec une maitrise et un art consommé, le tout ponctué de clips, des larmes du public, d’une émotion non feinte du candidat parlant de la France et de la bataille de Patay, le 18 juin 1429… On aurait aimé interroger le public présent sur les détails de cette victoire française sur les Anglais, revanche de la « déculottée » d’Azincourt en 1415. D’aucuns mettent d’ailleurs la victoire de Patay, survenue après celle de la victoire d’Orléans (levée du siège anglais de la ville, 8 mai 1429), au crédit de Jeanne d’Arc, alors qu’elle n’a pas pris part au combat. Emmanuel Macron n’a commis aucune faute historique d’ailleurs en ne commettant pas cette erreur dans l’évocation de la bataille de Patay. Le personnage de Jeanne semble, quand même, inspirer le « candidat » Macron. Souvenons-nous que le 8 mai 2016, alors qu’il n’était pas encore candidat, il se rendit dans le chef-lieu du Loiret pour honorer la mémoire de la « Pucelle d’Orléans ». 

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Le samedi 2 avril 2022, il est clair qu’Emmanuel Macron est monté sur le ring électoral, avec une intensité, une volonté manifeste de « cogner » sans jamais citer une seule ou un seul de ses adversaires, mais en ciblant ses flèches sur trois d’entre eux : Le Pen, Mélenchon et Zemmour.

Saveria Rojek : L'enjeu de ce meeting - ce ne sera peut-être pas le seul, si d'aventure Emmanuel Macron est qualifié pour le second tour - est tout d'abord une démonstration de force. Jusqu'à présent, on a beaucoup reproché à Emmanuel Macron de ne pas être entré dans la campagne, de ne pas descendre dans l'arène, de refuser le débat. D'où le choix de cette salle de 35.000 places, la plus grande salle de concerts d'Europe : aucun politique n'a réuni autant de monde dans une salle en intérieur. On y trouvait des parlementaires, le gouvernement, des ralliements de droite, de gauche... J'ai trouvé cet aspect de démonstration de force réussi, avec ce côté "convention à l'américaine". Quand on regarde, on y voyait un côté "gigantisme organisationnel". 

Le deuxième enjeu était de redonner du souffle à une campagne un peu atone. D'abord parce qu'elle est pétrifiée par la guerre en Ukraine, qui écrase le reste de l'actualité, qui empêche la majorité des autres candidats d'attaquer frontalement le chef de l'Etat, qui est aussi chef des armées, dans ce rôle-là. Par ailleurs, Emmanuel Macron est entré en campagne plus tard qu'il l'imaginait. Il a donc fait à peine quelques déplacements, sans beaucoup de spontanéité. Mais est-ce efficace ? Ce type de grand rassemblement ne convainc que les convaincus. Emmanuel Macron a parlé à sa base. A-t-il élargi son socle ? Je n'en suis pas tout à fait sûre. Ce qui est sûr, c'est qu'il fallait rassurer toute la partie gauche de l'électorat, qui était plutôt déroutée depuis l'annonce du programme, perçu par cet électorat comme droitier (recul de l'âge de la retraite, etc.). Je pense que la première partie du discours était de rassurer cet électorat, d'où l'annonce de la prime de pouvoir d'achat, la lutte contre la stigmatisation des quartiers, l'égalité femmes-hommes, le minimum retraite... Il est allé, pour rassurer ces gens de gauche, jusqu'à utiliser le slogan d'Olivier Besancenot "Nos vies valent plus que leurs profits". La ficelle est un peu grosse. 

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Une campagne ça se gagne, et il est entré en campagne à peine cette semaine. Il fallait qu'il y aille, qu'il descende dans l'arène. L'exercice était nécessaire. Il était aussi très attendu, pas très risqué pour un homme comme Emmanuel Macron qui aime se mettre en scène, qui aime faire de très longs discours.

Dans un long discours politique, Emmanuel Macron a d'abord dressé le bilan de son mandat avant de détailler différentes « grandes causes » d'un éventuel second quinquennat : égalité femmes-hommes, enfance, santé... Ce discours est-il à même de convaincre les hésitants, ou les abstentionnistes ?

