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Emmanuel Macron au sommet du MED7 : quand la France se prend pour l’Allemagne de l’Europe du sud
©Iakovos HATZISTAVROU / AFP

Rencontre à Chypre

Mardi 29 janvier, Emmanuel Macron s'est rendu à Nicosie pour le 5e sommet des pays du sud de l'Union européenne (le MED 7), en présence des dirigeants espagnols, italiens, grecs, chypriotes, portugais et maltais. A cette occasion, le porte-parole du gouvernement chypriote, Prodromos Prodromou annonçait " les 7 pays partagent des intérêts communs".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Peut-on réellement considérer que la France, de par sa politique européenne, est un pays du sud de l'Europe ? En quoi les intérêts divergent-ils ? 

Edouard Husson: Cela fait des années que, malheureusement, la France n’a plus la politique de sa géographie. Nous sommes un pays intermédiaire en Europe. Nos différentes frontières nous tournent à la fois vers l’Europe du Nord et celle du Sud. Nous avons une façade atlantique et une façade méditerranéenne. Notre vocation est d’être un médiateur, un arbitre en Europe. Lors d’un rendez-vous comme le MED7, nous avons toutes les raisons de nous sentir en résonance avec les Etats européens de la façade méditerranéenne. Cependant, nous sommes plus qu’un Etat méditerranéen. Cela nous donne une capacité d’influence considérable aussi bien vis-à-vis des pays méditerranéens que du reste de l’Europe. Quand on pense à des intérêts communs, nous sommes, comme les six autres membres du groupe, confrontés à la pression des immigrants venus du Proche-Orient ou d’Afrique. Nous sommes intéressés à la protection du Mare Nostrum du point de vue écologique. C’est entre les deux rives de la Méditerranée que peuvent être posés les jalons d’une politique de coopération économique de l’Union européenne avec l’Afrique. L’Union Pour la Méditerranée, voici dix ans, avait proposé d’un tel état d’esprit. Mais Nicolas Sarkozy avait cédé, de manière inexplicable, aux pressions d’Angela Merkel pour que le projet reste d’ambition limitée.  

Aux yeux des 6 autres membres du MED7, comment la France est-elle perçue ? La politique européenne française n'est-elle pas identifiée à celle menée par Berlin dans la logique du couple franco-allemand ? 

Je crains que la France soit perçue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire le peu brillant second de l’Allemagne. Avons-nous jamais défendu, ces dernières années, les intérêts de l’Europe du Sud? Avons-nous plaidé la cause de la Grèce en 2010 ou 2014? Avons-nous proposé d’enclencher une autre politique monétaire, favorable à la croissance et à l’investissment, dans l’intérêt de l’Europe du Sud - qui est aussi le nôtre? Avons-nous protesté, à l’automne 2015, lorsque Madame Merkel, ouvrant les frontières de l’Europe, a créé un énorme appel d’air, conduisant à un afflux de migrants non désiré en Europe du Sud? A force de regarder en permanence vers Berlin, nous nous coupons de nos autres voisins. Regardez comme nous sommes ridicules dans la crise du Brexit: au lieu de servir de médiateur, nous nous faisons encore plus intransigeants que l’Allemagne. Voyez comme nous avons tendance à maltraiter l’Italie régulièrement pour nous venger de notre soumission à l’Allemagne. Même dans l’intérêt de notre relation avec l’Allemagne, nous aurions intérêt, pour des raisons d’équilibre, à chercher appui dans le sud de l’Europe. L’Europe du Sud pourrait être notre hinterland comme l’Europe centrale l’est pour l’Allemagne. La grande différence c’est qu’alors que les crimes allemands de la Seconde Guerre mondiale représentaient un lourd passif de départ entre la République Fédérale et la Mitteleuropa, les Allemands ont su, à force de modestie et de travail, construire un lien de confiance (avant que Madame Merkel ne gâche tout par sa politique d’immigration). Au contraire, la France, qui avait toutes les raisons de bien s’entendre avec ses soeurs latines et méditerranéennes, a déployé une considérable arrogance - au point, non seulement, de nous mettre mal avec nos partenaires du MED7, mais aussi de nous faire penser que cela n’avait pas grand intérêt de travailler avec l’Italie, le Portugal ou la Grèce. 

Quel serait l'intérêt pour la France de tisser, ou retisser (dans le cas de l'Italie), des liens plus étroits avec les pays du sud de l'Europe ? 

Prenons une formule facile: pour les pays du Sud, nous sommes du Nord; et pour les pays du Nord, nous sommes du Sud de l’Europe. Mais tout est question, pour nous, d’équilibre. Actuellement, l’Europe est profondément déséquilibrée au profit de sa partie septentrionale. La très absurde politique monétaire européenne est en train de dévaster le sud du continent d’une manière qui rappelle la manière dont la monnaie forte du Piémont a pulvérisé l’économie du Mezzogiorno après l’unité italienne. Avant 1860, l’Italie du Sud, qui était en train de combler son retard éducatif sur le Nord, était relativement proche, en matière économique. Après l’unification, non seulement le Nord a pillé les réserves or du Sud; mais la lire imposée du Nord a détruit la compétitivité de l’Italie du Sud. Nous autres Français aurions dû depuis longtemps tirer les leçons de cette histoire. Nous avons besoin d’une Europe du Sud forte. Notre priorité des prochaines années devrait consister à élaborer autant que possible des positions communes avec l’Europe du Sud, de manière à pouvoir bloquer, quand c’est nécessaire, des décisions du Conseil européen imaginées depuis l’Europe du Nord; pour pouvoir, surtout, faire passer des idées et des directives au service de la croissance et de l’emploi. 

Enfin, non moins importante devrait être notre proximité culturelle avec la façade méditerranéenne de l’Europe. Nous étouffons sous la technocratie. Il est temps de retouver le sens de la culture européenne. Or, de par notre histoire depuis le Moyen-Age, nous serons toujours plus “espagnols” ou “italiens” qu’”allemands” ou même “anglais”. La coopération culturelle avec ces pays devrait aider le développement d’un soft power français. 

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