Jean Petaux : Les sondages sont constants dans le constat suivant pour l’évaluation de son électorat. C’est le candidat pour lequel plus de 80% des personnes, disant qu’elles envisagent de voter pour lui, répondent aussi qu’elles sont certaines de le faire et d’ores et déjà sûres de leur choix. Autrement dit Emmanuel Macron dispose, par rapport à tous ses challengers, du « socle » d’électeurs le plus solide et le plus stabilisé depuis plusieurs semaines, voire mois. A l’inverse d’un Mélenchon (moins de 60% de personnes sondées « certaines » de voter pour lui) ou d’une Marine Le Pen. Emmanuel Macron dispose donc d’un faible « stock d’électeurs indécis » (« hésitants » comme vous dites très bien). Il reste que si certains « convertis », suite au meeting de ce samedi,  le font cette dernière semaine et choisissent de voter pour le Président sortant, celui-ci ne les récusera pas évidemment… 

Quant aux abstentionnistes, même si c’est politiquement incorrect (pour lui et son équipe de campagne) de le dire et de le reconnaître : il n’a guère intérêt à « agiter » le cocotier pour les faire descendre aux urnes… La raison en est toute simple : l’abstention est politiquement différenciée. Ce sont les électeurs de Le Pen et de Mélenchon qui ont le plus tendance à s’abstenir. Les « secouer » en les faisant sortir de chez eux pour qu’ils votent le plus possible dimanche prochain est certes vertueux d’un point de vue civique, c’est plutôt contre-intuitif du point de vue du « but à atteindre » pour le candidat Macron : « virer » en tête de la compétition au soir du premier tour, avec autant que faire se peut, une avance supérieure aux 2,71 % qui était celle établie au premier tour de 2017 (Macron = 24,01 % : Le Pen : 21,30 %). 

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Une autre explication peut également être avancée quant à la relativement faible « réception » du grand discours politique de Macron samedi à La Défense : il n’a pas fait vraiment l’objet d’une « couverture » maximale en direct, pour des raisons de décompte de temps de parole. Autrement dit le « grand public », la masse des électeurs, n’a pas passé son samedi après-midi scotché devant son téléviseur ou son écran d’ordinateur pour suivre intégralement le « show ». Cela limite d’autant la portée de l’audience. Mais soyons juste : jusqu’aux années 2007-2010, aucun meeting, de quelque candidat que ce soit et de quelque parti qu’il fût, n’était retransmis en direct et intégralement. Tout se limitait à la salle où se tenait la réunion publique avec, tout au plus 2 minutes dans un reportage diffusé au « 20 heures »… et encore ! A l’époque d’ailleurs, unpublic de plus de 10 à 12.000 personnes était considéré comme un énorme meeting… Il n’existait pas, tout simplement, de salle suffisamment grande pour accueillir entre 25 et 30.000 personnes et les conditions de retransmission et d’écoute ne le permettaient pas de toute manière. Même si les écrans géants, en fond de scène, existent depuis le début des années 80, leur qualité était assez médiocre, sans parler des images… 

Reste que les quatre grandes causes que vous énumérez (vous avez omis de citer la troisième : l’éducation) sont des sujets de préoccupation majeures pour les Français (après le pouvoir d’achat, thème que le candidat Macron a immédiatement abordé dans les quinze premières minutes de ses deux heures de discours, évoquant l’entrée en vigueur le 1er avril de la ristourne à la pompe à essence). Là encore le Président sortant, dans la « construction » de ses quatre grandes causes nationales, n’a rien laissé au hasard. Au risque de l’effet « catalogue » ou « vitrine de Noël » brillant de mille feux pour attirer le chaland (électeur). 

Emmanuel Macron n'a pas hésité à reprendre un slogan du Nouveau parti anticapitaliste (« notre vie vaut plus que leurs profits », en parlant du scandale Orpéa), puis à faire une allusion à François Mitterrand (« la force tranquille » qu'il vantait en 1981), tout en faisant écho au « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy. S'est-il placé déjà dans une optique de second tour, où il devra rassembler au maximum pour l'emporter ?

Jean Petaux : « Le problème avec les cons (fait dire Audiard à Lino Ventura dans « Les Tontons ») c’est que ça ose tout ». On pourrait paraphraser cette réplique cultissime en l’appliquant à Emmanuel Macron : « Le problème avec les politiques supérieurement intelligents et particulièrement doué, c’est que ça ne se censure pas ». Contrairement à la catégorie évoquée par Audiard, ce n’est d’ailleurs pas un problème dans le second cas. C’est juste un rapport particulier à leur « Ça » pour parler comme Lacan, qui peut devenir « leur problème ». 

Emmanuel Macron a effectivement emprunté avec une apparente authentique sincérité et une agilité rhétorique totalement naturelle quelques formules qui ont, dans le passé, connu leur succès. Vous citez Poutou (en fait il s’agissait de Besancenot, son prédécesseur de la LCR en 2002) ; Mitterrand, modèle 1981 ; Sarkozy, modèle 2007 et Hollande, modèle 2012 nous en avons déjà parlé… On pourrait rajouter la référence que Macron a faite à « la France unie » (Mitterrand, modèle 1988) ou encore plus fort, l’imitation de Jaurès, modèle 1903, « Discours à la jeunesse » : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel », ce qui donne chez Macron, paraphrasant Jaurès : « Nous voulons un humanisme qui part du réel pour aller à l’idéal ». 

Comme il y a eu lors de l’emballement final une suite de « Rejoignez-nous » si vous êtes « pour l’écologie, pour la réindustrialisation, pour l’Europe, etc ». on peut effectivement considérer que toutes ces références et ces appels conclusifs disposaient toutes et tous d’un sous-texte : « il faudra me soutenir au second tour face au risque, bien plus élevé cette fois-ci qu’en 2002, évidemment, ou qu’en 2017, d’une victoire présidentielle du RN ». D’autant que la tâche risque de s’avérer bien plus ardue pour Emmanuel Macron cette fois-ci qu’il y a cinq ans, s’il se retrouve en présence de Marine Le Pen. On rejouerait alors le match de 2017, lors du débat d’entre-deux-tours par exemple… Mais cela ressemblera bien plus au « débat-retour » de 1981, quand le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, retrouva face à lui son adversaire de 1974, François Mitterrand. Lors du « débat-aller » (1974), VGE a battu son concurrent à coups de « vous n’avez pas le monopole du cœur Monsieur Mitterrand » ou encore (on ne le comprendra que bien plus tard, Mitterrand, lui, l’a compris dans la seconde même) de « Prenons Clermont-Ferrand, qui est une ville que je connais bien (Giscard était maire de Chamalières, voisine de Clermont) et que vous connaissez bien vous aussi Monsieur Mitterrand ». La famille d’Anne Pingeot était installée à Clermont-Ferrand. Cette information était évidemment connue de Giscard… En 1981, celui qui gagna le débat, sans conteste,fut le battu de 1974… Dans son « 18 Brumaire » Marx écrit :«Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». Pas certains que le débat d’entre-deux-tours de la présidentielle de 2022, dans le cas de figure où il ré-opposerait Macron à Le Pen soit aussi comique, pour le premier et ses supporters, que ce qu’envisageait le philosophe allemand en 1852.

Mais au-delà de ce que vous avez raison de souligner dans votre interrogation (la prévision du second tour) , il y avait aussi tout le contexte des deux heures de discours prononcé ce samedi 2 avril lors le meeting de l’Arena. Le Président sortant, est, institutionnellement le Président de tous les Français, même s’il n’a recueilli que 43,61 % des électeurs inscrits sur les listes électorales (66,10 % des suffrages exprimés) et même si ce score, par rapport aux inscrits, est rappelons-le, tout à fait dans les « standards » des présidentielles antérieures : très légèrement supérieur à François Mitterrand en 1981 : 43,16 % et bien supérieur au score obtenu par Jacques Chirac pour sa première élection en 1995 : 39,43 %. Ce « status institutionnel » fait que le Président « candidat » se doit de respecter certaines formes. D’emblée il va interdire d’ailleurs, au début de son meeting, à ses supporters de siffler ses concurrents. J’ai le souvenir très précis que François Mitterrand lors du dernier meeting de la campagne de 1988, à Toulouse, pour sa réélection, (qui allait s’avérer être le dernier meeting électoral de toute sa vie…) avait demandé exactement la même chose à ses supporters présents. Le Président en place se doit de préserver l’avenir : la fonction présidentielle qu’il occupe au moins jusqu’à la fin du mois d’avril et les institutions tout simplement : le Parlement, la Justice, les Autorités administratives indépendantes, etc. Il en ressort une certaine propension à la recherche, sinon du consensus, à tout le moins du consensuel. Ce que confirme le slogan désormais : « Nous tous ». 

Saveria Rojek : Il a réitéré sa position centriste, ce programme de "en même temps" qu'il avait dévoilé il y a une dizaine de jours. Il a réitéré le même exercice en se positionnant à la même place sur l'échiquier politique. On rassure cette jambe gauche, on rappelle les mesures de droite... Ce que j'en retiens aussi, c'est l'idée de dramatiser la situation. Comme les sondages, ces derniers jours, se resserrent au second tour, la stratégie d'Emmanuel Macron et de son entourage est de dramatiser la situation. A tort ou à raison. Peut-être qu'en réalité ils jouent aussi un peu à se faire peur. Pour cela, ils rediabolisent Marine Le Pen. Ils l'ont trop dédiabolisée, trop adoucie, surtout avec Eric Zemmour en face. La stratégie d'Emmanuel Macron depuis le début de semaine est donc de rediaboliser Marine Le Pen, notamment avec cette expression de "tandem d'extrême droite". Cette inquiétude du camp Macron a une part de vérité dans le sens où pour la première fois Marine Le Pen va bénéficier d'un report de voix au second tour. La présence d'Eric Zemmour leur donne de facto un report de voix acquis au second tour de plus d'une dizaine de points. Ce que n'a pas forcément Emmanuel Macron. Ajoutons pour Marine Le Pen cette frange des électeurs d'extrême gauche qui, de la même manière, préfèreront choisir au second tour Marine Le Pen plutôt qu'Emmanuel Macron.

« Nous étions les seuls en 2017 à agiter le drapeau européen, nous avons été critiqués quand nous avons mis le drapeau européen sous l'Arc de triomphe. Eh bien, nous l'assumons », a lancé le président de la République. S'est-il placé dans la posture d'un « Européen de combat », face à ceux qui prônent « le grand rabougrissement » de la France ? En pleine crise ukrainienne, cette posture peut-elle être un atout pour lui ?

Jean Petaux : Votre expression « d’Européen de combat » est tout à fait pertinente en effet. Lors de la campagne des Européennes de 2019 qui ont été plutôt une réussite pour le Président en place et LREM, en dépit des faiblesses conséquentes de la tête de liste, Emmanuel Macron avait déjà cherché à jouer les « pro-Europe » contre les « anti-Europe », assimilant les premiers aux « progressistes » et les seconds aux « nationalistes ». A l’évidence il a repris, sur le thème de la grandeur de la France, cette même ligne en considérant et répétant à maintes reprises que « la France ne saurait être grande que dans l’Europe ». C’est donc en toute connaissance de cause qu’Emmanuel Macron a insisté sur le renforcement de l’Europe, citant comme exemple la résilience européenne dans la crise financière générée par la pandémie de Covid-19, l’élaboration de vaccins et la couverture vaccinale accélérée en Europe, le « don » de vaccins au reste du monde (forçant ici manifestement le trait…) ou, pour illustrer l’importance de la présidence française de l’UE ce premier semestre 2022, l’adoption de deux textes contre les GAFAM ou sur la fiscalité s’imposant aux sociétés étrangères faisant du profit en Europe, occasion d’ailleurs de retourner d’un revers appuyé le « dossier Mac Kinsey » à ses « envoyeurs ». 

L’autre raison pour laquelle Emmanuel Macron remet l’Europe sur le devant de « sa » scène et entend en faire un « cheval de bataille », c’est qu’il sait très bien que sur ce sujet Marine Le Pen est, non seulement en décalage mais aussi encore embarrassée. Même si elle s’évitera une séquence compliquée sur le sujet de la sortie de la « zone euro » telle qu’elle l’a vécue en 2017, puisqu’elle a abandonné cette idée dans son programme de 2022, il lui faudra quand même s’expliquer sur nombre de sujets à caractère européen, y compris sur celui de la défense et des relations avec la Russie… Sujet qu’elle est parvenue à escamoter dans la campagne du premier tour, au moins dans le « ressenti » des personnes interrogées par les sondeurs. Sujet qu’elle devra quand même affronter dans l’entre-deux-tours. Chassez « le Poutine », il reviendra sans doute au galop. En tous les cas Emmanuel Macron, s’il doit affronter Marine Le Pen pour le 24 avril prochain ne se privera pas de ramener le sujet sur la table…

Saveria Rojek : C'est le choix qu'il a fait avant même le début de la guerre en Ukraine. Déjà la présidence française de l'Union européenne devait projeter Emmanuel Macron en surplomb de cette campagne. Le camp Macron pariait déjà sur ce côté "président de l'Europe". Par ailleurs, se placer du côté des progressistes, du camp d'une Europe ouverte, du camp de la souveraineté européenne, face au camp d'en face, du repli sur soi, du "rabougrissement", avait été fait avant la crise ukrainienne. Il continue effectivement à croire à ce choix-là. Je pense à raison, car les Français ont besoin de protection et ont vu quand même que l'Europe les avait plutôt protégés, dans la crise Covid ou encore dans la crise ukrainienne. Je pense qu'il a plutôt raison de se positionner sous cet étendard-là. En revanche, il y a de réels motifs d'inquiétude. Car si la victoire d'Emmanuel Macron est probable, celle de Marine Le Pen est désormais possible, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.

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